Transmission, innovation pédagogique, bien-être étudiant, éducation thérapeutique, collaboration avec le patient… Autant d’axes fondamentaux sur lesquels Nathalie Alglave, directrice des soins, coordonnatrice générale du département des instituts de formation au CHU de Nantes et docteur en éducation, a bâti sa carrière.
À l’âge de 5 ans, Nathalie Alglave s’est vu offrir pour la Saint-Nicolas, par l’usine de son père, une panoplie d’infirmière. « Je me suis glissée dedans assez naturellement », dit-elle en expliquant son admiration pour l’une de ses sœurs, de 11 ans son aînée, qui avait alors décidé d’embrasser cette profession sous le contrôle bienveillant de leur maman. « Cette orientation a fait écho à mon environnement familial, explique Nathalie Alglave. Ma mère ayant été empêchée de travailler pour élever ses cinq enfants (quatre filles et un garçon), elle souhaitait que ses filles puissent s’émanciper et soient autonomes financièrement. Le graal, à ses yeux, était de travailler dans le soin, car elle-même avait des appétences certaines pour cela. Cependant, il ne m’a pas été possible de faire des études longues, mes parents avaient de modestes revenus et ne me voyaient pas aller à l’université. Or, j’adorais la biologie, l’art plastique et la philosophie… autant de possibles vers lesquels je ne suis pas allée. Et c’est ainsi que je suis devenue infirmière. » Grâce à la dynamique, la possibilité d’évolution de carrière et la force du relationnel avec les patients, Nathalie Alglave a finalement découvert « un métier passionnant, extrêmement riche, qui permet de se renouveler en permanence ».
Diplômée de l’école d’infirmières du CH de Valenciennes, dans le Nord, en 1988, elle exerce pendant plus de quatre ans dans différents services, dont la dermatologie vénérologie. « À l’époque, on y accueillait des patients atteints du sida qui en mourraient, se souvient-elle. C’est là que j’ai été sensibilisée à l’approche collaborative avec le patient et sa famille et découvert l’éducation thérapeutique. J’avais particulièrement à cœur de faire découvrir cette facette de la profession aux élèves, que j’adorais tutorer. »
En 1992, la directrice de l’école d’infirmières, qui l’avait eue comme élève, lui propose un poste de formation des aides-soignantes, qui évoluera vers la formation des infirmières. À l’issue d’un pré-monitorat de 4 ans – alors obligatoire pour devenir cadre de santé –, Nathalie Alglave passe le concours de l’école de cadres de santé de Lille, qui aboutira à sa diplomation en 1999. En parallèle, elle valide une licence en sciences de l’éducation effectuée à distance (« avant-gardiste pour l’époque ! »). Quelques années plus tard, en 2002, elle suit un diplôme d'études supérieures spécialisées (DESS) Éducation et santé, à l’Université Lille III. « Mon essence originelle me titillait, j’avais besoin d’acquérir des compétences et du contenu sur des savoirs académiques en lien avec la santé publique car je voulais transmettre à mes étudiants et développer l’éducation en santé, l’éducation thérapeutique du patient, explique-t-elle. Ensemble, on faisait beaucoup de choses avec les associations de patients, la mairie de Valenciennes, les associations d’aide aux personnes précaires, de lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme. J’ai ainsi pu mettre en pratique ce que j’avais acquis en termes de conceptualisation de l’éducation pour la santé, de promotion de la santé, d’éducation thérapeutique du patient. »
En 2005, elle quitte le nord de la France pour la Vendée, où elle est nommée cadre supérieure de santé dans la pédagogie à l’Institut de formation des professionnels de santé (IFPS) de la Roche-sur-Yon. Elle passe alors le concours de directeur des soins à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et en sort diplômée en 2008.
Tout juste diplômée, Nathalie Alglave s’engage dans un doctorat à l’université de Sherbrooke, au Québec, sur l’éducation thérapeutique du patient. Elle soutient sa thèse en 2016 sur « L’influence des stratégies hétérorégulatives des infirmières sur l’auto-efficacité des adultes atteints de maladie chronique à autoréguler leur santé-dans-la-maladie ». Pourquoi ce choix ? « Lors de mon DESS, biberonnée à des auteurs québécois, j’ai commencé à investiguer ce pays avant-gardiste sur l’éducation thérapeutique. J’avais envie d’explorer, d’étudier au Québec et notamment dans cette université très réputée, pour me rapprocher des sciences infirmières et des sciences de l’éducation, tout en créant un réseau. » Elle reste toujours liée à cette province canadienne, notamment comme membre de la communauté virtuelle de pratique Approche en sciences infirmières et de la santé fondée sur les forces (ASFF-CVP / Strengths-Based Nursing and Healthcare, SBNH-GVCoP) et comme membre partenaire du Réseau de recherche en interventions en sciences infirmières du Québec (RRISIQ).
Après avoir rejoint l’IFPS de La Roche-sur-Yon comme directrice des soins adjointe, avec en charge notamment la mise en place du référentiel de formation infirmier de 2009, Nathalie Alglave part sur l’Ifsi-Ifas de Châteaubriant en 2010 pour en prendre la direction. Puis, en 2012, elle rejoint le CHU de Nantes pour assurer la direction de l’Ifsi. Depuis 2019, elle est également coordonnatrice générale des onze filières de formation du CHU de Nantes et coordinatrice de la formation des infirmières en pratique avancée (IPA) à Nantes Université. Un ensemble de 1 300 étudiants et élèves sur l’ensemble des promotions, et de 100 agents sur le département des instituts de formation (DIF). « Je travaille beaucoup avec Nantes Université, car nous avons énormément de points communs et les mêmes axes de développement, souligne-t-elle. Nous visons également le monde de l’enseignement supérieur avec les formations initiales infirmières et manipulateurs radio en grade licence, les spécialités infirmières (Ibode, Iade) de grade master, les cadres de santé qui, grâce à un partenariat avec l’IAE [institut d'administration des entreprises] de Nantes sortent avec un master 2 Cadre de gestion en plus du diplôme de cadre de santé. » Autres similitudes : les méthodes pédagogiques « car nous avons des publics similaires en termes d’apprentissage, multigénérationnels, qui requièrent qu’on leur propose des modalités pédagogiques différentes ». Parmi les axes prioritaires, figurent le développement de parcours de formation en e-learning et en simulation, l’hybridation des formations avec des comodalités distancielles et présentielles, l’innovation pédagogique par l’adoption de nouveaux outils et techniques, ou encore l’utilisation de l’intelligence artificielle générative.
La directrice des soins est aussi partie prenante de la réingénierie de la formation infirmière. En tant que présidente du Comité d’entente régional Pays de la Loire du Cefiec (Comité d’entente des formations infirmières et cadres), elle participe aux réflexions, notamment sur la question des stages. « Au-delà du volet pédagogique, je suis aussi très attentive à la qualité de vie estudiantine, c’est-à-dire tout ce qui permet aux étudiants d’être dans de bonnes conditions pour apprendre : la restauration, le logement, les possibilités de prises en charge financières, la prévention des violences sexistes et sexuelles, la non-stigmatisation des genres… », ajoute Nathalie Alglave. Elle est d’ailleurs très impliquée dans un projet d’envergure qui va améliorer considérablement le cadre de vie et d’apprentissage des étudiants : en 2031, le DIF emménagera au sein d’un quartier hospitalo-universitaire à proximité du futur hôpital numérique de l’Île de Nantes, qui abritera une grande partie du pôle santé de Nantes Université, les différents instituts de recherche ainsi que l’Institut régional de formation aux métiers de rééducation et de réadaptation Pays de la Loire. « Ce bâtiment va nous rassembler sur un important plateau technique de simulation. Nous allons pouvoir travailler sur le triangle d’or recherche, enseignement et clinique », se réjouit Nathalie Alglave. Cette installation offrira plus de moyens techniques, d’interconnexions entre les filières, tout en s’inscrivant dans une approche respectueuse de l’environnement, faisant la part belle à la lumière, la verdure, la mobilité douce. « Dans son concept, il porte la prévention et promotion de la santé, tout en étant avant-gardiste dans l’utilisation des technologies high tech ».
En institut de formation depuis plus de trente ans, elle s’implique au plus près des étudiants en donnant elle-même des cours aux IPA, aux étudiants en soins infirmiers et en suivant des mémoires d’IPA et d’Ibode. « La pédagogie m’anime toujours et m’offre une bulle d’oxygène ! J’aime l’activité pédagogique en tant que telle. C’est très riche : il y a toujours des évolutions, je suis obligée de me remettre en question, d’être attentive à ce qui se met en place. » Nathalie Alglave, qui se reconnaît dans cette phrase du psychologue américain Kurt Lewin, « Rien n'est plus pratique qu'une bonne théorie », suit de près l’évolution des sciences de l’éducation et de la formation, tout en la confrontant aux attentes des nouveaux apprenants, les digital natives. « Le formateur a l’obligation de faire de la veille pédagogique pour bâtir des dispositifs de formation sur la base de données probantes », précise-t-elle. Ce travail est mené dans une dynamique collective, avec l’ensemble des directeurs sous sa responsabilité dans les filières. « Notre schéma directeur a pour but d’embarquer les équipes vers toutes ces évolutions naturelles en prenant en compte la technologie, l’attractivité, la transition écologique et la qualité de vie estudiantine. Il s’agit d’une approche systémique de la complexité au sens d’Edgar Morin : une approche macro (réglementaire, au niveau de l’État), méso (à l’échelle des formateurs) et micro (les étudiants). L’interrelation entre ces trois niveaux permet de garder une certaine ligne directrice du sens du travail. » Toutefois, confie Nathalie Alglave, « la complexité est de vouloir bien faire avec peu. La dynamique d’efficacité et d’efficience que l’on nous demande en permanence peut épuiser ».
À 56 ans, elle estime que son travail aujourd’hui, est de porter, d’accompagner les jeunes professionnels vers une évolution universitaire, dans une dynamique de mentorat. « Je ne conçois pas mes missions sans cela, la pédagogie et la recherche nourrissent mon travail de coordonnatrice avec une vision systémique. Je suis un catalyseur, un relais qui détecte les potentialités pour les valoriser. »
En tant que femme agissant auprès d’une population très féminine, Nathalie Alglave attache une attention particulière à la fragilité des étudiants. Elle fait sienne la formule du psychologue canadien Albert Banduras : « Il faut donner le goût mais sans leurrer. » En portant un regard sur sa carrière, elle dresse un bilan interrogateur, tout en pensant aux idéaux de sa mère qui l’ont guidée : « Tout cela demande énormément d’énergie et de travail, peut-être au détriment d’autre chose. Il faut savoir jusqu’où on est prêt à donner de soi. Les générations actuelles sont moins dans cette dynamique et je pense qu’elles ont raison d’essayer de trouver un équilibre subtil entre vie professionnelle et vie personnelle. »
Nathalie Alglave est rattachée au Laboratoire interdisciplinaire en neurosciences, physiologie et psychologie : apprentissages, activité physique, santé (LINP2-2APS) de l’Université Paris Nanterre. Dans ce cadre, elle a réalisé, avec deux collègues du laboratoire et une partie de l’équipe de l’Ifsi du CHU de Nantes, une recherche sur le mémoire en soins infirmiers de 2017 à 2022, portant sur l’auto-efficacité des étudiants à s’initier à la recherche, basée sur des données psychométriques.
Une autre recherche, menée avec les Ifsi de Nantes et de Normandie, étudie l’impact de l’utilisation de la simulation digitale sur l’apprentissage via un scénario pédagogique d’application d’une prescription médicamenteuse. Les données sont en cours d’analyse au sein du LINP2-2APS.
Enfin, Nathalie Alglave vient d'initier une recherche de formation action en sciences infirmières. L’objectif est de former les formateurs de l’Ifsi du CHU de Nantes à l’approche des soins basée sur les forces, selon les principes développés par Laurie N. Gottlieb, professeure à l’École des sciences infirmières de l’Université McGill de Montréal, pour bâtir une ingénierie pédagogique permettant de l’enseigner aux étudiants dans des situations cliniques.