OBJECTIF SOINS n° 0300 du 31/07/2024

 

DOSSIER

Valérie Coutant  

Cadre de santé, manager, coach, Hôpital de jour médecine, CHU de Besançon

Comment le coaching en management peut-il révolutionner la collaboration dans un contexte de « changement de transformation » ? Un retour d’expérience met en lumière l'impact des outils de coaching sur la création, l'implication des équipes, la cohésion et l'efficacité : une approche dynamique et positive pour réinventer le travail d'équipe et stimuler la productivité.

Le milieu hospitalier, depuis la crise sanitaire, est sans cesse en mouvance en lien avec les difficultés de ressources humaines et la recherche permanente d’efficience. Le cadre de santé se trouve face à une réelle complexité, comme l’a définie Edgar Morin(1), entre des conditions de travail inadaptées (effectifs manquants, moyens techniques parfois insuffisants) et l’obligation de qualité et de sécurité des soins, le tout en conservant une ambiance de travail sereine. Ainsi, lors d’un « changement de transformation »(2) (encadré 1) comme la réorganisation d’une unité à la suite d’une délocalisation, le rôle du cadre est central. L’utilisation d’outils de coaching constitue alors une ressource évidente pour permettre de se focaliser sur l’humain dans le changement, et l’accompagner à trouver les ressources nécessaires.

Contexte

L’hôpital de jour (HDJ) pluridisciplinaire du CHU de Besançon regroupe 10 spécialités dont les règles de fonctionnement datent de sa création en 2013. Avec le temps, celles-ci sont devenues caduques (le parcours patient n’est plus en adéquation avec les pratiques, le nombre de postes paramédicaux est inadapté…). L’organisation mise en place il y a plus de dix ans répond difficilement aux besoins actuels d’implantation de nouvelles activités. Il manque une réelle lisibilité, générant des délais d’attente dans la programmation des hospitalisations et engendrant un inconfort pour les professionnels en poste, sans cesse en quête de solutions pour répondre au mieux aux besoins des usagers.

De plus, la succession permanente de cadres dans cette unité (7 cadres en 7 ans) a induit le développement d’une fausse autonomie de travail des différents professionnels (mise en place de tentatives de solution(3), une heure trente de temps infirmier pour organiser les activités du lendemain en regard des effectifs et du type de prises en charge programmées…). Il apparaît un manque de lien entre les différentes catégories paramédicales, et un esprit d’équipe catégoriel. S’y ajoutent, pour certains membres de l’équipe, des restrictions physiques accompagnées d’un changement de poste subi, entraînant de ce fait une baisse de la motivation.

Par ailleurs, l’établissement connaît des difficultés de ressources humaines (RH), notamment de recrutement. À la création de l’HDJ, des postes de secrétaires médicales ont été proposés à des infirmières (IDE) au regard de leur restriction. Ainsi, il a été nécessaire de recentrer les compétences professionnelles vers le cœur de métier des agents.

C’est pourquoi la délocalisation de l’unité pour des travaux de remise aux normes s’impose comme une réelle opportunité. Réorganiser les activités de l’HDJ, viser comme objectifs l’adaptabilité optimum de l’unité tout en préservant la sécurité et la qualité des soins, la mobilité des ressources IDE sur des fonctions soignantes et la restauration du collectif par l’implication des soignants sont autant d’attentes en lien avec cette délocalisation.

Un projet en deux temps

Transfert de compétences 

Le premier temps du projet (encadré 2) s’est centré sur l’accompagnement des soignants. Sur la base du volontariat, la cadre a proposé un accompagnement personnalisé pour réinscrire les agents dans une dynamique soignante en utilisant des outils de coaching (« position basse », écoute active, questionnement permettant l’émergence des besoins, la pyramide des besoins, les outils d’analyse transactionnelle comme le tableau de méconnaissances d’Éric Berne, les états du moi(4), etc.) pour amener chaque personne à se questionner et mûrir son projet professionnel en lien avec ses envies, ses compétences, ses restrictions et bien sûr les besoins du service et des patients.

À la création du premier HDJ pluridisciplinaire en 2013, les IDE de programmation ont été affectées à des missions de programmation à la suite à de restrictions physiques ne leur permettant plus d’exercer leur fonction dans une unité conventionnelle de soins. Cependant, le soin et la relation soignant-soigné leurs manquaient. La proposition d’être écartées des soins temporairement leur a permis une récupération physique partielle pouvant les conduire à retrouver l’ensemble de leurs missions.

Le second temps a concerné le recrutement des secrétaires, en collaboration étroite avec la secrétaire référente. Un profil de poste a été élaboré, précisant les compétences requises : autonomie de travail, communication adaptée, pertinence dans le questionnement, agilité d’esprit. Le recrutement en contrat à durée déterminée a été réalisé. Une phase de test a été mise en place avant la pérennisation du poste. L’arrivée des secrétaires a été progressive pour faciliter l’assimilation et le relais plus aisé des informations. La passation s’est déroulée de mai à juillet 2022.

Pour favoriser l’instauration de repères et le lien entre les deux fonctions, IDE versus secrétaire, la création d’un outil de référence a semblé une évidence. Un classement en trois catégories (court, long et intermédiaire) des différents actes réalisés en HDJ a été établi dans un premier temps, puis chaque IDE de programmation a rédigé un document d’appui pour la programmation des différentes spécialités relevant de sa responsabilité, pour faciliter l’intégration des secrétaires dans l’organisation (particularités de l’acte, temps de réalisation de celui-ci, spécificités liées à la spécialité). Dans le même temps, la planification des créneaux de spécialités a été retravaillée en cohérence avec les différents actes.

Enfin, pour mesurer les impacts sur le terrain des décisions prises en programmation, et créer une synergie entre les deux entités de l’unité (cellule de programmation et unité soignante), un temps d’immersion a été organisé. Les programmatrices ont suivi l’équipe paramédicale d’HDJ pendant une matinée.

Réorganisation de l’unité opérationnelle

À la suite d’un projet institutionnel nécessitant des travaux d’aménagement sur une autre unité, il a été décidé une délocalisation de l’unité d’HDJ en juin 2022, pour un aménagement dans des locaux disponibles de l’établissement fin septembre 2022. Ainsi, il a été nécessaire de repenser la distribution des locaux en lien avec les activités. Une proposition d’implantation a été soumise au bureau de pôle composé du chef de pôle, de la cadre coordinatrice du pôle ainsi que du directeur référent du pôle en juillet 2022, avec une première sensibilisation de l’équipe dans le même temps.

Lors de cette phase de déménagement, l’organisation de l’unité a été modifiée en trois secteurs d’activité en fonction des typologies de prise en charge et des particularités liées à l’administration des thérapeutiques. Un travail en collaboration avec la cellule de programmation, pour identifier les actes et les classer en fonction de ces particularités, a été réalisé dans le même temps afin de permettre cette répartition. Les parcours patients ont ainsi pu émerger, être présentés à l’équipe paramédicale pour faciliter l’imprégnation et recueillir les premières remarques en lien avec l’expérience de terrain. Des visites de locaux ont aussi été organisées pour aider à la projection des professionnels.

Toutes les semaines jusqu’au déménagement, des points « étape déménagement » ont été planifiés avec les équipes. Un compte rendu a été systématiquement réalisé et diffusé à l’ensemble des acteurs, permettant une réactivité avec les ajustements nécessaires.

Les fiches horaires de planification des activités des différents personnels ont également été revues, et leur ont été soumises pour validation.

Après l’aménagement dans les nouveaux locaux, un point journalier a été réalisé pendant la première semaine puis toutes les semaines avec les professionnels en poste : permettant de cibler les axes d’amélioration et les ajustements éventuels. Un compte rendu était réalisé et diffusé au référent médical ainsi qu’à la cadre coordinatrice du pôle.

En complément des points hebdomadaires, des réunions de service se sont tenues tous les mois en utilisant un outil de coaching(5), « LS TRIZ »(6) (figure 1) ou encore « 1, 2, 4 Tous »(7). Cet outil, après un temps de synchronisation des participants (météo du jour), vise à faire émerger du terrain les solutions pour résoudre une problématique ou des difficultés. Lors de ces réunions, les difficultés ont été abordées en lien avec les modifications organisationnelles impactant l’intégralité des grades ou des missions..

Résultats

La conduite de ce projet par le coaching a abouti rapidement à la satisfaction des acteurs.

En termes de transfert de compétences, aujourd’hui, la cellule de programmation fonctionne avec trois secrétaires à temps plein et une IDE de programmation à 75 %. Pour permettre la continuité de service durant les absences inopinées ou la prise de congés, des binômes ont été créés.

Une procédure dégradée a également été rédigée. La création d’un référentiel s’est révélée indispensable pour assurer la continuité de l’activité en lien avec les différentes spécialités et permettre la constitution de repères. La tenue régulière de réunions pour cibler les difficultés afin d’y remédier en équipe a représenté un élément moteur dans la conduite du projet.

L’articulation avec l’HDJ opérationnel (invitations aux réunions de service, points hebdomadaires…), la bienveillance de l’équipe, les possibilités de questionnement et la présence d’une IDE dans le groupe sont autant de paramètres qui ont participé au succès du projet.

Un des freins identifiés par les programmatrices était le fait d’être non-soignante, exposant à un manque de lisibilité sur les demandes d’examens, de connaissances sur les différentes pathologies prises en charge dans l’unité, ainsi que des difficultés d’appréciation du temps à prévoir pour certains examens.

La majeure partie des équipes médicales (8/10) ne relate aucun problème dans le transfert de compétences. L’une d’entre elles a soulevé des difficultés qui ont été abordées avec le référent médical et qui ont donné lieu à la révision du référentiel de la spécialité.

Au niveau de la réorganisation de l’unité opérationnelle, les objectifs initiaux de recherche d’efficience, d’actualisation des règles de fonctionnement, de sécurisation des soins via la rédaction de fiches d’administration des thérapeutiques en collaboration avec les pharmaciens, ont été atteints. De nouveaux actes (administration de nouvelles thérapeutiques, surveillance après des gestes techniques…) ont également pu être implantés.

Après six mois, un bilan d’activité a été réalisé et présenté en conseil de pôle en mai 2023. Il démontre la sous-utilisation de l’HDJ : le taux d’occupation de certaines chambres est de 30 %.

L’impact sur le fonctionnement d’équipe a également été évalué lors des entretiens professionnels des agents. Ces derniers soulignent une dynamique d’équipe positive, une présence plus marquée du « travailler ensemble » dans le respect des fonctions de chacun, un sentiment d’être partie prenante dans les décisions, procurant une réelle satisfaction au travail et redonnant du sens.

Néanmoins, la lisibilité sur les places disponibles du point de vue des programmatrices reste un point à améliorer. La configuration des agendas reste en inadéquation avec l’organisation de l’unité opérationnelle de l’HDJ. Le changement de dossier patient informatisé (DPI) qui est prévu, devrait permettre d’obtenir cette lisibilité et d’améliorer le fonctionnement :le nouveau logiciel associera les places physiques aux différentes vacations par spécialité par le type par durée de l’acte permettant la lisibilité sur les agendas.

Discussion

Au regard de cette expérience, il est démontré que l’usage des outils de coaching comme l’écoute active, le questionnement invitant à la réflexivité en accompagnement individuel, comme la méthode LS TRIZ appartenant au groupe de 33 méthodes de « liberating structures »(8), peuvent apporter une ressource supplémentaire au cadre de proximité dans la conduite du changement. Néanmoins, l’utilisation de ces différents outils nécessite que celui-ci soit expérimenté dans sa fonction, qu’il montre une appétence pour la guidance de son équipe et fasse preuve de confiance en soi. En effet, le cadre doit être en mesure d’impulser une dynamique positive, de conduire l’équipe vers la réflexivité malgré le mal-être parfois exprimé par certains membres de l’équipe pendant le temps de synchronisation (figure 1). Un temps d’appropriation de l’outil est donc nécessaire. Par ailleurs, un réel engouement des équipes à participer à ce type de réunion a été identifié. Les collaborateurs sont d’abord surpris par cette méthode non conventionnelle. Puis à la sortie de la réunion, ils expriment leur satisfaction à participer aux décisions, d’être impliqués dans l’organisation de leur travail. In fine, ils sont eux-mêmes demandeurs de programmer ces temps de réflexion pour amener à des pistes d’amélioration.

Conclusion

Ce projet de restructuration, mené en quelques mois, a permis de rendre l’unité efficiente. Aujourd’hui, celle-ci peut accueillir 48 patients par jour (en moyenne 25 patients par jour actuellement). Cette démarche a aidé à restaurer le « travailler ensemble » par l’usage d’outils de coaching, d’améliorer les conditions de travail par le changement de localisation, d’identifier les créneaux disponibles pour les nouvelles activités, de sécuriser les prises en charge des patients par la mise en place de procédures. La méthode LS-TRIZ a réellement permis l’implication des acteurs dans la prise de décision. Au vu des résultats factuels constatés, il est aujourd’hui nécessaire d’objectiver la méthodologie. C’est pourquoi il nous semble intéressant de conduire un projet de recherche managérial sur cette méthode.

Notes

1. Morin, E. (1990). Introduction à la pensée complexe. Paris : Éd. Du Seuil.

2. Watzlawick, P., Weakland, JH, Fisch, R. (2014). Changement. Paradoxes et psychothérapie. Paris : Points essais.

3. Session approche systémique de l’institut Ifod (école de formation aux métiers du coaching et de l’accompagnement).

4. Berne, E. (1977). Analyse transactionnelle et psychothérapie. Paris : Petite Bibliothèque Payot. p. 32.

5. AgilBee. Qu’est-ce que les Liberating Structures ? Quel est le lien avec l’Agilité ?, mars 2023. https://www.agilbee.com/

6. LariSemnani, B., Mohebbi Far, R., Shalipoor, E., Mohseni, M. (2014). Using creative problem solving (TRIZ) in improving the quality of hospital services. Glob J Health Sci. 14;7(1):88-97. http://dx.doi.org/10.5539/gjhs.v7n1p88

7. Liberating structures. 1-2-4-Tous, mars 2023. https://www.liberatingstructures.fr/1-2-4-tous/

8. Liberating structures. TRIZ, mars 2023. https://www.liberatingstructures.fr/triz/

Encadré 1

Le changement en coaching

Selon Paul Watzlawick(2), il  existe plusieurs types de changement :

- le changement d’amélioration (type 1) vise l’amélioration d’une situation grâce à l’analyse. Il est peu complexe et plutôt perçu positivement.

Exemples : révision de procédures ou de protocoles, adaptation de fiches horaires ou de fiches de poste.

- le changement de transition (type 2) vise à régler une problématique. Il s’agit du passage entre deux situations stables avec une phase chaotique de transition qui nécessite un accompagnement de l’individu.

Exemples : passage du dossier papier au dossier patient informatisé, changement de prestataire, délocalisation d’une unité sans modification d’organisation.

- le changement de transformation (type 3) est une modification brutale d’environnement générant de l’insécurité. Il est complexe du fait de l’émergence de résistances et de freins multiples. Il s’agit d’un changement de système, de cadre et de mode de régulation, donc d’une véritable transformation.

Exemple : réorganisation d’une unité à la suite d’une délocalisation.

Encadré 2

Méthode adoptée

Le projet s’est décomposé en deux temps sur l’année 2022 :

- le transfert de compétences d’IDE de programmation vers celles de secrétaire médicale de programmation (de mars à juillet 2022),

- la délocalisation de l’unité vers des locaux neufs et la réorganisation de l’unité (de juillet à septembre 2022).

Il a été soumis à la validation du chef de pôle ainsi qu’au référent médical de l’unité, à la cadre coordinatrice du pôle, et piloté par la cadre de l’unité. Il a également été présenté à l’ensemble des intervenants médicaux lors d’une réunion de pôle, ainsi qu’à l’équipe paramédicale en amont du déménagement.