OBJECTIF SOINS n° 0301 du 15/09/2024

 

Management des soins

DOSSIER

Nathalie Renou  

Coordinatrice pédagogique, cadre de santé formatrice, rédactrice en chef

Le sujet de l’attractivité et de la fidélisation des professionnels de santé est au cœur des préoccupations des managers, des directions gouvernantes des établissements de santé et des pouvoirs publics. À l’échelle d’un établissement de soins, les problématiques de recrutement des professions de santé sur des postes non pourvus se percutent avec la motivation, les souhaits des professionnels de santé et leur conception du travail.

Pour limiter la fuite des compétences et le turnover incessant des équipes, les managers en santé et les directeurs des ressources humaines (DRH) doivent faire preuve d’ingéniosité, d’imagination, de créativité pour garder en leur sein les professionnels, stabiliser les équipes et permettre l’efficience de la prise en soins dévolue au patient.

Un contrat psychologique

Si aucun d’entre nous ne se réfère à la même définition de la fidélisation – qui, pour une organisation, relève d’un processus cherchant à établir et maintenir une relation durable et positive avec ses employés, ses partenaires – il devient parfois compliqué de trouver des pistes pour créer ce contrat psychologique, cet attachement, cette loyauté, cette préférence pour un service, pour un établissement plus qu’un autre. De plus, la crise sanitaire est passée par là…

La conception que nous nous faisions du travail n’est plus la même, quelles que soient les générations : pas plus de X que de Z dans cette histoire ! Nos envies ont changé, nos besoins aussi, sans faire de nous, pour autant, de mauvais soignants. 

Mais alors, quelle stratégie, quelles actions visant à retenir (c’est ce que signifie étymologiquement fidéliser(1)) les professionnels dans une organisation, faut-il mettre en place aujourd’hui ? Est-ce utile ? Ne devons-nous pas envisager un autre fonctionnement de nos établissements de santé ? N’est-ce pas innovant que de discerner la périodicité sur laquelle un soignant envisagerait de se projeter lors de l’entretien d’embauche, comme certains cadres ou DRH le font déjà ?

Nonobstant, comment favoriser cette fidélisation, majorer ce sentiment d’efficacité personnelle, construire ce contrat psychologique qui fera qu’un agent restera plus longtemps dans un établissement que dans un autre ?

Valorisation et reconnaissance

Nous avons pour habitude, dans Objectif Soins & Management, de publier de nombreux articles qui donnent à voir des retours d’expérience, des actions, des innovations managériales. Tous ces témoignages le disent : les établissements de santé ne mènent plus la danse !

Éric Godelier(2) qui a longtemps travaillé sur la culture organisationnelle et son impact sur la fidélisation des employés, souligne que la création d’une culture organisationnelle positive, dans un établissement qui respecte et valorise les agents, est cruciale et indispensable pour les fidéliser.

À son tour, Michael Armstrong(3) met en avant l’importance de la gestion des talents, de la formation continue, et de la reconnaissance sociale pour fidéliser les employés. Nous noterons au passage que pour l’auteur, les agents les plus fidèles sont souvent ceux qui se sentent reconnus, entendus et valorisés.

Ainsi, fidéliser la filière paramédicale signifierait de créer, urgemment, des environnements de travail où la satisfaction et le bien-être seraient les maîtres mots, à l’instar de ce que la société souhaite pour tout un chacun. Bien sûr, il n’est pas question de renier les responsabilités des différents acteurs dans leurs missions et compétences. Pour autant, il semble incontournable de mettre en place des politiques organisationnelles qui permettent aux soignants, quelle que soit leur filière, d’équilibrer leur vie professionnelle et personnelle, réduisant ainsi le stress et favorisant l’épanouissement.

Au-delà des ergonomies de travail, de la gestion des plannings qui doit être plus souple et gagner en flexibilité, il convient de proposer des opportunités de développement professionnel en favorisant la reconnaissance sociale par une rémunération à la hauteur des responsabilités, la formation continue pour progresser et poursuivre son projet professionnel, de promouvoir le mentorat et le coaching qui permettront aux nouveaux soignants de recevoir des conseils et d’être soutenus par des collègues plus expérimentés. Les nouvelles générations apprécient ce genre de rencontres, initiées bien souvent lors de leur formation.

Il convient également de développer des systèmes de reconnaissance formels ou informels pour célébrer les réussites et les contributions des équipes, des individus : encourager la publication d’articles en est un, par exemple.

Il s’agit aussi de promouvoir une culture d’établissement qui valorise la diversité, l’inclusion, l’écologie, où chaque soignant se sentira respecté, valorisé, encouragé par une communication ouverte et transparente entre tous les professionnels de l’établissement, quelle que soit la filière.

Prendre soin des soignants

Soutenir la santé mentale et physique des soignants en adaptant la charge de travail pour éviter l’épuisement professionnel, en mettant en place des programmes de bien-être, incluant des services de soutien psychologique, des activités de réduction du stress et des initiatives de santé physique, nous semble aussi constituer des opportunités pour les instances dirigeantes des établissements de santé.

Arrêtons le management maltraitant dont les témoignages fleurissent sur les réseaux sociaux, et faisons de nos erreurs des axes d’amélioration pour progresser et non pour punir.

Enfin, il convient de continuer à impliquer les soignants dans les décisions qui affectent leur travail quotidien, afin de les responsabiliser encore plus dans leur établissement : par exemple, instaurer des mécanismes de feedbacks réguliers pour qu’ils puissent exprimer leurs préoccupations, leur suggestions, et surtout, que les dirigeants en tiennent compte.

Un changement de paradigme

De nombreux établissements ont déjà initié des actions pour fidéliser les professionnels, les comprendre et les accompagner. Bien sûr, un véritable changement de paradigme dans le management des équipes est nécessaire, et il ne se fera pas du jour au lendemain. Il faut que la roue tourne, dans le sens de ceux qui sont sur le terrain, au plus près des patients, y compris pour les cadres de proximité (encadré 1).

Le système de santé est au bord de l’agonie. Il appartient donc à chacun d’entre nous, citoyen, patient, professionnel de santé, de trouver des solutions pour que les conditions de travail des soignants et le service rendu aux patients soient les meilleurs possible. À titre personnel, je trouve insupportable de voir, comme j’ai pu le constater il y a peu, des personnes vulnérables laissées seules dans un couloir de service d’urgences, sur un brancard, sans qu’aucun soignant n’ait le temps ni la possibilité d’un regard, d’une attention, d’un geste. Cela va à l’encontre des valeurs soignantes de tout professionnel ayant fait le choix de prendre soin.

En mettant en place des stratégies et des organisations positives, collaboratives, soutenantes et bienveillantes, comme certains le font déjà, les établissements de santé pourront améliorer la satisfaction et l’engagement des soignants, leur permettant ainsi de fournir des soins de qualité, comme ils souhaiteraient pouvoir le faire et comme ils s’y sont engagés durant leur formation initiale.

Cadre de santé, une fonction qui n’attire plus

Nous le savons, aujourd’hui la défection pour la profession paramédicale est parfaitement identifiée et programmée depuis longtemps. Les raisons majeures de ce désintérêt sont les conditions de travail déplorables dans bon nombre d’établissements, la perte de sens, le peu de temps dévolu au soin, remplacé petit à petit par plus de tâches administratives, ô combien démotivantes pour des professionnels ayant choisi de prendre soin des plus fragiles.

À mesure que les agents s’éloignent du patient, la filière managériale paramédicale s’engouffre tout autant dans une distanciation avec le patient et les équipes de soins. Nous nous retrouvons dans une posture contradictoire, entre des missions gestionnaires et des pratiques soignantes. 

Sophie Divay(4) explicite très bien le manque d’attirance pour la profession de cadre de santé, non seulement du fait de cette accumulation de tâches administratives et de cette position liminale (ni tout à fait dans les soins, ni tout à fait en dehors), mais aussi, parce que nous n’en pouvons plus d’être dans cette posture d’interface entre les gestionnaires décideurs et les équipes de soins.

Références bibliographiques

1. Fidélité, https://www.littre.org/definition/fid%C3%A9lit%C3%A9

2. Godelier, É. (2009). La culture d’entreprise : source de pérennité ou source d’inertie ? Revue française de gestion, 192, 95-111. https://www.cairn.info/revue--2009-2-page-95.htm

3. Armstrong, M. (2014). Armstrong’s Handbook of Human Resource Management Practice. 11th edition ; Kogan Page.

4. Divay, S. (2013). Cadres de santé. Des encadrants de proximité au pouvoir limité. In : Les professions intermédiaires ; Armand Colin. pp.135-142.