ÉTHIQUE
Marie-Aimée Segonds Bourgade Pierre Roda
Cadre de santé formatrice, diplôme universitaire Qualité de vie au travail, ToulouseFormateur Ifsi, M2 Éthique et recherche, Université Paul Sabatier, Toulouse, diplôme universitaire Intelligence artificielle en santé, Université Paris Descartes
De nombreux auteurs et philosophes se sont intéressés au thème de la vérité. Dans le domaine des soins, celle-ci revêt un caractère particulier et demande une réflexion éthique et pluridisciplinaire. Si le devoir de transparence s’impose au soignant afin de favoriser l’autonomie du patient, le droit de ne pas être informé doit lui aussi être respecté. Dans ces conditions délicates, « dire la vérité » ou annoncer une mauvaise nouvelle nécessite des aptitudes particulières qui peuvent être enseignées par la simulation en santé.
La quête de la vérité est parfois incertaine et dommageable et pour autant, l’homme a toujours été à sa recherche. Voltaire, dans le conte philosophique intitulé « Histoire d’un bon bramin » (1759), raconte l’histoire d’un homme « fort, sage, plein d’esprit et très savant » qui ne voudrait jamais être né. Le vieux bramin est en quête de vérité sur tout ce qui l’entoure : le monde, le temps, le mouvement, la matière, l’existence... et se retrouve plongé dans un océan d’incertitude en l’absence de réponses. L’ignorance peut, dans certaines circonstances, revêtir un caractère plus supportable.
De Tolstoï à Éric-Emmanuel Schmitt, de Romain Gary à Amélie Nothomb, le concept de « vérité » a été abordé de nombreuses fois dans la littérature, témoignant de sa complexité. En 2024, Nina Bouraoui (Bouraoui, 2024) effectue le récit douloureux de l’accompagnement de son père en soins palliatifs à l’hôpital. L’autrice se confie et se confronte à la difficile question de la vérité : « Quand mon père me demande combien de temps il devra rester ici, je lui promets qu’il partira dès ses forces retrouvées. Je le trompe et me trompe. », écrit-elle (p. 11). L’autrice met ainsi des mots sur des maux.
À la lecture des récits hippocratiques, nous constatons que la dissimulation est une attitude reconnue voire préconisée par Hippocrate lui-même : « On fera toute chose avec calme, avec adresse, cachant au malade, pendant qu’on agit, la plupart des choses (…) ne lui laissant rien apercevoir de ce qui arrivera ni de ce qui menace. » Dissimuler la vérité permet-il de protéger celui que nous voulons soigner ?
Qu’il s’agisse des soignants, des patients ou des familles, nombreuses sont les œuvres qui témoignent de la difficile question de la « vérité » dans les soins.
La « vérité » dans les soins, et plus précisément l’annonce d’un diagnostic de maladie incurable, sont générateurs de questionnement éthique. L’éthique fait partie de la vie des services de soins et doit mener à une réflexion pluridisciplinaire en intégrant l’avis du patient et de son entourage.
Michela Marzano (Marzano, 2012), philosophe, rappelle que « la vérité est, en médecine, un ensemble complexe de données différentes et hétérogènes ». En effet, coexistent ce que nous pouvons appeler la « vérité scientifique », fondée sur des données objectivables (imagerie, biologie, biopsie…) et celle du patient avec son histoire personnelle, ses valeurs et ses fragilités. La vérité est singulière, personnelle, empreinte de nos vies et de nos représentations. La réaction à l’annonce d’un diagnostic est individuelle, imprévisible et mouvante (Moley-Massol, 2004), ce qui ajoute à sa complexité.
La vérité dite au patient par un soignant est d’abord un acte de langage, et celui-ci engage (Ricot, 2003). Dire la vérité au malade, c’est mettre en contact deux subjectivités, deux sujets humains : d’un côté le soignant, qui ne veut pas la dire, de l’autre le patient, qui ne veut pas l’entendre.
Depuis la loi du 4 mars 2002, il est proposé au patient d’être placé au centre des prises de décision concernant sa santé : c’est lui qui est le principal bénéficiaire de l’information, dès lors qu’il est en mesure d’exprimer sa volonté. D’après l’article R.4127-35 du code de la santé publique, « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension. »
Le droit rappelle également qu’un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, c’est-à-dire avec prudence et précaution, car il faut « avoir au préalable cherché à cerner la portée de cette vérité sur un plan personnel, affectif, social et /ou familial » (Clément-Hryniewicz, 2015).
Au droit d’être informé s’oppose aussi le droit de ne pas l’être au sujet d’un diagnostic ou d’un pronostic lorsque le patient en fait la demande. Comme le rappelle l’article 35 du code de déontologie médicale, le médecin doit alors respecter la volonté du patient sauf si la maladie expose d’autres personnes à un risque de contamination.
Cette loi témoigne aussi d’injonctions paradoxales, d’un « double blind » : d’un côté, « le légal » qui incite à la transparence mais qui permet de ne pas tout dévoiler, et de l’autre « le social », qui prône l’information totale, l’autonomie intégrale (Lemoine & Vassal, 2017).
Même s’il existe un devoir de véracité dans le but de ne pas tromper le patient, en pratique, les choses ne sont pas si aisées. Au-delà de l’aspect « prescriptif », dire la vérité comme le rappelle Jacques Ricot « est un acte d’infinie modestie » (Ricot, 2003, p. 30).
La vérité médicale est donc plébiscitée par la loi française, sous certaines conditions, afin de permettre l’autonomie au patient dans ses choix.
Ce dilemme éthique de la vérité dans les soins amène le philosophe Pierre Le Coz à s’interroger. En effet, comment le patient peut-il prendre « la bonne décision » s’il ne connaît pas les tenants et les aboutissants de sa situation médicale ?
Dans le langage courant, dire la vérité peut être associé au souci de « transparence ». Cette transparence de l’information médicale auprès du patient lui permettrait d’exercer son « pouvoir » d’autonomie sur la suite des traitements à poursuivre afin de pouvoir « être soigné en accord avec sa pensée, avec ses croyances, avec ses valeurs » (Beauchamp et Childress, Le Coz, p. 54).
Cette « autonomie » ne se limite pas seulement à une « autonomie d’action ». Le Comité consultatif national d’éthique, dans l’avis n°87 publié en avril 2005, indique que « une autonomie de pensée » réside dans le pouvoir de conduire « une argumentation cohérente et réfléchie », et de conserver un esprit critique à l’égard des informations transmises.
Cynthia Fleury rappelle qu’il faut aussi se soucier de rendre « capacitaires » les individus, c’est-à-dire « leur redonner aptitude et souveraineté dans ce qu’ils sont ; comprendre que la vulnérabilité est liée à l’autonomie » (p. 7). En effet, la philosophe précise que le médecin ne peut pas se dédouaner de l’obligation de vérité due au patient, mais qu’il doit accorder de l’importance dans l’accueil de cette vérité et de la « capabilité » qu’elle doit générer chez le patient lui-même.
Ainsi, une information adaptée au patient et tenant compte de sa singularité lui permettrait d’être plus autonome et donc « capable » dans ses choix.
Parallèlement à la difficulté d’entendre une annonce médicale délicate, se trouve aussi la difficulté d’annoncer celle-ci. Si la question de l’annonce est difficile pour les patients, elle est également périlleuse pour les médecins. Dans le contexte de la transmission de l’information médicale et sa complexité, Nicole Alby résume très bien cette difficulté en décrivant l’annonce comme un moment où « le médecin n’a pas envie de dire à un malade qui n’a pas envie d’entendre ».
Énoncer au patient son état de santé nécessite, de la part des soignants et plus particulièrement des médecins, de nombreuses aptitudes : de l’adaptation, des qualités relationnelles telles que l’écoute, la reformulation, la patience, l’empathie, etc.
Dans ce contexte, la simulation peut constituer un outil permettant aux soignants de s’essayer à l’exercice de l’annonce et à sa difficulté, afin de favoriser une meilleure gestion du stress générée par cette situation. Comme le rappelle Sébastien Couarraze, maître de conférences en sciences infirmières, la simulation en santé se développe depuis une quarantaine d’années et connaît un essor grandissant. En France, ce dispositif pédagogique a fait ses preuves et tient une place importante en formation initiale et continue des professionnels de santé. L’objectif de la simulation est de permettre aux participants de « comprendre comment ils font face aux situations critiques, de développer une certaine réflexivité et ainsi d’améliorer à la fois leurs compétences et leur résistance au stress ».
Sur le site de l’Institut toulousain de simulation en santé (ItSims) du CHU de Toulouse, des séquences de simulation auprès des étudiants en médecine sur l’annonce d’une mauvaise nouvelle sont organisées. Également, à l’Ifsi de Toulouse, l’équipe pédagogique du PREFMS (Pôle régional d’enseignement et de formation aux métiers de la santé) a créé un dispositif de simulation auprès des étudiants infirmiers afin qu’ils soient confrontés aux questions autour de la fin de vie, du dire et du non-dire, et de la prise en charge des familles. Le développement de ce dispositif apparaît comme novateur et évident.
- Bouraoui, N. (2024). Grand Seigneur. JC Lattès.
- Clément-Hryniewicz, N. (2015). Éthique de l’annonce en soins palliatifs. La « vérité » en question. Revue internationale de soins palliatifs, Vol. 29(4), 125‑131.
- Couarraze, S. (2022). La simulation en santé, qualité de vie au travail et changement. L’Harmattan.
- Fleury, C (2020). Le soin est un humanisme. Gallimard.
- Hirsch, E. (2012). Fins de vie, éthique et société. Érès.
- Le Coz, P. (2018). L’éthique médicale. Approches philosophiques. Éditions Sciences Technologies Santé.
- Lemoine, E., & Vassal, P. (2017). La relation de soin à l’épreuve du mensonge. Éthique & Santé, 14(3), 151‑157.
- Marzano, M. (2012). Les enjeux éthiques du silence : Dire, taire, mentir… Sigila, n° 29(1), 87‑96.
- Moley-Massol, I. (2004). L’annonce de la maladie, une parole qui engage. DaTeBe Éditions.
- Ricot, J. (2003). Philosophie et fin de vie. Presses de l’EHESP.
- Roda P., Pucheu B., Pires, F., Gruelles C. (2023). Former aux compétences non techniques complexes, c’est possible ! Objectif Soins & Management, n° 296: 46-47.
- Voelter, V., Mirimanoff, R-O., Stiefel, F., Rousselle, I. & Leyvraz S. (2005). L’annonce d’une mauvaise nouvelle en oncologie. Revue médicale suisse, 1 : 1350-3.