OBJECTIF SOINS n° 0301 du 15/09/2024

 

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ACTUALITÉS

Claire Pourprix

  

Dix ans après avoir rejoint l’Ordre national des infirmiers (ONI) dans le Rhône, Sylvaine Mazière-Tauran a succédé à Patrick Chamboredon à la présidence du Conseil national en avril dernier. Elle nous dévoile les sujets qui lui tiennent à cœur et revient sur son parcours professionnel dans le public et le privé, de l’hôpital à la certification qualité, en passant par l’hospitalisation à domicile.

Entrée en 2014 à l’Ordre national des infirmiers (ONI) du Rhône, et élue présidente du Conseil régional cette même année, Sylvaine Mazière-Tauran reconnaît s’être vu rapidement confier « des fonctions à responsabilités ». Sans doute le résultat et la reconnaissance de sa bonne compréhension du tissu professionnel lyonnais, où elle est impliquée depuis ses débuts comme infirmière, en 1980. Élue secrétaire générale du Conseil national de l’ONI en 2021-2024, elle s’est présentée à l’élection de sa présidence par « concours de circonstances ». « Monsieur Chamboredon n’ayant pas été réélu au niveau national, on m’a proposé de me présenter. J’ai pris le temps de la réflexion car il s’agit d’un challenge important. »

Défendre la montée en compétences

Ne souhaitant pas s’exprimer sur les remous soulevés lors de cette élection – « Ils n’étaient pas de mon fait et les élections sont toujours un temps de tension », commente-t-elle simplement –, Sylvaine Mazière-Tauran déclare avoir toujours la même motivation qu’en 2014 : représenter et défendre la reconnaissance de la profession infirmière. « Au cours de mon exercice professionnel, dans mes engagements dans des fédérations hospitalières ou lors de travaux de recherche, j’ai souvent été frappée par le fait que ce ne sont pas les infirmières qui parlent de leur propre expérience, mais d’autres personnes, comme les médecins. Lorsque j’étais infirmière anesthésiste, par exemple, nous avions du mal à trouver des financements pour nos travaux de recherche, pour faire des publications, car le système était très médico-centré. Pourtant, sans les infirmiers et les autres professionnels de santé, il n’y a pas de système de santé : nous sommes un fondement pour la prise en charge de proximité, du quotidien. C’est pourquoi je souhaite défendre la montée en compétences des infirmières dans l’offre de soins. Nous pouvons nous exprimer dans une diversité professionnelle, avec des modalités d’exercice multiples. »
Au cours de sa carrière, Sylvaine Mazière-Tauran a évolué dans des environnements très différents, dans les domaines des soins et du médicosocial, dans les secteurs public et privé. Après avoir obtenu son diplôme d’État à l’école d'infirmières de l’hôpital Bichat (AP-HP) à Paris, en 1979, elle fait ses premiers pas à l’hôpital de la Croix-Rousse (HCL) à Lyon, en service de réanimation. Puis, à l’issue d’une formation d’infirmière anesthésiste, elle exerce à la maternité de la Croix-Rousse de 1985 à 1991. Elle refuse le terme de vocation pour expliquer son attachement au métier, préférant une approche plus rationnelle : « Diplômée d’un bac scientifique, j’étais intéressée par les sciences, notamment de la nature et de la vie. Le métier d’infirmière m’a semblé intéressant car il comportait une dimension humaine, en plus de l’apprentissage du fonctionnement du corps et des maladies. »

Différentes expériences de management

Très tôt, Sylvaine Mazière-Tauran souhaite évoluer vers le management, l’encadrement. « Mais les infirmières anesthésistes étant peu nombreuses et très sollicitées, on ne m’a pas laissée partir pour faire l’école des cadres », témoigne-t-elle. Bien décidée à suivre son chemin, elle quitte alors la fonction publique hospitalière et s’inscrit à l’Institut de formation et de recherche sur les organisations sanitaires et sociales (Ifross), à l’Université Lyon 3, où elle suit un parcours de formation continue de 1992 à 1996 pour obtenir un diplôme d’ingénieur-maître Management des systèmes de santé, Management des établissements sanitaires et médicosociaux. Ce diplôme lui ouvre la voie à un poste de directrice adjointe puis de directrice des soins de l’hospitalisation à domicile (HAD) chez Soins et santé à Caluire (à proximité de Lyon). « C’était le tout début de l’HAD en France, se rappelle-t-elle. Dans cette petite structure, qui nécessitait beaucoup de polyvalence, j’ai travaillé sur la formalisation de l’HAD et ces travaux ont présidé à la circulaire de mai 2000 relative à l’HAD ». À titre personnel, Sylvaine Mazière-Tauran met au point des fiches techniques de soins infirmiers spécifiques à l’ambulatoire et effectue un travail de recherche sur le risque infectieux pour les patients équipés d’un dispositif implantable. En 2007, elle rejoint l’équipe du Pr Dominique Robert, chef de service de réanimation où elle avait débuté sa carrière à la Croix-Rousse, pour l’accompagner dans la mise en place d’un projet d'HAD pédiatrique jusqu’à son ouverture un an plus tard.

Nouveau virage en 2008 : Sylvaine Mazière-Tauran prend la direction d’un centre d’endoscopie digestive à Irigny (CFMAD-SOL, près de Lyon) pour vivre une expérience de management autonome. « Il s’agissait d’expérimenter l’exercice de dix centres destinés à développer la prévention grâce au dépistage et à l’endoscopie digestive. Ce poste répondait à mon envie d’expérimenter la direction d’établissement, une autre facette du management grâce à laquelle j’ai appris les relations avec les tutelles, le suivi budgétaire… », confie-t-elle.

En parallèle, depuis la fin des années 1990, elle est expert-visiteur de la Haute Autorité de santé (HAS). Une mission qui repose sur le management de la qualité et de la gestion des risques. Elle quitte cette fonction en 2012, lorsqu’elle rejoint l’association Cepprral comme consultante et évaluateur externe. Cette structure régionale d’appui à la qualité des soins et à la sécurité des patients en Auvergne-Rhône-Alpes a pour vocation d’aider les professionnels et acteurs des secteurs sanitaire et médicosocial dans l’amélioration continue de leur démarche qualité en les préparant à leur auto-évaluation et à des évaluations externes. « Je m’intéressais depuis longtemps au secteur médicosocial de par mes expériences en HAD, dont l’activité se situe toujours à la frontière avec le sanitaire, précise Sylvaine Mazière-Tauran. La maîtrise du risque infectieux, la qualité, la bientraitance, le circuit et la sécurité du circuit du médicament… sont autant de thématiques en lien direct avec la prise en charge des patients. »

En 2015, elle retourne dans le secteur hospitalier au sein du groupe Ramsay générale de santé, en tant que directrice des soins de l’hôpital privé Jean Mermoz. Parmi ses missions phares : l’accompagnement de l’établissement dans sa procédure de certification par la HAS.

Quand elle prend sa retraite, fin 2018, c’est pour s’impliquer dans une nouvelle vie active. Elle recandidate auprès de la HAS pour être expert-visiteur de certification – fonction qu’elle occupera jusqu’en février 2024 –, et s’engage comme bénévole au sein de la Ligue contre le cancer du comité du Rhône pendant quatre ans. « J’ai fait partie de l’équipe d’écoute et d’accompagnement des personnes et j’ai monté un projet d’accompagnement des personnes pour leur retour à l’emploi à l’issue de leur cancer », explique-t-elle.

Améliorer l’organisation et l’accès aux soins

Depuis avril 2024 et son élection à la tête de l’ONI, c’est une nouvelle page d’engagement professionnel qui s’ouvre. « Avec les neuf membres du bureau, nous réalisons un travail collectif pour animer le Conseil national et porter la défense de la profession. Notre objectif est de permettre une meilleure organisation des soins et un meilleur accès aux soins. »

À ce titre, la réforme professionnelle est une priorité, selon Sylvaine Mazière-Tauran, qui rappelle que « le texte de loi est là pour définir les grandes missions des infirmiers dans le système de santé. Le décret voté en Conseil d’État permettra de définir de manière plus précise les missions et activités, et un dispositif d’arrêtés listera les actes infirmiers. Tout le dispositif est prêt : Frédéric Valletoux était décidé à porter la réforme, le projet de loi devait être déposé à l’Assemblée nationale et soutenue par la députée Charlotte Parmentier-Lecocq le lundi suivant la dissolution… Il faut que le nouveau gouvernement, le ou la ministre de la Santé et les parlementaires acceptent de reprendre le projet pour le valider et le voter au plus vite ».

La succession rapide des ministres depuis quelques années a, de fait, ralenti l’avancée des discussions. « Il y a une attente forte de l’ensemble de la profession car le texte de définition des actes infirmiers est ancien, il ne tient pas compte de nouvelles techniques que les infirmiers appliquent déjà, dans un vide juridique. L’avancée du dispositif est aussi essentielle pour que les infirmiers libéraux puissent signer leur convention avec l’Assurance maladie. » Au début de l’été 2024, Sylvaine Mazière-Tauran a rencontré les représentants syndicaux salariés et libéraux et constaté à quel point la profession est impatiente de voir son autonomie reconnue, la pratique et la réglementation adaptées aux nouvelles techniques. « Les mots clés qui reviennent souvent dans nos échanges sont : reconnaissance des soins relationnels, diagnostic infirmier, consultation infirmière, développement de la recherche en soins infirmiers et des sciences infirmières, accélération de l’universitarisation, responsabilité, meilleure utilisation des ressources que nous constituons, facilité d’accès. » Sur ce dernier point, la présidente de l’ONI plaide pour une reconnaissance de l’accès direct aux infirmières pour faciliter l’accès aux soins, comme cela existe pour la vaccination, et se dit favorable à son extension aux pansements de plaie et de cicatrisation. « Car à chaque fois qu’on autorise l’accès à un professionnel de santé, on améliore l’accès aux soins, notamment dans les déserts médicaux. »

Elle reconnaît que certaines décisions récentes vont dans le bon sens, comme la désignation d’un infirmier référent pour les affections de longue durée ou encore la généralisation à tout le territoire de l’expérimentation permettant aux infirmiers d’établir des certificats de décès. Mais pointe le défaut de méthode. « Ces avancées devraient s’inscrire dans un dispositif global, alors qu’il s’agit de mesures ponctuelles. De nombreuses populations ont besoin d’être prises en charge : les enfants, les parents, les personnes souffrant de maladies psychiatriques, les personnes âgées… La réforme du métier socle va permettre de faire évoluer des spécialités comme les infirmières puéricultrices, qui attendent un nouveau référentiel depuis 40 ans ! » Reste à savoir si cette réforme tant attendue aidera à unifier la profession, dans un contexte où certaines spécialités réclament le statut d’infirmières en pratique avancée, quand ces dernières revendiquent la spécificité de leur exercice.

Quoi qu’il en soit, Sylvaine Mazière-Tauzan est déterminée à appliquer sa stratégie, annoncée dès sa nomination : « Avec mon équipe et l’ensemble des élus ordinaux, nous porterons les valeurs de la profession avec intégrité et détermination. C’est dans un esprit de travail collectif, d’écoute et de respect que je souhaite contribuer à l’évolution et à la transformation de la profession. »

Améliorer la connaissance de la démographie infirmière

La présidente de l’ONI est persuadée que la réforme du métier aidera aussi à améliorer l’attractivité de la profession. Mais un autre phénomène doit l’accompagner : une meilleure connaissance de la démographie infirmière et de sa pyramide des âges, indispensables pour faire de la prospective et former le nombre d’infirmiers dont le système de santé a besoin. Au 1er juillet dernier, sur 640 000 infirmiers recensés en France, seuls 538 699 étaient inscrits à l’ordre. « Il existe des infirmiers réfractaires, qui ne s’inscrivent pas. Nous devons faire un travail de pédagogie pour les informer sur l’existence et le rôle de l’ONI. Nous rencontrons aussi des problèmes dans la transmission des listes par les établissements sanitaires, bien qu’elle soit obligatoire depuis 2018 », souligne Sylvaine Mazière-Tauran. Parmi les établissements, il y aurait les « bons » et les « mauvais élèves ». « L’ordre reçoit trop de fichiers incomplets ou qui ne sont pas mis à jour… Cela nous complique la tâche et n’est pas acceptable, car le défaut d’inscription engendre un problème de sécurité. Un professionnel non inscrit n’a pas de numéro au Répertoire partagé des professionnels intervenant dans le système de santé (RPPS) tenu par l’Agence du numérique en santé, et par conséquent pas d’identité professionnelle. »