OBJECTIF SOINS n° 0301 du 15/09/2024

 

Ressources humaines

DOSSIER

Martine Simon   Carole Reynaud   Olivier Foubert  

Adjointe à la direction des soins et des parcours, Centre Léon Bérard, LyonManager pédagogique, Centre Léon Bérard, LyonManager pédagogique, Centre Léon Bérard, Lyon

Dans un contexte de tension de recrutement dans le monde paramédical, la fidélisation des collaborateurs est essentielle pour maintenir la stabilité des équipes soignantes et le bon fonctionnement des structures médicales. De l’embauche à la projection dans une évolution professionnelle, la politique de fidélisation du Centre Léon Bérard, à Lyon, soigne particulièrement les parcours professionnels.

La profession d’infirmier a connu au fil du temps de nombreuses et profondes transformations qui lui ont permis d’acquérir un statut reconnu et autonome. En parallèle, les valeurs représentatives des métiers de soins ont elles aussi évolué. Aujourd’hui, les infirmiers semblent s’orienter davantage vers des attentes qui leur sont plus personnelles.

Même si l’attrait salarial représente un élément capital dans la fidélisation des collaborateurs, il est loin d’être le seul. L’équilibre vie professionnelle-vie personnelle et les conditions de travail sont aussi des critères essentiels. Ainsi, le bien-être au travail et la sécurisation de l’arrivée en poste sont des éléments cruciaux permettant de créer un environnement favorable au développement des compétences et d’accompagner les collaborateurs dans leur prise de poste.

Au Centre Léon Bérard (CLB), la fidélisation inclut la collaboration de plusieurs acteurs,  à différents niveaux du parcours du nouveau professionnel :

- l’équipe pédagogique et les ressources humaines pour l’export de la « marque employeur » dans l’optique du recrutement : forums de recrutements, portes ouvertes ;

- l’équipe pédagogique et les tuteurs-tutrices pour l’accueil des nouveaux collaborateurs (aides-soignants – AS, infirmiers – IDE), leur accompagnement, leurs formations et leur montée en compétences ;

- les managers d’unités pour l’accompagnement, l’encadrement, la gestion des parcours professionnels (évolution de carrière, détection des talents, besoins de formation) ;

- la direction des ressources humaines (DRH) et la direction des soins et des parcours (DSP) pour l’accompagnement des carrières, la politique en faveur de l’octroi des temps partiels.

Des étudiants aux futurs collaborateurs

Avant d’évoquer leur fidélisation, il est nécessaire d’attirer les futurs collaborateurs. Comme beaucoup de secteurs en tension, les établissements de santé doivent se faire connaître et se démarquer pour attirer à eux les nouveaux professionnels qui ont parfois un choix pléthorique de propositions. Nombreux sont les étudiants IDE qui sont déjà préemptés en deuxième année.

L’équipe pédagogique du CLB, en collaboration avec la DRH, participe ainsi à diverses collaborations avec des instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) et instituts de formation des aides-soignants (Ifas), et mène des actions en lien avec les fédérations étudiantes (Fédération nationale des étudiant.e.s en sciences infirmières  – Fnesi, Fédération des étudiants en soins infirmiers lyonnais – Fesil). Les forums des métiers et portes ouvertes sont des occasions d’échanger avec les futurs professionnels, de présenter la spécialité de la cancérologie (souvent mal perçue), les différents parcours de professionnalisation pour les nouveaux embauchés, les différents postes proposés, les aménagements de travail possibles et la politique RH menée par l’établissement. La collaboration avec les fédérations d’étudiants nous permet de dialoguer sur les besoins en formation des futurs collaborateurs, de comprendre leurs aspirations professionnelles pour pouvoir construire un parcours permettant la fidélisation des professionnels dans notre établissement.

De même, le parcours mis en place pour les étudiants au CLB nous permet de les rencontrer à plusieurs reprises et de discuter avec eux de leurs aspirations professionnelles.

Accompagnement et fidélisation

L'arrivée et l’accompagnement des nouveaux professionnels dans l'établissement ont été actés comme cruciaux par la DSP. Cette décision constitue un pari sur la fidélisation des collaborateurs en tant qu’« ensemble des mesures permettant de réduire les départs volontaires » (Peretti, 1999), l’idée étant qu’un nouveau collaborateur bien formé et bien accompagné, sera un collaborateur fidèle qui « décide librement, en toute connaissance de cause, de rester dans l’organisation et se sent en adéquation avec l’entreprise et ses valeurs. » (Neveu, 1996).

Dès son accueil dans l’unité par le manager, le collaborateur doit se sentir intégré à part entière dans l’équipe et dans l’établissement. À cet effet, une rencontre institutionnelle est organisée dans les premiers mois de son arrivée au CLB afin de lui présenter la politique RH de l'établissement, le comité d'entreprise, le site, etc. De même, dès son arrivée dans l'unité, le cadre lui remet un tote-bag de bienvenue (figure 1), lui présente les grandes lignes du parcours de professionnalisation, avant de le confier à un tuteur désigné qui l'accompagnera pendant 15 jours.

Le tutorat est un temps d’accompagnement sanctuarisé en temps et en moyens humains. Il permet de favoriser le développement des compétences du nouvel arrivant, de le sécuriser dans ses pratiques professionnelles en s’assurant que celles-ci sont en adéquation avec les procédures institutionnelles.

À la fin de la période de tutorat, un échange entre le manager, le nouveau professionnel et le tuteur permet, grâce à une grille de compétences, de formaliser les acquis et de co-construire les étayages nécessaires à la montée en compétences. Cette première étape est importante pour la reconnaissance et la progression du futur professionnel.

Elle permet de :

- réaliser un premier bilan de ses compétences, le rassurant dans sa posture professionnelle ;

- lui fournir une vision globale des attendus de l’établissement et l’occasion de se projeter dans son futur professionnel (évolution salariale, visa intégration, dossier de spécialisation…).

Cette projection est un élément essentiel d’attachement du professionnel à l’établissement, à savoir la « disposition de la personne à agir, à faire des efforts pour l’organisation et un fort désir de rester membre de l’organisation » (Wils et al., 1992)

La suite du parcours, gérée par l’équipe pédagogique, prévoit un ensemble de rencontres entre le nouveau professionnel et des professionnels aguerris (référents, experts). Leur objectif est de favoriser la montée en compétences du nouveau collaborateur de manière progressive (sur les deux premières années du poste) et de lui présenter les différentes filières qui concourent à la prise en charge globale du patient (équipe mobile de soins palliatifs – EMSP, équipe mobile douleur, activité physique adaptée  – APA, etc.).

La connaissance de ces filières, qui ne sont peut-être pas au cœur de leur activité, permet un rattachement aux valeurs essentielles du CLB :

- d’abord, par la visibilité des missions de tuteur et de référent qui peuvent leur donner envie de s’investir à leur tour dans l’intégration de leurs futurs collègues ;

- ensuite, par une possible évolution professionnelle dans l’établissement (infirmière de coordination – Idec, stomathérapeute, experts, etc.)

Ces deux aspects contribuent à ce que le nouveau collaborateur, ainsi reconnu dans ses missions par l’établissement, reste « fidèle à son organisation […] et [qu’il] adopte, dans le cadre de son travail, une ligne de conduite qui privilégie les efforts continus » (Paillé, 2005).

Cela prend tout son sens dans une optique de fidélisation du nouveau collaborateur.

Réinventer le rapport au travail

Dans les caractéristiques influençant positivement la fidélisation, se trouvent le besoin de réalisation, l’intérêt du travail et la compétence perçue par la hiérarchie.

Le manager de proximité a donc un rôle majeur dans la détection des talents. C’est lui qui repère les appétences du collaborateur et lui propose des missions en adéquation avec ses besoins. Il s’agit d’un travail de personnalisation du parcours. Il peut, ainsi, lui proposer une mission de tuteur, de référent, ou l'encourager vers un projet professionnalisant (type diplôme universitaire – DU, master) pour accéder à des fonctions supérieures (IDE pour les AS - cadre de santé, infirmière de bloc opératoire – Ibode, infirmière en pratique avancée – IPA pour les IDE, figure 2).

Par ailleurs, la période post-Covid a considérablement bouleversé le rapport au travail, réinterrogeant la place de l’activité professionnelle et celle de l’individu, et redéfinissant notre façon de contribuer à la société. C’est ainsi que de nouvelles tendances émergent dans ce monde professionnel en constante évolution.

Les nouveaux collaborateurs veillent à une meilleure articulation vie professionnelle-vie personnelle, et recherchent plus de flexibilité dans leur travail.

Dans ce bouleversement de valeurs, le manager de proximité se doit d’écouter les aspirations personnelles de ses collaborateurs, et de prendre en considération les caractéristiques générationnelles (tableau 1, Ledein-Laroche, 2015) pour proposer une voie professionnelle qui permette la fidélisation du collaborateur.

Citons l’exemple des slasheurs, ces collaborateurs qui souhaitent concilier leur activité professionnelle avec un engagement personnel (confection culinaire, activité sportive de haut niveau, etc.). Ils se présentent à nous avec cette capacité d’embrasser plusieurs métiers et ainsi maximiser leurs compétences, diversifier leurs revenus et maintenir leur autonomie professionnelle. Les slasheurs embrassent la polyvalence comme mode de vie, bien loin d’un chemin professionnel linéaire où, encore hier, les collaborateurs cherchaient à tout prix un poste pérenne en contrat à durée indéterminée. Les slasheurs ne sont qu’un exemple du souhait des générations Y et Z de concilier différentes facettes de leur vie personnelle et professionnelle. Et c’est un défi majeur pour les managers qui doivent faire preuve de beaucoup de souplesse pour accompagner ces collaborateurs et les fédérer avec un projet individuel qui réponde aussi aux besoins collectifs de l’établissement.

Ces collaborateurs réinterrogent notre matrice du travail, héritée de nos parents. Les managers doivent être accompagnés par la DRH de l’établissement pour apporter des réponses adaptées afin de fidéliser ces générations plus « volatiles ». Car c’est la capacité de l’établissement à fidéliser qui permet une sécurisation des pratiques, une consolidation des bases organisationnelles et une prise en charge des patients optimale. Et même si certaines entreprises sont encore réticentes à accompagner ce type de profil, le monde du travail est en pleine mutation. Dans le domaine de la santé, il est maintenant particulièrement urgent de ré-enchanter et de réinventer le rapport au travail.

Une politique de fidélisation qui se cultive

Longtemps hésitants, frileux à l’idée même de réfléchir aux demandes de temps partiel de certains de nos collaborateurs, nous y voyons aujourd’hui un enjeu RH d’attractivité et de fidélisation. Nous avons souhaité nous adapter à ces demandes récentes et grandissantes. En effet, il s’agit d’une façon de conserver les compétences des professionnels et donc les expertises de personnes qui travaillent souvent depuis plusieurs années dans notre établissement. Nous affichons une politique RH interne claire avec des modes d’organisation du temps de travail variés et une possibilité de demander à travailler à temps partiel pour convenance personnelle. En répondant à leurs besoins et souhaits de recherche d’équilibre vie professionnelle et personnelle, nous favorisons la qualité de vie et des conditions de travail. Par ailleurs, au clair avec le parcours qu’ils peuvent accomplir au sein de l’établissement, les collaborateurs peuvent trouver plus de sens à leur travail.

Bibliographie

- Ledein-Laroche A. (2015), Les nouvelles générations au travail : différencier ou intégrer ? BearingPoint. https://www.bearingpoint.com/fr-fr/publications-evenements/publications/les-nouvelles-generations-au-travail-differencier-ou-integrer/

- Neveu J-P. (1996), La démission du cadre d’entreprise. Étude sur l’intention de départ volontaire, Economica.

- Paillé P. (2005), La fidélité au travail : éléments conceptuels sur la relation employé-organisation, Gestion 2000, p.295-309.

- Peretti J-M. (1999), Dictionnaire des Ressources Humaines, Éditions Vuibert.

- Reynaud C, Foubert O, Simon M. (2024), Un parcours pédagogique pensé pour une professionnalisation réussie. Objectif Soins & Management ; 299 : 41-45.

- Wils T, et al. (1992), Facteurs explicatifs de l’attachement à un secteur d’activité, Revue de gestion des ressources humaines, n° 4, p. 13-20.