ÉCONOMIE DE LA SANTÉ
Directrice des soins, coordinatrice générale des soins, Centre hospitalier de Cannes Simone Veil
Les directeurs des soins et l’encadrement sont engagés au quotidien dans la continuité des lignes de soins. Cet article a pour objet d’interroger les tensions pouvant s’exprimer entre adéquation des ressources humaines paramédicales et soutien à l’activité de soins. La posture des cadres de santé est orientée vers l’agilité et l’assertivité. Il s’agit de contribuer aux décisions tout en conservant au centre des préoccupations, la participation aux parcours de soins.
La direction des soins est en charge des ressources paramédicales et de leur ordonnancement au sein des établissements de santé. Ces derniers sont positionnés dans leurs missions d’activités de soins ; le financement par l’activité est un engagement majeur. Il semble pertinent d’interroger le rapport des cadres de santé et du directeur des soins aux enjeux du maintien des organisations de soins. En effet, la direction des soins participe au pilotage des ressources, dans un contexte de tensions. Elle œuvre afin que les lignes de soins soient maintenues. Loin des discours et réflexions qui postulent une adaptation théorique du nombre de soignants au lit du patient, il s’agit de maintenir ou positionner des professionnels en accompagnement des patients et en réponse à leurs besoins.
Nous verrons dans une première partie que, replacées dans leur contexte, les notions de production de soins et d’activité requièrent une prise de recul conceptuelle pour leur bonne intégration et mobilisation en situation ; nous interrogerons la notion d’attractivité pour nos professionnels. Ensuite, nous dégagerons quelques pistes de réflexion et solutions afin de préserver ce fragile équilibre entre activités et respect des valeurs soignantes, et traiterons de ce qui, à la main des cadres managers, peut permettre de conserver le sens au travail et la cohésion d’équipe. Comme souvent, dans le cadre argumentaire, nous constaterons que le balancier, s’il tend vers un équilibre, tient dans ses deux plateaux de la balance, avec la nécessité de ne pas faire paraître un avantage plus qu’un autre. Production de soins et financement à l’activité ne sont pas antinomiques.
Nous partirons du postulat que la direction des soins, dans sa structuration, gère et pilote au quotidien les ressources humaines et compétences qui permettent un accompagnement des patients et une dispensation de soins qualitative.
Si le soutien à l’activité est le corollaire de la production de soins, il convient de déterminer ou rappeler le sens des mots. Il est entendu par production de soins, la capacité hospitalière à s’engager avec des moyens et équipements techniques performants afin de répondre aux besoins des patients au sein d’un territoire où l’établissement de santé est implanté. Si la dimension éthique et sociale de l’hôpital tend à diminuer au profit d’une offre de soins avec plateau technique, il s’agit pour autant d’offrir aux personnes qui le nécessitent un temps d’hospitalisation dont la durée moyenne de séjour rend compte ; celle-ci demeure un indicateur qui engage chaque établissement dans un objectif à court et à moyen terme et permet, in fine, un comparatif entre établissements. Dans son étude en 2019, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees)(1) évoque une moyenne de 5,5 jours d’hospitalisation complète contre 6 jours dans le privé, reflet des profils patients sensiblement différents entre les deux secteurs. La tendance des séjours dits partiels croît de plus en plus, affichant une progression de 54 % depuis 2002 face aux politiques incitatives de séjours dits ambulatoires dans l’ensemble du champ MCO (médecine, chirurgie, obstétrique).
L’activité de soins relève quant à elle d’un ensemble cohérent d'actions et de pratiques mises en œuvre pour participer au rétablissement ou à l'entretien de la santé d'une personne. Un acte de soins peut se décomposer en tâches définies et limitées, qui peuvent être indépendantes dans leur réalisation. La Haute Autorité de santé (HAS)(2) rappelle qu’en matière d’activité de soins, les actes sont définis et se déclinent dans le cadre des décrets de santé publique conférant compétences aux professionnels ayant réuni les conditions nécessaires pour exercer.
Le décret du 20 septembre 2017 qui régit l’exercice professionnel du directeur des soins mentionne dans son article 4 : « Il participe, en liaison avec le corps médical et l’ensemble de l’encadrement, à la conception, l’organisation et l’évolution des structures et des activités de soins ». Son rôle de manageur l’engage au quotidien dans l’organisation des soins avec l’encadrement de proximité et supérieur. Piloter ne s’apparente pas, selon nous, à se contenter « d’administrer » ou de poser un cap aux équipes : il s’agit d’accompagner avec agilité les modifications d’activité qui ne cessent d’évoluer au sein de l’établissement. Notre propos ne sera pas de rappeler la place essentielle de ces directeurs au sein d’une gouvernance équilibrée, mais bien plutôt de débattre des enjeux qui sont les leurs, avec leurs équipes. Un volet semble se dégager comme levier essentiel et contributif à ces missions, celui de travailler l’attractivité et la fidélisation des professionnels non médicaux, dont le directeur des soins avec son encadrement, a la responsabilité.
Attirer les professionnels paramédicaux et les fidéliser dans un exercice au sein des établissements relève d’une politique volontariste et plurifactorielle dont nous énoncerons quelques aspects afin d’éclairer nos propos et avancer au cœur du sujet qui nous occupe. En effet, l’attractivité a été le sujet de nombreuses études dont l’une a retenu notre attention au regard de son ampleur et de la richesse des éléments partagés : celle de la Fédération hospitalière de France (FHF) qui analyse les difficultés de recrutement des infirmières au sein des établissements, enquête menée auprès des établissements publics, privés et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad)(3). Plusieurs motifs sont énoncés expliquant un manque d’attractivité dans le recrutement des professionnels infirmiers. Citons parmi eux, les difficultés de rémunérations (le Ségur de la santé a depuis énoncé ses effets sur ce point), le souhait d’un équilibre fort entre vie professionnelle et vie personnelle, la souplesse et agilité attendue entre contraintes journalières, capacité à soutenir sa propre équipe en cas d’absentéisme inopiné ; enfin sont pointées la politique d’accueil des étudiants en stage, une attractivité globale et des projets proposés par chaque établissement fédérant médicaux et paramédicaux.
La question de la réunion-bilan en fin de stage se pose ; sous forme d’une séquence de travail pour les étudiants d’un même pôle, déclinée par le cadre du pôle et le directeur des soins. Ces temps d’échanges permettent d’apprécier les atouts, les vécus de chacun, les forces ou les difficultés rencontrées ; c’est un levier qui favorise un regard sur des pratiques d’encadrement en équipes et du tutorat individualisé. Cela permet également de réfléchir à une politique des stages évolutive tout en s’adaptant aux besoins des étudiants. Faire preuve de transparence dès le début de stage, reprendre in fine les éléments de vécus des professionnels et étudiants, c’est également démontrer l’intérêt porté à leur analyse et posture, et préfigurer l’intégration de futurs professionnels au sein de l’équipe.
Évoquer l’agilité des professionnels et qui plus est, d’une direction des soins, invite à réfléchir aux liens et articulations entre le directeur des soins, l’encadrement et l’ensemble des équipes. Il semble que si nous considérons la direction des soins comme un atout majeur de connaissance des réalités vécues par les équipes, alors celle-ci se doit de refléter avec exigence la réalité des tensions et adaptations au sein de ces équipes. Il s’agit donc au quotidien de créer des temps de travail qui permettent d’exprimer ses allers et retours entre réalité vécue au sein des unités et pôles avec le directeur des soins. La gestion des ressources humaines aussi contrainte soit elle, est à confronter à la lecture des possibles. Cela suppose et engage selon nous, outre une relation forte et de confiance, d’avoir déterminé quelques critères sur lesquels la réflexion va s’appuyer. Nous pouvons en citer deux, le premier concerne la gestion de l’absentéisme tel que relevé quotidiennement et les mesures ou marges de manœuvre de l’encadrement afin de faire face aux enjeux ; le second est celui du recrutement jaugé de manière hebdomadaire afin de mesurer si les tensions sont passagères ou vont durer dans le temps au regard du contexte : absence de sorties d’écoles initiales ou spécialisées, tensions sur le marché du travail de manière globale, connaissance des acteurs et établissements voisins publics ou privés, réseaux intérims, professionnels vacataires. L’ensemble permet de juger des difficultés chaque semaine et de se projeter, de manière réaliste et avec hardiesse, en faisant face aux aléas multiples. Ce sont ces derniers éléments qui se doivent d’être portés au sein d’une gouvernance afin de trouver ensemble le bon cap et le bon équilibre pour l’établissement. L’essentiel réside dans la capacité à dialoguer avec les acteurs, à positionner ce qui semble juste et essentiel.
La prise de risque est inhérente au pilotage des directions de soins et appelle, au-delà de l’engagement, au respect des professionnels qui œuvrent au quotidien. Aller vers et au-devant des équipes est un gage de confiance partagée entre le directeur des soins et les professionnels.
Quelles seraient les pistes de réflexions, les projections qui permettraient de jalonner le quotidien des directions des soins et de l’encadrement ? Comment perdurer dans le temps quant à la question du difficile équilibre entre activité de soins et contribution à l’activité soutenue de l’établissement de santé ? L’un des axes est celui de la formation.
Il est prioritaire de former les cadres de santé à leur posture de managers, contributeurs aux décisions prises. Force est de constater que le débat court aujourd’hui au sein des collectifs cadres ; est-on dans une posture de manager-décideur ou prolonge-t-on sans la nommer la position d’exécutant ? Exécutant de la direction des soins ? Exécutant des décisions médicales ?
L’association nationale des cadres de santé (Ancim) propose chaque année des journées de réflexion qui réunissent de nombreux professionnels. Pour l’année 2024, les journées cadres de l’Ancim(4) ont positionné le débat sur les compétences des cadres manageurs de demain entre innées et acquises, et ont traité du sens des apprentissages face aux enjeux de santé. Pour ce collectif, l’introduction aux journées est rédigée de la manière suivante : « Le débat entre les compétences innées ou acquises en management est complexe et il n’y a pas de réponse unique. Cependant, la plupart des experts conviennent que le management est une combinaison d’aptitudes naturelles et d’acquisitions de compétences. La formation permet aux futurs cadres de santé de s’adapter aux défis actuels et futurs auxquels les organisations sont confrontées, favorisant ainsi le développement professionnel et la croissance personnel des individus. Il ne suffit pas d’être un bon professionnel pour être un bon cadre de santé ». Les débats ont été riches et propices à contribuer aux réflexions dans le prolongement de nos propos.
Manager suppose un collectif cadres qui s’appuie sur un socle de connaissances et d’expériences acquises individuellement et partagées collectivement. Un autre axe de développement est de favoriser l’agilité des managers de la direction des soins en intégrant et capitalisant sur les expériences de chacun et en partageant ensemble les réussites. Une méthode semble avoir ses preuves, celle de l’animation de groupes de codéveloppement. Méthodologie développée et implantée au Canada, dans les années 1980, puis en France tout d’abord au sein des entreprises, les séances se déroulent en collectif. D’appartenance au même groupe de pairs ou entre cadres au sein de l’établissement, le « Codev »(5) en termes d’objectifs, permet d’une part de partager l’expérience engagés à résoudre des situations complexes, d’autre part de déterminer les invariants partagés qui permettront à chaque cadre de se positionner avec plus d’aisance et d’agilité. Il s’agit de réinvestir les acquis lorsqu’une nouvelle situation, avec les mêmes caractéristiques, se présente ; l’expérience analysée la première fois est capitalisée, les compétences intégrées sont mobilisées lors de nouvelles situations. En plus de favoriser une réingénierie « gagnante » lors de prochaines rencontres situationnelles complexes, cette méthode et ses conclusions encouragent l’engagement du collectif, et évitent au cadre de s’isoler. En effet, dans des situations difficiles, à fort enjeu, il est tentant de se replier sur soi au détriment du collectif d’appartenance.
Un autre axe de réflexion prometteur pour le manageur consiste à mieux se connaître en intégrant et utilisant sa gestion émotionnelle. Nous nous sommes intéressés aux publications récentes de Laurence Sautivet(6), consultante spécialisée en stratégie et développement d’entreprise, certifiée en approche neurocognitive et en management appréciatif (Appreciative Inquiry). Cette professionnelle-chercheure accompagne les collectifs dans leurs évolutions. La connaissance du fonctionnement cérébral et comportemental semble être une clé essentielle favorisant la réussite humaine, individuelle et collective. Il est intéressant que les cadres tout comme le directeur des soins puissent s’appuyer sur les habiletés managériales qu’elle décrit : la vision, afin de communiquer clairement, la persévérance engageant une forme de résilience, le courage ou la bravoure face aux difficultés, la confiance en soi mais également dans le collectif de l’équipe et celui formé au sein de la direction des soins, ainsi que la curiosité qui amène un regard nouveau, laisse place à la diversité. Manager selon les neurosciences engage la connaissance de soi et de son fonctionnement cérébral. Si nous avons tenté une approche raisonnée entre tenue des lignes de soins, activité de soins, réponses aux besoins des patients et maintien des valeurs du soin tout comme du respect des soignants, alors cela nous engage à mieux nous connaître dans nos formes de management tout comme dans la connaissance de nos équipes. Persévérance, confiance, courage, curiosité et résilience sont des traits de caractère qui permettent depuis toujours de traverser les étapes difficiles rencontrées dans les exercices professionnels tout comme dans la vie personnelle. Apprendre à les développer ou les renforcer pourrait être des axes engagés pour les managers, au profit d’une satisfaction certaine à exercer ses missions.
Enfin, nous développerons un dernier axe, celui de la nécessaire ouverture des professionnels hospitaliers sur leur territoire : la perméabilité, « aller vers » les professionnels du territoire. En effet, l’hôpital a la possibilité de s’inscrire dans les parcours de soins des patients, non comme seul maillon central mais plutôt comme l’un des acteurs de ces parcours. Pour les équipes de la direction des soins, c’est également ouvrir leurs portes aux professionnels libéraux paramédicaux que ce soit pour de la formation ou des échanges afin de coconstruire et coopérer en apprenant de chacun. Cela amènera sans doute du débat ou de la confrontation quant aux visions portées de part et d’autre ; cela amènera sans nul doute un gain de temps en structurant les réponses apportées de manière coordonnée aux usagers. Chacun à sa façon développe une connaissance des acteurs présents, il n’y a aucune démarche à négliger. La mise en œuvre des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS)(7) qui regroupent les acteurs de ville et hospitaliers est un moyen qui peut permettre de décloisonner les pratiques et permettre de réunir les professionnels volontaires afin d’échanger et construire des parcours de soins fluides et accompagnant des patients. Il nous apparaît utile de préciser que la notion de temps est essentielle à prendre en compte.
Nous avons évoqué, plus haut, trois axes à développer qui favorisent le management du cadre de santé avec satisfaction, la prise en compte de l’expérience et sa réingénierie en situation, la connaissance de soi et enfin la nécessaire ouverture sur son territoire avec les rencontres possibles à la rencontre des acteurs. Ces trois axes nécessitent du temps : pour se former, pour se connaître, pour gagner en confiance collective et apprécier la plus-value du collectif. Cette notion de temps long ne s’oppose pas à la rapidité des réponses apportées, elle s’incrémente afin de nourrir les perspectives.
En conclusion, manager engage une vision holistique et altruiste de ses propres missions au service d’un collectif. C’est sans nul doute, l’unique moyen de ne pas céder aux tentations du « tout, tout de suite » afin de poursuivre l’engagement au sein d’un système de santé efficient humainement et économiquement. Le rôle des directions des soins est bien de servir, avec compétence, l’accès aux soins du plus grand nombre ; il s’agit de ne pas perdre de vue cet objectif, comme une boussole permet de se positionner sur le bon cap. L’exercice des métiers du soin engage nos responsabilités de managers envers les équipes de professionnels afin de tenir un équilibre entre activité de soins et respect des soignants. Former les cadres, les engager et leur permettre de mieux se connaître en situation de travail, sont sans doute des clés afin que ces derniers évoluent avec assertivité et créativité au service des usagers et des équipes qu’ils encadrent. Ayons confiance en ces collectifs humains qui œuvrent au quotidien en conservant leurs valeurs altruistes et humanistes.
La direction des soins est souvent aux croisées des problématiques au sein de l’établissement. Celles-ci pourraient être présentés de la manière suivante : avoir la capacité de répondre aux organisations des équipes de soins en ajustant dans la mesure des possibles les compétences, le nombre de soignants ; être force de proposition et contribuer à la structuration de la réponse aux besoins des patients et à la nécessité de l’établissement de maintenir son activité.
L’accueil des étudiants en stage est un sujet de convergence entre les instituts de formation et les directions des soins des établissements. Quelles que soient les déclinaisons choisies, que ce soit un accueil ciblé sur certains semestres d’apprentissages, ou de manière plus globale pour chaque stage, la démarche est une étape essentielle. Pour l’ensemble des étudiants accueillis, présenter l’établissement et le contexte dans lequel il va s’immerger, confirme la considération apportée à son évolution en qualité d’apprenant.
1. Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Les dépenses de santé. 2019.
2. Haute Autorité de santé. Les nouvelles formes de coopération entre professionnels de santé : les aspects juridiques. Octobre 2007.
3. Roux A. Attractivité paramédicale et difficultés de recrutement. Enquête de la Fédération hospitalière de France (FHF). Revue hospitalière de France 2019 ; 590 : 14-17.
4. Association nationale des cadres de santé, http://www.ancim.fr
5. Hoffner-Lesure A, Delaunay D. Le codéveloppement professionnel et managérial. Éditions EMS, 2011, 2019.
6. Sautivet L, Fradin J. Le neuromanager. Managez et décidez avec les neurosciences. Vuibert, 2020
7. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ont été créées par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.