Cadre de santé au sein du pôle de médecine d’urgences imagerie, responsable du service médecine intensive, réanimation, prélèvement de tissus au Centre hospitalier intercommunal Elbeuf Louviers Val-de-Reuil (Seine-Maritime), Karim Mameri est également président du Conseil de l'ordre des infirmiers Seine-Maritime et Eure. Passion, engagement et polyvalence sont les moteurs de ce manager-facilitateur.
Vous vous présentez comme infirmier cadre de santé. Cadre de santé seul ne suffit pas ?
Il est fondamental de ne pas segmenter les identités professionnelles à l’hôpital ; c’est pourquoi on ne peut pas ne plus être infirmier dès lors qu’on obtient le diplôme de cadre de santé. En devenant cadre, on reste infirmier, c’est ma conviction. Avant d’intégrer la réanimation en mars 2020, j’ai exercé pendant 16 ans comme cadre de santé en pédiatrie, déjà au Centre hospitalier intercommunal Elbeuf Louviers Val-de-Reuil. Et tous les jours, j’ai pu constater, en échangeant avec les parents et les enfants, les adolescents notamment, que si vous vous présentez comme cadre de santé, ça ne leur parle pas ! Quel professionnel peut avoir une identité forte si elle n’est pas compréhensible du plus grand nombre ? Pour moi, se présenter comme infirmier cadre de santé fait la différence : cela veut dire qu’on est comme le chef des infirmiers, et ça tout le monde comprend (surtout auprès d’enfants). En tant qu’encadrant, il ne faut pas oublier d’où l’on vient et personnellement, j’espère faire mon travail correctement car je connais le métier d’infirmier, de soignant, que j’ai exercé pendant six ans. Je suis convaincu que le rapport de Singly, qui comparait en 2009 le manager hospitalier à un manager en entreprise, était dans l’erreur. Ce qui fait un bon manager à l’hôpital, c’est aussi toute son expertise métier ; la connaissance métier est indispensable pour savoir écouter et comprendre les difficultés des soignants.
Comment vous est venue l’envie de l’encadrement ?
Ma première motivation a été de conduire des projets pour améliorer la qualité et la sécurité des soins. Cela m’a mené à l’encadrement, d’abord comme infirmier faisant fonction de cadre, puis comme cadre diplômé en 2006. Selon moi, le cadre de santé est le garant de la qualité et de la sécurité des soins.
Quel est, d’après vous, le rôle de l’infirmier cadre de santé pour y parvenir ?
À mes yeux, sa mission est avant tout d’être un facilitateur. Le planning, l’évaluation, ne sont pas le cœur de son métier. Notre rôle est de faciliter l’organisation pour faire en sorte que les professionnels puissent prodiguer des soins de qualité en totale sécurité. Une qualité essentielle pour y parvenir est l’adaptabilité. Je l’ai particulièrement expérimenté en tant que réserviste sanitaire : en 2019, j’ai participé à une mission de l’ARS [Agence régionale de santé – ndlr] à La Réunion, pour faire face à l’épidémie de dengue. Ma mission initiale était de gérer les plannings et de piloter les équipes, mais rapidement, on m’a confié la coordination de la communication auprès des infirmiers libéraux et pharmaciens pour mettre en place des Tests rapides d'orientation diagnostique (Trod). C’était passionnant ! Autre expérience : j’ai candidaté à une mission de l’ARS destinée à gérer la crise Covid en Guadeloupe en août 2021. Cela m’a amené à coordonner 250 volontaires médico-soignants, tout en gérant les relations avec la presse. Cette aventure hors norme a été exceptionnelle sur le plan humain.
Comment expliquez-vous la désaffection des infirmiers pour l’encadrement ?
Aujourd’hui, la profession n’attire plus, c’est un fait : il reste des places vacantes dans les instituts de formation des cadres de santé. Et même à l’EHESP [École des hautes études en santé publique – ndlr], sur la filière des directeurs des soins, il y a eu seulement 100 candidats au concours cette année pour 79 places… Ce n’est pas beaucoup. En 10 ans, la baisse du nombre de directeurs des soins diplômés est de 30 % ! Cela doit interroger. Les cadres sont en souffrance et cela génère une crise de l’encadrement. C’est un métier difficile, où il faut atteindre des objectifs sans toujours disposer des moyens nécessaires. Le blues des cadres est le reflet de celui des infirmiers et des professionnels de santé en général. Le manque de reconnaissance, la faiblesse du salaire, les conditions de travail dégradées à cause de crises successives… Tout cela impacte la satisfaction au travail, qui est multifactorielle. Il me semble que si on valorisait mieux leur rôle de facilitateur, on pourrait améliorer l’attractivité de ce métier à l’hôpital.
Avez-vous des pistes pour y remédier ?
Des changements dans notre posture pourraient être bénéfiques. Je crois beaucoup au mentorat, sorte de tutorat 2.0. En pédiatrie, je proposais aux nouveaux arrivants un parrain ou une marraine. Aujourd’hui, en réanimation, je nomme de manière informelle des mentors après m’être assuré que les personnes ont un bon relationnel. C’est une sorte de compagnonnage car ce dont nous avons besoin, dans l’organigramme ou le logigramme, c’est de ne pas être seul, de pouvoir compter sur quelqu’un. Aux États-Unis et au Canada par exemple, les infirmiers nouvellement recrutés bénéficient de nombreuses formations ; ils sont véritablement accueillis et suivent un parcours d’intégration. De même, il existe souvent deux types de cadres dans les services : l’un expert, sur le terrain, l’autre consacré au planning. J’ai expérimenté ce système dans certains services où la direction des soins m’a permis d’avoir une adjointe et cela a très bien fonctionné !
Vous êtes engagé de longue date au sein de l’Ordre national des infirmiers (ONI). Comment expliquez-vous que tous les infirmiers et cadres ne soient pas inscrits ?
Je suis en effet président de l’ONI Eure et Seine-Maritime depuis 2008 et j’ai été secrétaire général du Conseil national de 2009 à 2017. Historiquement, l’ordre était mal parti, avec une cotisation à 75 €, trop élevée. Les syndicats, qui étaient à l’époque les seuls représentants de la profession – alors que moins de 3 % de la profession était syndiquée ! – se sont fortement opposés à l’Ordre. Aujourd’hui, les choses se sont apaisées. Dès lors que l’on explique en quoi consistent notre mission et les actions que nous menons, les infirmiers adhèrent. Une infime minorité est restée sur des préjugés, mais l’essentiel a compris notre bien-fondé. Et dans les faits, l’ONI participe concrètement à l’évolution de la profession. Nous avons été très impliqués dans la mise en place de la pratique avancée avec la loi de 2016, et sommes engagés dans la reconnaissance des compétences, l’élargissement de la prescription de la vaccination ou encore, plus récemment, l’expérimentation de l’établissement des certificats de décès par les infirmiers.
Quelles sont vos attentes de la part du nouveau gouvernement ?
Il y a beaucoup de choses à mettre en œuvre ! La réforme de la formation infirmière, engagée avec les représentants de la profession, est évidemment très attendue. Elle est essentielle pour parvenir à une véritable reconnaissance de la place des professionnels infirmiers. Il faudra veiller à ce que les infirmiers et aides-soignants, eux aussi en quête d’une meilleure reconnaissance de leurs compétences et de leur formation, ne se fassent pas ombrage. Les infirmiers ne doivent pas avoir peur de la montée en compétences des aides-soignants, de la même façon que les médecins ne doivent pas craindre les IPA [infirmiers en pratique avancée – ndlr]. La place du cadre doit elle aussi être redéfinie. Nous devons changer de paradigme : le texte principal qui régit notre profession, l'arrêté du 18 août 1995, date en effet de près de 30 ans, ce qui peut sembler obsolète au regard des évolutions du système de santé et des pratiques managériales. Le cadre réglementaire doit évoluer pour faire du cadre un facilitateur de la prise en charge de qualité, tant vis-à-vis du patient que du soignant, dans toute la dimension de bienveillance et d’accompagnement. Les équipes doivent considérer leur encadrement comme un soutien. Des États généraux de l’encadrement pourraient être utiles pour entendre les propositions des acteurs concernés. J’espère aussi que la profession sera plus amplement associée aux décisions ministérielles. La prise en charge des patients n’est pas uniquement médicale, elle repose sur tout un système de professionnels qui doivent travailler ensemble, se connaître pour apporter des solutions qui correspondent aux attentes.