LE SENS DES MOTS
Infimier anesthésiste, cadre supérieur de santé
Processus intersubjectif complexe, l’empathie consisterait à se projeter dans la réalité d’autrui, à comprendre et/ou éprouver son vécu, sans se confondre. Ce concept polysémique, universel, d’approche pluridisciplinaire et évolutive, ouvre à des explications et connotations hétérogènes et discutées. Distincte de la sympathie, l’empathie s’entend comme une disposition altruiste avec une capacité de décentrement. Par-delà sa visée humaniste, sa fonction sociale et politique, elle se décline aussi en modalité clinique et éthique, soluble dans la relation thérapeutique soignant-soigné.
Pour être en empathie avec autrui, faut-il se mettre dans « sa peau » ? Pourquoi, comment, jusqu’où ? L’empathie est un concept incertain, protéiforme, évolutif, à définition insaisissable et pourtant idéalisé, ressenti et voulu par certains comme une disposition humaine fondamentale, voire vitale. Innée et ou culturelle, elle serait au fondement de la morale, à la source de comportements prosociaux – bienveillance, coopération, solidarité – mais constituerait aussi un rempart contre le repli sur soi, l’égocentrisme, les inégalités, l’exclusion… En manquer conduit à l’inhumanité, à la violence, au chaos ; en excès ou hors de son usage vertueux, elle est préjudiciable. Son contenu affectif et psychique fut longtemps pressenti et dilué dans celui de la sympathie. De nos jours, le caractère diffus et malléable de ses propriétés fait qu’elle est aussi assimilée ou suspendue à des notions telles que la compassion, la pitié, l’allocentrisme, la miséricorde. Souvent considérée sous deux dimensions distinctes ou conjointes – émotionnelle et cognitive – auxquelles certains ajoutent un facteur motivationnel, l’empathie continue de se structurer et de se définir selon la grammaire propre à chacune des disciplines qui se l’approprient.
D’émergence récente (1872) sous le vocable allemand einfühlung (« se ressentir dans »), le mot se dira empathy en anglais au début du 20e siècle puis sera francisé peu après(1). À l’origine, le mot einfühlung définit la relation sensible qui se noue entre un observateur et une œuvre d’art dont il éprouve le sens profond.
C’est donc dans le champ lexical de l’art esthétique que s’enracine à l’origine ce néologisme. À l’aube du 20e siècle, le philosophe allemand Theodor Lipps(2) développe et élargit les fondements, le spectre et les mécanismes du phénomène, reprenant peu ou prou la thèse de son prédécesseur Robert Vischer, théoricien originel de l’einfühlung. Dans leur sillage, les notions d’imitation et d’identification sont associées, retenues et contextualisées par la psychanalyse mais diversement accueillies.
La sociologie, de son côté, aborde l’empathie de manière contrastée. Tantôt le concept est tenu à distance, ne pouvant servir de méthode ni d’outil pour rendre compte du fait social, tantôt son principe et son mécanisme suscitent l’intérêt des chercheurs. Nous n’aborderons pas l’approche sociologique de l’empathie ici.
Pensant fournir les clés de sens et de définition de l’empathie, les neurosciences ont illustré par l’imagerie ses bases neuronales à partir du paradigme des neurones miroirs. Toutefois, cet apport scientifique ne convainc pas pleinement. Nous dirons pourquoi, avant d’évoquer brièvement le rôle et le sens accordés à l’empathie par Carl Rogers dans la relation thérapeutique soignant-soigné.
Selon le dictionnaire grec-français (A. Bailly), le terme empathie provient du grec ancien empatheia d’où vient empathês (« affecté, qui se passionne ») composé du préfixe ἐν / em, en « dans, à l'intérieur », et πάθoς / pathos, défini comme « souffrance, ce qui est éprouvé ». L’empathie est un état affectif éprouvé de l’intérieur.
Le caractère évolutif, multidimensionnel et pluridisciplinaire de l’empathie lui vaut plusieurs définitions apparentées, en attente d’un énoncé précis et consensuel.
Le Dictionnaire de l’Académie française envisage l’empathie comme « capacité de s’identifier à autrui, d’éprouver ce qu’il éprouve ».
Le Larousse note qu’elle est calquée sur le mot allemand einfühlung et l’entend comme « faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent ».
Pour le Robert, « c’est la capacité à se représenter ce que l'autre ressent ».
Ces définitions retiennent le caractère sensoriel et intersubjectif de l’empathie. De façon synthétique et provisoire, l’empathie est la faculté d’identifier, de comprendre et/ou de partager sans assimilation, au plus juste, l’état intérieur d’autrui (encadré 1). D’autres considérations conduisent à des définitions plus amples.
L’empathie est souvent élevée au fondement de ce qui fait l’humanité de l’individu. Omniprésente dans les champs d’interactions sociales, enseignée dans les écoles, appréhendée comme une nécessité existentielle, elle ne répond jusqu’ici à aucune définition qui fait autorité. L’équivalence ou la distinction sémantique avec d’autres notions, telles la compassion, la pitié, la sollicitude, etc., ne sont pas strictement établies. L’absence de caractères définitoires empêche ainsi de saisir avec clarté sa juste et définitive compréhension. Rappelons que l’inclination à se préoccuper du sort d’autrui, à partager son vécu, en résonance avec ses propres valeurs et sa subjectivité, a été historiquement comprise dans le champ de la sympathie ; définie génériquement comme un concept de partage d’affinités et de contagion des sentiments. Des auteurs tels Adam Smith, David Hume, Max Scheler, ont attribué à la sympathie les considérants dévolus aujourd’hui à l’empathie. Pour Smith, la sympathie indique « notre affinité avec toute passion, quelle qu’elle soit »(3). C’est une disposition existentielle nécessaire à la vie commune. La sympathie consiste à ressentir ce que vit autrui et à partager avec lui. Elle est source de morale et ouvre à une dimension politique et universelle. Dans son Traité de la nature humaine, Hume entend la sympathie comme la capacité humaine de participer à la sensibilité des autres, permise par une correspondance des âmes, et la source vertueuse de rapports moraux entre les individus(4). Scheler « réfute » en quelque sorte l’einfühlung et fait de la sympathie à la fois un état de connaissance et de partage des sentiments d’autrui(5). De nos jours, sympathie et empathie recouvrent des états d’être distincts, mais nourrissent toujours des liens de parenté confondants. De l’origine du concept au 19e siècle à aujourd’hui, l’empathie charrierait autant de définitions que de chercheurs qui s’y sont consacrés. Le propos suivant en retient quelques-unes, de façon synthétique.
La première acception de einfühlung reviendrait au philosophe allemand Johann Godfried von Herder, mais Robert Vischer, dans le sillage de son père, est le premier à théoriser le concept, appliqué au domaine de l’art et sa dimension esthétique, dans une monographie de 1872, Le sentiment optique de la forme(6), suivie de deux articles.
L’einfühlung (avant d’être empathie) est un processus de projection imaginaire, non intentionnelle, de nature sensorielle et psychique, dans une relation esthétique entre un observateur et une œuvre d’art. C’est un mouvement de transposition de soi dans une chose extérieure et qui, par résonance, imitation ou identification, opère une forme de communion émotionnelle et psychique. La relation visuelle avec un objet est susceptible d’un processus empathique par l’excitation que suscite l’objet sur l’observateur, l’émotion et les sentiments qui en résultent et leur transposition comme contenu psychique dans l’objet. L’empathie procède, selon R. Vischer, par « une sublimation mentale immédiate de l’excitation sensible »(7). Les capacités du sujet à entrer subjectivement en résonance avec l’objet, à le pénétrer, à l’intérioriser, de façon mimétique et synesthésique, font de l’empathie un processus de nature anthropomorphique. Il émane de l’objet un contenu psychosensoriel que l’on fait sien.
De façon résumée, l’einfühlung de Vischer est un double mouvement de transposition entre un objet et son observateur. Celui-ci est investi du contenu psychique de celui-là (sensation, sentiment, émotion), qui lui fait intérioriser et éprouver l’objet (fond et forme) devenu instance de sensibilité et d’émotion.
Les travaux de Theodor Lipps (1851-1914) dans les domaines de la connaissance, de la métaphysique, de l’éthique, de la psychologie, etc., ont marqué la pensée intellectuelle, culturelle et artistique allemande à la fin du 19e siècle. Sa contribution à l’étude de l’empathie(8) est notable et notoire.
Si sa définition du concept évolue, elle est d’abord générique. L’empathie est un état conscient de transposition de soi dans les objets que l’on assimile et dont on se ressent. Lipps précise qu’elle est à la source de leur connaissance, mais conditionnée par la connaissance de soi. C’est la détermination du moi qui permet d’appréhender une chose extérieure à soi, de s’y projeter et d’avoir avec elle une expérience subjective. « Chaque assimilation de ce que j’accepte (en moi) correspond à un phénomène d’empathie » (9).
Il est amené ensuite à définir l’empathie selon plusieurs approches : celle de l’empathie aperceptive (au-delà de la perception) et de l’humeur (ex : la manière de percevoir une couleur, l’émotion et l’humeur engendrée), l’empathie comme source de connaissances, l’empathie esthétique, éthique, des mots…
Phénomène pluriel, l’empathie est un processus psychologique, sensoriel et affectif, mais aussi une expérience cognitive, relationnelle et d’intersubjectivité qui ouvrent à la connaissance sensible d’une personne, d’une chose extérieure et en communion avec soi-même. L’empathie est une « jouissance objectivée de soi », selon Lipps.
La philosophie s’est peu attardée à l’étude de l’empathie durant le 20e siècle, préférant voir dans la sympathie un contenu sémantique mieux disant et plus consensuel. L’apport de certains auteurs a nourri de vives controverses, tel celui de Dilthey qualifié d’« ambivalent »(10). Celui-ci l’entendait comme un processus psychologique et une capacité de transposition pour se mettre à l’intérieur d’autrui, mais il l’envisageait aussi comme un outil d’herméneutique. Selon Glon, Dilthey fut, pour la philosophie, « le père infanticide de l’empathie » (11). La période fut aussi celle de la remise en question de la validité scientifique du « jugement introspectif » explicatif de l’empathie, car non objectivable. Pour de nombreux philosophes, penser se mettre à la place d’un autre en s’imprégnant de manière compréhensive de son état émotionnel ou affectif est une fiction.
Notons cependant que des débats autour du concept, certains caractères définitoires ont perduré. Ainsi l’empathie est retenue comme « modèle de connaissances sensibles, activité réflexive et de projection mentale, état imaginatif intentionnel et conscient, phénomène direct involontaire et spontané d’imitation, moyen de coopération et de partage d’émotion…». Un copieux héritage réflexif auquel le courant phénoménologique aura largement contribué.
La phénoménologie de l’empathie a été développée par Husserl, suivie mais nuancée par Merleau-Ponty, Sartre et bien d’autres.
Husserl(12) définit l’einfühlung dans le rapport entre soi et l’autre. Sa conception de l’empathie est dans l’universalité, elle est au principe même de la relation humaine, la base de l’intersubjectivité. Elle est nécessaire, immanente et fondatrice de notre humanité. L’empathie est dans la capacité naturelle de l’égo à reconnaître l’alter ego comme identique, appartenant à la même humanité que lui, sans être lui. Cet « autre moi qui n’est pas moi », écrit Sartre, mais dont il affirme la nécessaire coexistence. Husserl, contrairement à Lipps, ne privilégie pas le psychisme pour aborder l’einfühlung, mais fait du corps (objet et vécu) le lieu d’expression et de médiation de l’empathie. La phénoménologie de l’empathie reconnaît possible et opérant l’accès au corps d’autrui, mais l’accès direct à l’état psychique est impossible. C’est par analogie, dans un mouvement de transposition mimétique (ou par simulation) qu’il est possible de penser un vécu et une identité psychique avec autrui : « par accouplement associatif » (13).
Merleau-Ponty envisage l’empathie envers autrui à travers la relation et l’appartenance à une humanité, un monde et un corps commun. C’est par l’expérience d’une « chair commune », que l’empathie trouve sa condition et sa possibilité. « C’est par mon corps que je comprends autrui, comme c’est par mon corps que je perçois des ‘choses’ »(14). L’auteur ajoute que l’on ne peut être affecté comme autrui, ni se mettre à sa place, mais observer qu’il souffre et l’éprouver seulement comme on le pourrait pour soi-même. L’empathie conjugue une expérience de proximité et de distinction entre soi et autrui. Ici elle n’est pas identification, introjection ou substitution, mais reconnaissance de l’autre comme soi-même et accès à son vécu par analogie.
À ses débuts, la psychanalyse s’est peu mobilisée autour du concept d’einfühlung. Le vocable figure dans un ouvrage de Freud en 1905 – Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient – et recouvre, sans développement, « un processus psychologique à l’origine de l’effet comique ». Dans un ouvrage publié en 1921, Psychologie des foules et analyse du moi, la notion d’empathie réapparaît, définie comme un processus psychologique « qui prend la plus grande part de notre compréhension de ce qu’il y a d’étranger à notre moi chez l’autre ». C’est un mode de connaissance. Pour Uturbey(15), Freud n’a pas approfondi l’empathie en psychanalyse, la jugeant sans doute inadaptée, conditionnelle, risquée ou moins opératoire que d’autres concepts proches, comme l’identification ou la projection.
Depuis la fin des années 1950, les réflexions, travaux et pratiques cliniques en analyse réévaluent l’empathie, avec intérêt et faveur mais aussi controverses et défiance. Pour Kohut, dont l’apport sur le concept est immense, l’empathie est une science à conjuguer avec celle de la psychanalyse(16). Outil, méthode, agent thérapeutique, l’empathie est aussi définie comme « la capacité de penser et de se sentir dans la vie intérieure d’autrui » pour agir sans se départir de son objectivité. Complémentaire de l’introspection, elle est indispensable à l’analyse. Dans son sillage, Brusset et d’autres(17, 18) insistent sur la qualité de l’accordage « affectif » (analyste-patient) permise par l’empathie, sur sa dimension éthique, sa générosité, son efficacité comme éléments de la personnalité de l’analyste.
Si elle occupe aujourd’hui une place forte en psychanalyse, l’empathie est aussi objet de défiance quant aux rapports et abus de pouvoir, à la rupture de neutralité et de liberté, aux risques d’interprétation, etc., auxquels elle expose le thérapeute, avec un risque élevé d’effets péjoratifs(19).
Peut-on appréhender et mieux définir le phénomène empathique sur la foi de l’imagerie cérébrale et de données neurophysiologiques ? Quelques études et de nombreux colloques ont postulé cette possibilité à partir d’observations impliquant les neurones dits « miroirs ». Les travaux de Rizzolati et Gallese(20) sur l’activité cérébrale chez le macaque ont montré que les mêmes zones cérébrales de celui-ci s’activent quand il réalise une action et lorsqu’il en est l’observateur, évoquant l’idée de mimétisme, de simulation et de transposition. Le modèle de recherche appliqué à l’homme conduit à débusquer ces neurones miroirs, à étudier leur fonction, à postuler leur rôle dans la reconnaissance d’autrui comme un autre soi-même et à signifier le phénomène d’empathie(21).
Les neurones miroirs sont des cellules cérébrales qui s’activent aussi bien quand la personne réalise une action que quand elle observe une autre personne l’exécuter. Ils interviennent aussi dans le processus d’imagination, de compréhension, d’intention et d’imitation d’autrui. L’activité et le rôle de ces neurones révèlent la faculté physiologique d’un individu de ressentir à la place d’un autre, et pose des bases neurales et définitoires du phénomène empathique. L’expression de dégoût ou de joie sur le visage d’en face peut – par un effet miroir – déclencher dans le cerveau de l’observateur une réaction émotionnelle, comme s’il ressentait le dégoût ou la joie et pouvait le partager. Ces études sont des avancées, mais comportent des imperfections et des limites. Thiriou(22) note des confusions d’analyse et d’interprétation entre phénomène empathique et sympathique quand Jean Decety estime que le rôle des neurones miroirs est loin d’être évident, que les études sur ce sujet comportent des biais et interprètent leur résultat en « s’appuyant sur un raisonnement logique fallacieux » (23). Les neurones miroirs ne cernent et n’expliquent qu’en partie le phénomène empathique.
Notre succinct propos ne prétend et ne saurait tout entrevoir de l’empathie, loin de là, mais il ne manquera pas d’évoquer le psychologue américain Carl Rogers (1902-1987) dont les travaux, l’enseignement et l’expérience clinique à propos de l’empathie ont élargi et enrichi le champ de celle-ci, sa fonction d’utilité et ses approches définitionnelles. Rogers a fait de l’empathie l’une des trois dimensions – considération, empathie, congruence – de l’outil thérapeutique non directif qu’est la relation d’aide centrée sur le patient. Il définit l’empathie comme un mode de compréhension et d’échange sensible du vécu d’autrui. Il écrit en substance qu’elle consiste à « percevoir le cadre de référence interne de l’autre avec justesse et avec les significations et les composants émotionnels qui s’y réfèrent comme si on était l’autre personne, mais sans jamais perdre la condition du ‘comme si’ »(24), car on ne peut « jamais » se mettre à la place d’autrui. Rogers affirme que la capacité et la démarche empathiques procèdent d’un état d’être avant que d’être une technique. Les inscrire dans une thérapie est nécessaire à la réussite de celle-ci.
De toute bonne chose, un détournement ou un mésusage peut nuire. Connaître la pensée, les sentiments, les croyances, la souffrance d’autrui peut servir dans une louable intention ou à des fins détestables. John Shlien, élève de Rogers, souligne les vertus de l’empathie mais note qu’elle peut être « un instrument de cruauté »(25). L’usage déviant de l’empathie est une pratique du sadique, exploiteur du malheur ou de la faiblesse d’autrui pour avoir une emprise et en jouir. Quant au sadomasochiste, il s’imprègne et se délecte de la souffrance partagée avec sa cible.
L’empathie peut être jouée ; simulée, elle est hypocrisie, ruse, manipulation et nuisance. Il s’agit d’infiltrer la vulnérabilité ou la naïveté d’autrui pour se satisfaire, nourrir ses perversions ou un mauvais dessein. Est-ce pour cela que l’empathie ne peut être altruiste sans une nécessaire dose de sympathie, de compassion, de sollicitude ou de miséricorde ?
La vigilance et la mise à l’abri pour se préserver du mauvais usage de l’empathie valent aussi quand elle est excessive, incontrôlée, envahissante, constituant alors un facteur d’effets délétères et morbides : épuisement émotionnel, désarroi, troubles somatiques…
De même, l’absence d’empathie est aussi préjudiciable. Elle installe l’indifférence, l’isolement, le rejet, compromet le sens du partage, la solidarité, le vivre-ensemble.
Le concept d’empathie est traversé de multiples définitions, lieux de débats sans consensus ni autorité à ce jour. Provisoirement, retenons que c’est un phénomène psychoaffectif, et/ou cognitif et motivé, donné par la faculté de percevoir et de comprendre au plus juste ce que vit autrui, tout en demeurant soi-même et distinct. L’empathie ne consiste pas à éprouver à l’identique, mais à comprendre l’autre et éventuellement à ressentir par analogie ou homologie, « comme si ». Jamais nous ne pouvons être à la place d’autrui. À bien des égards, l’empathie est au fondement du prendre soin. Innée ou acquise, elle mérite d’être cultivée et promue pour ce qu’elle témoigne d’altruisme, de conscience morale et de raison humaine.
encadré 1
Qui peut rester indifférent à la souffrance d’autrui ? Qui n’a jamais ressenti une émotion face à une nature éblouissante, à une œuvre d’art suggestive ? L’idée d’empathie, dans son acception d’aujourd’hui, advient a priori dès que l’homme a conscience de sa relation et de son interdépendance avec son environnement et avec l’autre, cet « autre comme lui-même » dont le vécu et l’existence engagent.
L’empathie serait une disposition innée, un instinct, un état de nature commun au règne animal. C’est aussi un fait de culture, constitutif de nos engagements et expériences de la prime enfance au crépuscule de la vie. Pour certains, l’empathie est un caractère de la personnalité que d’autres assimilent à une réaction ou une humeur de circonstance. Pour les uns, l’empathie se limite au souci et à la capacité de comprendre autrui sans éprouver et partager son vécu, quand d’autres font d’elle un état altruiste et sensible inclinant à faire siens les affects d’autrui. Notons que la volonté de pénétrer la pensée et le vécu d’autrui peut être bonne ou non.
La plupart des études aujourd’hui font de l’empathie un état physiologique composite avec deux dimensions saillantes – cognitive et psychosensorielle – articulées à des facteurs motivationnels, moraux, éthiques…, mais sans souscrire à un sens précis et universel.
1. Jorland G, Thirioux B. Note sur l'origine de l'empathie. Revue de métaphysique et de morale 2008; 2/58: 269-80.
2. Lipps T. L'empathie. De l'empathie en général. L'ensemble de l'empathie aperceptive. PUF. Journal de la psychanalyse de l'enfant 2013; vol 3: 19-37.
3. Smith. A. De la sympathie. Revue française de psychanalyse 2004; 68:763-68.
4. Hume D. Traité de la nature humaine. Livre III: De la morale (1739) (Trad. Folliot P). 2007. pp. 100-10.
5. Agard O. De l’Einfühlung à la sympathie : Lipps et Scheler. Revue de métaphysique et de morale 2017; 4: 461-76.
6. Caliandro S. Empathie et esthésie: un retour aux origines esthétiques. Revue française de psychanalyse 2004; 3/68: 791-800.
7. Ibid., p. 793.
8. Lipps. Op. cit., p. 19.
9. Ibid., p. 21.
10. Glon E. Empathie. Version académique, dans M. Kristanek (dir), l’Encyclopédie philosophique. http://encyclo-philo.fr/empathie-a
11. Ibid.
13. Ibid.
14. Delacroix J-M. Intercorporalité et aimance du thérapeute. Cahiers de gestalt-thérapie 2011; 28/2:39-70.
15. Urtubey L. Freud et l'empathie. Revue française de psychanalyse 2004; 68/3: 863-75.
16. Kirshner LA. Kohut et la science de l'empathie. Revue française de psychanalyse 2004; 68/3: 801-09.
18. Van Lysebeth-Ledent M. L'empathie et ses dérives. Revue française de psychanalyse 2004; 3/68: 963-80.
19. Ibid.
20. Rizzolatti G, Fogassi L, Gallese V. Neurophysiological mechanisms underlying the understanding and the imitation of action. Nat Rev Neurosci 2001; 2 : 661-70.
21. Thirioux B. Perception et aperception dans l’empathie : une critique des neurones miroirs. Les paradoxes de l’empathie. Attigui P, Cukier A, CNRS Éd, 2011; 3: 73-94.
22. Ibid.
23. Decety J. Mécanismes neurophysiologiques impliqués dans l'empathie et la sympathie, Revue de neuropsychologie 2010; 2/2 :133-44.
24. Bozarth JD. Des modes d'empathie émergent au-delà du reflet. Approche centrée sur la personne. Pratique et recherche 2010; 2/12: 64-82.
25. Shlien JM. L’empathie en psychothérapie (trad. Ducroux-Biass F). Approche centrée sur la personne. Pratique et recherche 2010; 2/12 :14-39.