OBJECTIF SOINS n° 0302 du 21/11/2024

 

pratique hospitalière

DROIT

Gilles Devers  

Avocat à la cour de Lyon

Incendie de la chambre : responsabilité du patient ; prise en charge faussement rassurante mais absence de faute médicale ; prise en charge négligente de la chute d’une personne âgée ; retard fautif de réalisation d'un bilan neuroradiologique ; perforations par négligence, et mauvaise prise en charge ; suivi d’une grossesse gémellaire, perte d’un fœtus, graves séquelles pour l’autre, mais absence de faute engageant la responsabilité ; complication inattendue  après un accouchement par voie basse ; analyse des responsabilités de trois centres hospitaliers pour la prise en charge négligente d’un infarctus ; absence de faute technique de l’hôpital, mais infection nosocomiale imputable : voici quelques études de cas.

Responsabilité du patient

L'hospitalisation fait naître entre le patient et l'établissement un contrat d'hospitalisation et de soins distinct du contrat médical conclu entre le patient et le praticien. Ce contrat engage la clinique à disposer d'une organisation adéquate pour assurer l'accueil en toute sécurité du patient. Selon la jurisprudence, les cliniques psychiatriques ne sont tenues, à l'égard des malades, que d'une obligation de moyen consistant à assurer leur surveillance et à leur donner des soins d'après les prescriptions des médecins. Cette obligation de moyen dépend de la situation personnelle du patient.

Incendie de la chambre : responsabilité du patient (CA Rennes, 11 septembre 2024, n° 21/07514).

Faits

Le 22 janvier 2015, un incendie s'est déclaré dans une chambre d’un centre de post-cure et de réadaptation, avec une patiente admise depuis une semaine. La patiente a déclaré que trois hommes étaient entrés dans sa chambre et avaient menacé de la violer. La patiente avait alors « pété un câble », avait fait fuir les individus, et elle avait mis le feu à son duvet pour s'immoler. Cette thèse n’a pas été confirmée par des preuves. Les dégâts matériels ont été considérables.

Discussion

La patiente avait intégré le centre une semaine avant les faits au sein de l'unité de soins infirmiers, où elle était hébergée en chambre individuelle dans l’unité d'accueil et d'orientation. Aucune personne ne pouvait donc entrer dans sa chambre sans son consentement. Elle a reçu une information sur les consignes de sécurité qui prévoient notamment les horaires de repas, les autorisations de sortie ainsi qu'une interdiction de fumer à l'unité de soins infirmiers et une interdiction d'introduire des toxiques. Elle reproche au centre de post-cure un défaut de fouilles des chambres, alors que le centre n'est pas habilité à réaliser ces fouilles lorsqu'il accueille les patients avec leur consentement. Il était impossible de lui interdire de fumer à l'extérieur du centre et ainsi, il était impossible de lui interdire de détenir un briquet. En conséquence, aucune faute ne peut être reprochée au centre de post-cure et de réadaptation. La patiente est la seule responsable du sinistre.

Responsabilité de l’établissement de santé pour faute

Tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (CSP, Art. L. 1142-1).

Prise en charge faussement rassurante mais diligente, et en réalité, absence de faute médicale (CAA de Douai, 25 septembre 2024, n° 23DA01290).

Faits

Au réveil d'une sieste au début de l'après-midi du 12 août 2018, un homme né en 1959 a présenté un engourdissement et des fourmillements dans les membres, des vertiges ainsi que des nausées. Il a été pris en charge par le Service départemental d'incendie et de secours (Sdis) des urgences d’un CHU à 15 h 35. L'interrogatoire a retrouvé, en outre, un tableau de diarrhées évoluant depuis deux jours. L'examen, retracé sur la fiche d'intervention, n'a montré en revanche aucun trouble cognitif, notamment de la parole, ni de la motricité.

À son arrivée au service des urgences, le patient a fait l'objet d'évaluations par une infirmière et un médecin, à 16 h 09 et 16 h 13, lesquels ont repris ses doléances et ont relevé, en particulier, qu'il ne présentait plus aucun fourmillement. L'examen clinique approfondi réalisé à 20 h 16 par un médecin du service n'a pas davantage mis en évidence d'anomalie. Sur le plan neurologique, les réflexes photomoteurs étaient normaux et le patient ne présentait pas de déficit des paires crâniennes, ni de trouble de la sensibilité et de la motricité, ni de confusion.

Les premiers symptômes d'ordre neurologique n'ont été constatés par un médecin du service qu'à 23 h 26, le patient présentant alors une sensation de faiblesse, des paresthésies des membres supérieurs, des sensations vertigineuses sans nystagmus franc et une intolérance à la position debout, ce qui a immédiatement conduit à solliciter l'avis d'un neurologue et à la mise en place d'une prise en charge neurologique.

Malgré le traitement anti-agrégant qui a été dispensé à partir de 1 h 30 et 2 h 00 du matin, l'état a évolué défavorablement vers une tétraplégie complète le 15 août 2018. Les examens d'imagerie ont mis en évidence qu'il avait été victime d'un accident ischémique des pyramides bulbaires.

Avant la constatation des premiers symptômes d'ordre neurologique à 23 h 26, le tableau clinique présentait un caractère atypique. Il n'était pas particulièrement évocateur d'un accident ischémique ou vasculaire cérébral et ne nécessitait pas d'écarter spécifiquement ce diagnostic. La diarrhée, qui était le principal signe clinique mis en évidence lors de l'arrivée aux urgences, n'est pas un symptôme évocateur d'un accident ischémique ou vasculaire cérébral. De même, des fourmillements, qui avaient au demeurant disparu lors de l'arrivée aux urgences, ne justifiaient pas à eux seuls, en l'absence de tout autre symptôme d'ordre neurologique, d'écarter expressément le diagnostic d'accident ischémique ou vasculaire cérébral. En outre, dès lors que l'examen clinique réalisé à 20 h 05 était sans anomalie particulière, y compris sur le plan neurologique, l'état du patient n'appelait aucune surveillance ou prise en charge rapprochée, de sorte que l’équipe du CHU de Rouen n’a pas tardé à identifier les signes neurologiques apparus après cette heure-là.

Discussion

À partir de la constatation des premiers symptômes d'ordre neurologique à 23 h 26, la prise en charge a été diligente et conforme aux règles de l'art. En particulier, les examens diagnostiques appropriés ont été réalisés immédiatement. Alors même que les résultats de ces derniers n'étaient pas anormaux et que le tableau clinique demeurait atypique, la prise en charge neurologique a été mise en place rapidement, le traitement anti-agrégant dispensé étant la méthode thérapeutique la plus adaptée.

Dans ces conditions, compte tenu du caractère atypique de la symptomatologie présentée par le patient lors de son arrivée au service des urgences et de l'absence de symptômes neurologiques clairs avant 23 h 26, l’équipe du CHU, en ne cherchant pas à écarter plus tôt le diagnostic d'accident ischémique ou vasculaire cérébral, n’a pas commis une erreur et un retard de diagnostic à l'origine d'une perte de chance pour le patient d'échapper à l'accident dont il a été victime, ou d'en minorer les conséquences.

Prise en charge négligente de la chute d’une personne âgée (CAA de Marseille, 20 septembre 2024, n° 23MA03041).

Faits

Une femme âgée de 81 ans a été transportée aux urgences d’un centre hospitalier le 5 septembre 2018 à la suite d'une chute sur la voie publique. Autorisée à retourner à son domicile le jour-même, elle a fait l'objet d'une nouvelle hospitalisation dans une clinique le 8 septembre suivant, où elle est décédée le 10 du fait d'un saignement diffus lié aux fractures traumatiques des côtes, majoré par un traitement anticoagulant au long cours.

Discussion

Alors que la patiente présentait une fracture des côtes, les services du centre hospitalier ont omis de relever qu'elle était sous traitement anticoagulant, ce qui l’exposait à un risque de saignements progressifs et insidieux dans la cavité thoracique. Ils n'ont pas non plus effectué de bilan biologique en dépit de l'état antérieur de la patiente, caractérisé par une fibrillation auriculaire chronique et une insuffisance cardiaque. Ils lui ont par ailleurs prescrit une dose excessive de paracétamol au regard de l'insuffisance rénale dont elle était atteinte. Enfin, ils lui ont indiqué de retourner à son domicile sans prendre en compte le fait qu'elle vivait seule et sans organiser les mesures de suivi spécifique à domicile. Ces fautes lui ont fait perdre une chance de 10 % d'éviter la complication fatale de ses fractures initiales.

Par ailleurs, les praticiens ont prescrit à la patiente une dose insuffisante d'antalgiques, le bilan d'entrée à la clinique le 8 septembre mentionnant une douleur de 7 sur une échelle de 10 du fait de ses douleurs liées aux fractures de ses côtes.

Retard fautif de réalisation d'un bilan neuroradiologique mais absence d’effets sur la prise en charge (CAA de Marseille, 20 septembre 2024, 22MA01950).

Faits

Dans la nuit du 1er au 2 août 2015, une femme âgée de 32 ans a présenté des vertiges d'apparition brutale associés à une faiblesse du membre supérieur droit et à des troubles de l'élocution. Elle s'est rendue dans un centre médical, et au regard du tableau clinique, le médecin qui l'a examinée a préconisé la réalisation d'examens complémentaires au centre hospitalier le plus proche.

Elle a été prise en charge le jour même par le service des urgences. Le praticien l'ayant examinée a conclu que la patiente présentait une somatisation d'un trouble anxieux dans un contexte de fibromyalgie, et lui a prescrit des antalgiques de palier I (paracétamol), un anxiolytique (alprazolam – Xanax® 0,25 mg) et un sédatif (hydroxyzine – Atarax® 25 mg).

Devant la persistance de ses symptômes, la patiente a consulté, le 3 août 2015, dans un CHU. Elle a été prise en charge et hospitalisée le jour même dans le service de neurologie d'où elle est sortie le 11 août suivant. Les examens ont révélé l’existence d’un infarctus pontique gauche responsable d'une hémiparésie droite. La patiente a ensuite été prise en charge au centre de rééducation fonctionnelle jusqu'au 28 août 2015.

Discussion

La patiente a été victime d'un accident vasculaire cérébral dans la nuit du 1er au 2 août 2015, responsable de la constitution d'une hémiparésie droite avec troubles de l'élocution, troubles pour lesquels elle a été adressée au centre hospitalier par le centre de consultation, le même jour, pour la réalisation d'examens complémentaires. Lors de sa prise en charge dans cet établissement le 2 août 2015, le déficit neurologique dont elle était atteinte avait été signalé dans le courrier d'adressage et constaté par le médecin examinateur. Des examens neuroradiologiques complémentaires, au minimum un scanner cérébral, auraient dû être réalisés et ne l'ont pas été, la patiente ayant été autorisée à regagner son domicile le jour même avec la prescription d'un traitement médical inadapté, notamment en l'absence de prescription d'un traitement anticoagulant et/ou antiagrégant. Cette absence fautive de réalisation d'un bilan neuroradiologique complémentaire est constitutive d'un retard de diagnostic d'environ 24 heures avant la réalisation du premier examen permettant de poser le diagnostic d'accident vasculaire cérébral dont elle avait été victime dans le territoire capsulo-lenticulaire gauche.

Les résultats du scanner réalisé le 3 août 2015 au CHU ont montré que les lésions provoquées par l'accident vasculaire cérébral n'étaient pas évolutives et montraient le caractère fixé des troubles neurologiques associés et, ainsi, que ces troubles, installés dès le jour de la prise en charge de l'intéressée par le centre hospitalier, n'auraient pas pu être évités par un diagnostic posé dans les délais attendus. Aussi, le retard de diagnostic, qui a été fautif, n'a pas compromis les chances de la patiente d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation.

Perforations par négligence, et mauvaise prise en charge (CAA de Lyon, 199 septembre 2024, n°23LY01853).

Faits

Une femme, née le 29 mai 1964, a consulté un centre hospitalier le 16 mai 2018 en raison de métrorragies prolongées. Elle a été opérée le 30 mai. Elle demeure atteinte de séquelles qu'elle impute à cette prise en charge.

Discussion

La patiente a été opérée sur une indication d'hystéroscopie avec un dispositif Novasure®, susceptible de donner lieu à une éventuelle résection. Aucun dispositif Novasure® n'a toutefois été mis en place. Une résection a été réalisée sans visibilité suffisante. Elle a été poursuivie en dépit d'une brutale chute de tension chez la patiente. Les artères et les veines de la paroi pelvienne droite ont été perforées et une intervention de reprise a dû être immédiatement réalisée par un autre praticien dans un contexte d'hémorragie massive.

Si l'éventualité de perforations lors d'une intervention de résection est une complication connue, les graves perforations en cause en l'espèce sont imputables aux seules conditions défectueuses dans lesquelles l'intervention a été réalisée, le résecteur ayant été déclenché sans visibilité, en méconnaissance des indications formelles en la matière et sans aucune justification. Ces faits caractérisent une faute de nature à engager la responsabilité.

Suivi d’une grossesse gémellaire, perte d’un fœtus, graves séquelles pour l’autre, mais absence de faute engageant la responsabilité (CAA Nantes, 18 octobre 2024, n° 22NT03079).

Faits

Une patiente a débuté en décembre 2010 une première grossesse de type gémellaire monochoriale biamniotique (un placenta et deux poches amniotiques contenant chacune un fœtus) qui a été suivie par un centre hospitalier. Le 28 juillet 2011, lors de sa treizième consultation prénatale, soit au terme de 34 semaines et 6 jours d'aménorrhée, l'échographie a révélé que le premier jumeau était mort in utero et que le deuxième jumeau présentait un ralentissement du rythme cardiaque anormal, de type micro-oscillant non réactif. Il a alors été décidé en urgence de réaliser une césarienne afin de tenter de sauver le jumeau encore vivant. L’enfant est né le 28 juillet 2011 à 16 h 23 avec de graves séquelles neurologiques. Lourdement handicapé, il est décédé à l'âge de 7 ans.

Expertises

Pour rechercher la responsabilité pour faute du centre hospitalier, les requérants se fondent sur l'avis rendu le 13 février 2013 par trois experts pour le compte de la Commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI) de Bretagne, ainsi que sur l'avis d’un professeur expert honoraire près la cour d'appel de Rennes, qu'ils ont eux-mêmes mandaté.

Les experts de la CRCI ont estimé que la mort in utero de l'un des jumeaux et la naissance avec de graves séquelles neurologiques de l'autre étaient très probablement dues à un syndrome Twin Amenia Polycytemia Sequence (TAPS), et ont conclu à l'engagement de la responsabilité du centre hospitalier en raison de l'absence de réalisation de dopplers cérébraux fœtaux, selon une périodicité bimensuelle, en méconnaissance des recommandations pour la pratique clinique du Collège national des gynécologues et obstétriciens de 2009. Ils ont par ailleurs estimé que cette carence dans la surveillance de la grossesse avait fait perdre globalement une chance de 50 % de survie pour le jumeau décédé in utero et de naissance sans séquelles neurologiques pour le jumeau survivant.

Outre ce défaut de monitoring par doppler cérébral, l’avis amiable d’un professeur a estimé que le centre hospitalier avait commis plusieurs autres fautes. Il n'aurait pas dû confier la surveillance de cette grossesse gémellaire à une interne en formation, il aurait omis de prendre en compte la mesure de la quantité de liquide amniotique dans les poches des jumeaux et l'accélération de croissance de l'un d'eux. En outre, les relevés cardiotocographiques et les tracés de rythmes cardiaques fœtaux auraient été mal utilisés et mal interprétés et le syndrome TAPS non diagnostiqué lors de la visite prénatale du 20 juillet 2011.

Toutefois, il ressort du rapport d'expertise judiciaire que les éléments du dossier médical de la grossesse ainsi que l'examen anatomo-pathologique du placenta rendent peu probable le développement d'un syndrome TAPS alors que le jumeau décédé in utero, extrait lors de la césarienne, était polyglobulique. En effet, dans les cas de syndrome de TAPS, le fœtus anémique est le plus fragile et celui qui décède en premier. De plus, le syndrome TAPS est d'une fréquence de moins de 2 % des grossesses monochoriales biamniotiques et survient le plus souvent postérieurement à la survenance d'un syndrome transfuseur-transfusé ou Twin Oligoamnios Polyhydramnios Sequence (TOPS), qui représente 15 à 20 % des grossesses gémellaires.

Discussion sur les expertises

Si l'absence de réalisation de dopplers cérébraux des fœtus sur une base bimensuelle n'a pas permis d'exclure totalement l'hypothèse d'un syndrome TAPS de type aigu, par opposition à un TAPS chronique qui, en l'espèce, ne peut qu'être exclu, l'examen de l'ensemble des échographies et mesures de croissance réalisées durant la grossesse et les résultats de l'examen anatomo-pathologique effectué après l'extraction du jumeau décédé rendent plus probable la thèse selon laquelle celui-ci est mort d'une autre complication pouvant résulter d'une insertion vélamenteuse (autrement dit, une insertion anormale du cordon ombilical) ou d'un à-coup hémodynamique (déséquilibre de circulation entre les deux fœtus) alors que les morts fœtales in utero inexpliquées et inopinées sont une complication plus fréquente dans les grossesses monochoriales biamniotiques.

Par ailleurs, les experts judiciaires s'accordent à indiquer que le décès in utero est, eu égard à l'état de macération du fœtus, survenu aux environs du 24 juillet 2011, soit quelques jours ou quelques heures seulement avant l'échographie du 28 juillet 2011 ayant révélé le décès in utero. Ils précisent enfin qu'un syndrome transfuseur-transfusé apparaît fréquemment postérieurement au décès in utero d'un jumeau. Ainsi, à la suite du décès, l’autre fœtus s'est vidé rapidement de son sang via les anastomoses, vaisseaux reliant les deux cordons à la surface du placenta, sans qu'il ait été possible de détecter ces circulations alors qu'il n'existait pas, en l'état des connaissances scientifiques françaises en 2011, de moyen de détection spécifique de ces vaisseaux, et donc aucune possibilité de prédire leur implication dans la survenue de complications.

Par suite, la faute à raison d'un défaut de diagnostic d'un TAPS ne peut être retenue à l'encontre du centre hospitalier.

Validité du contexte général de la prise en charge

Il résulte des appréciations concordantes des rapports d'expertise que les échographies ont été réalisées régulièrement sur des machines récentes et ont donné lieu à des comptes rendus accompagnés de nombreux clichés de bonne qualité. Aucun élément anormal n'a été noté, jusqu'au 28 juillet 2011, justifiant le recours à un avis médical spécialisé extérieur, notamment du centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal d’un CHU. Si des dopplers cérébraux n'ont pas été réalisés en routine, comme préconisés par la recommandation pour la pratique clinique (RPC) publiée en 2009 par le Collège national des gynécologues obstétriciens français, cette absence d'examen a seulement fait obstacle à la possibilité d'exclure l'existence d'un TAPS préalable au décès du premier jumeau. En outre, les allégations du professeur amiable selon lesquelles les relevés cardiotocographiques et les tracés de rythmes cardiaques fœtaux auraient été mal utilisés et mal interprétés, en particulier par une sage-femme lors de la visite prénatale du
20 juillet 2011, ne sont corroborées par aucun autre expert gynécologue-obstétricien.

Enfin, les experts judiciaires ne relèvent aucun manquement fautif dans l'analyse des données relatives à la croissance des fœtus, à la quantité de liquide amniotique contenue dans les deux poches et, de façon plus générale, dans la surveillance cardiotocographique anténatale.

En dernier lieu, la circonstance que la surveillance de la grossesse a été assurée majoritairement par une interne en formation placée sous l'autorité d'un gynécologue-obstétricien ne constitue pas, en soi, une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier.

Complication inattendue – ischémique de l'intestin grêle – après un accouchement par voie basse (CAA Marseille, 18 octobre 2024, n° 23MA02077).

Faits

Le 31 juillet 2014, une femme a accouché par voie basse de son premier enfant, dans un centre hospitalier, et est retournée à son domicile le 4 août suivant. Par la suite, elle a présenté des paresthésies et des douleurs du membre inférieur droit. Une imagerie par résonance magnétique lombaire lui a été prescrite par son médecin traitant, ainsi que des soins par un rhumatologue qui a posé le diagnostic de sciatique.

Cependant, le 25 août 2014, elle a été hospitalisée pour une douleur lombaire droite associée à des vomissements attribués à une colique néphrétique. Le 30 août 2014, elle a été de nouveau hospitalisée pour des douleurs aiguës des membres inférieurs. Le doppler veineux prescrit par son médecin traitant n’a montré aucune thrombose veineuse profonde.

Le 14 septembre 2014, elle a ressenti une douleur abdominale très intense et d'apparition brutale et a de nouveau été hospitalisée. Son état s'est alors aggravé et des troubles neurologiques sont apparus. Une laparotomie exploratrice a été réalisée le 15 septembre et a mis en évidence une atteinte ischémique intéressant la totalité de l'intestin grêle.

La patiente a subi le 16 septembre 2014 une entérectomie subtotale et une colectomie droite puis une désobstruction de l'artère poplitée justifiée par l'ischémie du membre inférieur droit. Une nutrition parentérale a été mise en place à compter du 17 septembre 2014. Son état de santé s'améliorant, elle a été transférée dans un CHU pour le suivi de sa prise en charge.

Discussion

Quelques jours après son accouchement par voie basse et après avoir regagné son domicile, la parturiente a présenté des paresthésies et des douleurs du membre inférieur droit. En raison de la persistance des douleurs ressenties au niveau du mollet droit et, selon ses affirmations, de la survenue d'une noirceur sur le gros orteil, elle a consulté son médecin traitant le 30 août 2014 qui lui a prescrit un « doppler artériel / veineux des membres inférieurs ».

Lors de son admission le même jour à l'hôpital, seul un échodoppler veineux du membre inférieur, qui n'a pas révélé de phlébite, a été réalisé, mais la réalisation de ce seul examen n'est pas fautive et était adaptée au tableau clinique de la patiente, eu égard à la période post-partum, propice aux accidents thrombo-emboliques veineux, à l'absence de tout symptôme laissant supposer une ischémie artérielle, qui constitue une pathologie rare et dont le diagnostic est très difficile à poser. Par ailleurs, la patiente ne présentait aucun facteur de risque de maladie thrombo-embolique artérielle. Par ailleurs, le courrier du médecin traitant, accompagnant l'ordonnance précitée, n'évoque à la date du 30 août 2014 que des symptômes évocateurs d'une atteinte veineuse phlébitique et non d'une ischémie artérielle.

Il ne résulte pas davantage du dossier qu'une nécrose de l'orteil, de nature à révéler une ischémie artérielle, était présente le 30 août 2014, le médecin traitant ne mentionnant en tout état de cause pas cette complication mais seulement des paresthésies et des douleurs au mollet droit, évocatrices d'une phlébite et non d'une ischémie artérielle. Dans ces conditions, si la réalisation d'un doppler artériel aurait permis d'aboutir plus précocement au diagnostic et, par voie de conséquence, à une meilleure prise en charge médicale de la thrombose mésentérique supérieure, le centre hospitalier, au sein duquel la requérante avait été admise dans le cadre d'une prise en charge par le service des urgences et non pour simple réalisation d'examens prescrits par un médecin traitant, et qui n'était pas tenu de se conformer à la prescription du médecin traitant de la requérante, n'a pas commis une faute.

Le rapport d'expertise du 27 octobre 2017 indique que le diagnostic de thrombose de l'artère mésentérique aurait dû être effectué plus rapidement lors de l'admission aux urgences le 14 septembre 2014 à 22 h 00 pour un syndrome abdominal aigu. Le rapport explique qu'en l'absence d'injection, pourtant recommandée en cas de pathologie abdominale aiguë, le premier scanner effectué le 15 septembre 2014 à 1 h 13 n'a pas permis de déceler d'anomalie, telle que la présence d'un infarctus splénique. Il ajoute que la parturiente n'a été examinée par un chirurgien que le soir du 15 septembre, ce qui serait, en l'espèce, tardif.

Toutefois, le rapport d'expertise du 23 janvier 2023 précise que les médecins ont, à raison, réalisé un premier scanner non injecté eu égard aux douleurs abdominales initialement isolées présentées par la patiente qui était sous traitement d'anti-inflammatoires non stéroïdiens, conduisant à vérifier l'hypothèse d'un problème gastrique et en particulier de perforation d'ulcère, dans les meilleurs délais, eu égard au tableau clinique de l'intéressée et au caractère très exceptionnel de l'ischémie mésentérique post-partum chez les femmes jeunes sans antécédent vasculaire (seuls six cas ayant été recensés dans la littérature médicale, dont la moitié concernaient des femmes ayant subi une césarienne).

Par ailleurs, les médecins ont, neuf heures après le premier scanner, réalisé un scanner injecté en raison de la persistance des douleurs abdominales, qui n'a pas davantage permis d'établir de diagnostic certain sur les souffrances ressenties, en l'absence de tout signe évocateur d'une péritonite ou d'occlusion intestinale. Il est relevé de surcroît que le diagnostic de l'infarctus mésentérique artériel, reconnu, au demeurant, tant par l'expertise du 27 octobre 2017 que par celle du 23 janvier 2023, comme étant très difficile et de survenance exceptionnelle ainsi qu'il a été dit, n'a pas été facilité en raison de l'apparition de troubles neurologiques chez la patiente, et que plusieurs médecins ont examiné la parturiente dans les vingt-quatre heures de son admission, laquelle a bénéficié d'un scanner abdominal injecté, d'un scanner cérébral pour éliminer une thrombo-phlébite cérébrale, d'une ponction lombaire pour éliminer une méningite infectieuse, d'un électroencéphalogramme et d'une imagerie par résonance magnétique cérébrale.

Enfin, la laparotomie exploratrice, qui a été décidée dans la continuité des nombreux examens effectués et en raison d'une aggravation de l'état de santé de la patiente, a été effectuée à la vingt-troisième heure de son admission, et ne révèle ainsi, dans les circonstances de l'espèce, aucun défaut de prise en charge médicale et chirurgicale. Le centre hospitalier doit être mis hors de cause.

La perte de chance

Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage advienne, la réparation qui incombe à cet établissement devant alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

Analyse des responsabilités de trois centres hospitaliers pour la prise en charge négligente d’un infarctus (CAA de Lyon, 19 septembre 2024, n° 22LY02295).

Faits

Un homme, né en 1946, a été pris en charge par le Samu dépendant d’un centre hospitalier le 10 décembre 2016 à 17 h 19, en raison de fortes douleurs thoraciques. Il a été admis au service des urgences d’un autre centre hospitalier à 17 h 56. Le diagnostic d'infarctus du myocarde, nécessitant un transfert vers un centre hospitalier pratiquant les angioplasties coronariennes, a été posé à 18 h 04. À 18 h 34, son transfert vers le CHU a été décidé. Le Samu n'ayant pu organiser un transfert héliporté, un transport par voie terrestre a été mis en place. Le patient a été pris en charge par le CHU où une angioplastie des coronaires a été pratiquée à 22 h 34 le même jour.

Discussion

Le Samu

Le 10 décembre 2016, le patient a été mis relation avec le Samu à 16 h 53, soit 45 minutes après l'apparition des premières douleurs, et il a expliqué les circonstances de leur survenue, leur durée, et décrit les symptômes ressentis, à savoir une douleur thoracique intense irradiant au menton.

Les symptômes décrits, notamment la douleur thoracique, ainsi que leur durée, étant susceptibles d'évoquer une insuffisance coronarienne ou un infarctus, ils nécessitaient l'intervention d'une équipe médicale du Samu en vue de confirmer le diagnostic dans les meilleurs délais et, le cas échéant, décider d'une orientation immédiate vers un service cardiologique pratiquant l'angioplastie. Or, il est constant que le Samu a dépêché une équipe de pompiers volontaires sans aucune des compétences nécessaires et non une équipe médicale, retardant ainsi le diagnostic et compromettant l'orientation immédiate et directe vers un service hospitalier susceptible de pratiquer une angioplastie. Dans ces circonstances, la prise en charge n'a pas été attentive, consciencieuse et conforme aux données acquises de la science, et elle est constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité.

Le deuxième centre hospitalier

Les pompiers ont transporté le patient dans un centre hospitalier où il a été pris en charge au service des urgences. Le diagnostic d'infarctus du myocarde a été posé peu après 18 h 00 et une décision de transfert vers le CHU, à même de pratiquer une angioplastie coronarienne, a été prise à 18 h 34.

Compte tenu des temps de transfert vers cet établissement et des temps de préparation, même en cas de transport héliporté, le délai entre l'apparition des premiers symptômes et la réalisation effective d'une angioplastie aurait excédé le délai de deux heures à compter de l'apparition des symptômes, préconisé par les recommandations médicales. Dès lors que toutes les informations nécessaires étaient disponibles s'agissant des délais d'intervention, la stratégie thérapeutique imposait un traitement par thrombolyse, le cas échéant après avis des spécialistes du centre d'angioplastie du CHU, l'angioplastie intervenant alors dans un second temps. Or, le patient s'est vu administrer par les médecins du centre hospitalier d'Ardèche méridionale un traitement à base de ticagrelor (antiagrégant plaquettaire), qui contre-indique toute thrombolyse pour plusieurs heures. Dans ces circonstances, le centre hospitalier doit être regardé comme ayant commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

La perte de chance

Le patient a présenté un infarctus de toute la paroi antérieure du cœur et de la pointe, dont l'étendue a des conséquences importantes, notamment le développement d'un anévrisme à la pointe du cœur et un risque d'arythmie ventriculaire grave ayant nécessité le port d'une Lifevest (gilet défibrillateur) puis la pose d'un défibrillateur implantable. L'importance des séquelles est en lien avec le délai avant revascularisation, les recommandations médicales préconisant un délai de deux heures entre le premier contact médical et l'angioplastie, ou de pratiquer une thrombolyse dans un délai de deux à trois heures si ce premier délai ne peut être tenu.

Ainsi, les manquements commis par le Samu et le deuxième centre hospitalier, dès lors qu'ils ont entraîné un retard de plus de 7 heures pour la revascularisation du muscle cardiaque, ont constitué pour le patient une perte de chance d'éviter l'aggravation des séquelles subies dans les suites de l'infarctus survenu le 10 décembre 2016 à son domicile, qui doit être évaluée à 70 %.

La répartition de la responsabilité

Le patient souffre d'un déficit fonctionnel permanent de 50 %. Une prise en charge adéquate du patient par le Samu aurait pu avoir pour effet de limiter ce déficit fonctionnel à 20 % dès lors qu'une prise en charge initiale par une équipe médicale du Samu aurait entraîné un transfert direct vers un centre pratiquant l'angioplastie et l'absence de recours aux services d'urgence du centre hospitalier d'Ardèche méridionale. L'administration d'un traitement par thrombolyse conforme aux recommandations médicales par le centre hospitalier aurait pu avoir pour effet de limiter le déficit fonctionnel permanent à 30 %. Dans ces conditions, il y a lieu de retenir que le centre hospitalier dont relève le Samu et le deuxième centre hospitalier ayant prodigué les soins sont respectivement responsables à hauteur de 60 % pour le premier et 40 % pour le second de la perte de chance d'échapper à l'aggravation des séquelles résultant de l’infarctus.