Il est assez simple, pour chacun, de comprendre que l’activité d’un hôpital se poursuit quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. Cela est d’autant plus facile lorsqu’on a été soi-même « patient ». Dormir dans une chambre d’hôpital, souvent relié à des perfusions et autres appareils, en proie à des sensations inconfortables, nous rend plus vulnérable, donnant une autre couleur, une autre intensité, à la tombée de la nuit.
Des nuits rythmées par des expériences « sons et lumières » : les équipes qui parlent, les charriots qui roulent, les pas feutrés, les sonnettes qui résonnent de leur cri strident, les torches qui déambulent toutes les deux heures, pour voir si tout va bien. Au bout de ces petites llumières, des soignants, dont la compétence mais aussi la posture peuvent faire basculer votre expérience et façonner votre vécu pour longtemps. Même si les paramédicaux sont les plus visibles, il faut imaginer toute une équipe, et plusieurs métiers, qui œuvrent en horaires de nuit pour permettre la continuité et la qualité des soins. Et parfois, cela se complique ! Les cadres de santé savent combien il peut être complexe de trouver des volontaires pour s’engager dans ce mode d’exercice si singulier, un peu méconnu et à contre-temps de nos rythmes biologiques.
Les appréhensions initiales – crainte du rythme soutenu, de l’isolement, de la perte d'apprentissage – sont balayées par les retours d'expérience : sens du devoir retrouvé, qualité de vie améliorée, et une solidarité qui crée un lien unique. L'hôpital, la nuit, révèle une réalité bien plus riche que ce qu'on imagine. Alors que l'attractivité des métiers de la santé est au cœur des débats, dans un contexte de turbulence des gouvernances, de réformes tant attendues, en lien avec les métiers du soin, comme la profession et la formation des infirmiers, ce dossier rend compte d’un travail institutionnel et pluriprofessionnel, qui met en lumière ceux et celles qui veillent sur nous, jusqu’au bout de la nuit.
Il est 21h00 dans les couloirs d’un grand hôpital bordelais. Les équipes de jour, le regard un peu fatigué par cette journée qui s’achève, sont ravies de voir arriver leurs collègues de nuit qui vont prendre le relais auprès des patients. C’est le temps des transmissions orales, le moment où chaque patient va être « raconté », dans toutes ses dimensions, afin que la prise en soins soit optimale. Ces transmissions permettent, dans un langage professionnel, de réaliser une synthèse éclairante pour chaque patient et d’énoncer le déroulement des faits principaux, en particulier les points de surveillance prioritaires pour l’équipe de nuit.
Un hôpital ne peut fonctionner que parce que les équipes se succèdent 24 heures sur 24 pour assurer la continuité de l’activité. Cela représente, pour le patient, la garantie de bénéficier de la même qualité de soins, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. Les professionnels qui travaillent de nuit ont fait ce choix pour des raisons diverses, en lien avec la vie familiale parfois, ou pour s’inscrire dans un mode d’exercice singulier qui représente tout de même quelques avantages.
Ce dossier thématique a pour objectif de mettre en lumière ces acteurs de l’ombre, ceux qui veillent sur les patients et leurs proches avec un engagement et un professionnalisme hors normes. Il s’agit aussi de chasser les idées reçues pour celles et ceux, grand public ou professionnels, qui imaginent que la nuit, « il ne se passe pas grand-chose », on est seul et coupé du reste du monde, on ne mobilise pas ses compétences et on apprend moins, ou bien que tous les patients dorment et qu’il n’y a rien à faire, et que travailler la nuit empêche d’avoir une vie sociale et familiale équilibrées.
Au CHU de Bordeaux, nous avons fait le choix de travailler pour et avec les professionnels de nuit, à partir de leurs besoins exprimés, dans le but d’améliorer leurs conditions de travail et de reconnaître la qualité de leur engagement. Ce projet mobilise l’ensemble des acteurs du CHU qui se projettent de façon coordonnée et concertée, le pôle des ressources humaines, la coordination des soins, les instituts de formation, la direction de la communication, et bien sûr tous nos professionnels de nuit, toujours partants pour mieux faire connaître cette modalité d’exercice.
Nous vous emmènerons dans la « dimension RH » du travail de nuit, point de départ de cette réflexion systémique, puis nous ferons un détour par l’aspect « développement des compétences » avec une proposition d’ateliers dédiés aux équipes de nuit. Ensuite, nous réaliserons un focus sur le travail des cadres de santé de nuit, maillons essentiels de la coordination et la continuité de l’activité. Enfin nous donnerons la parole aux soignants de nuit, pour combattre les idées reçues et mettre en valeur ce mode d’exercice.