DOSSIER
Cadre de santé, chargée de mission Atelier compétences et sécurité des soins, Coordination générale des soins, CHU de Bordeaux
Le développement des compétences est un sujet souvent abordé par les professionnels lorsque le travail de nuit est évoqué. Au CHU de Bordeaux, un plan d’action a été mis en place pour faciliter l’accès à des formations dans un format adapté et une temporalité attractive pour les professionnels. Ce programme permet également aux cadres de santé de nuit, en position transversale, de renforcer le lien avec les équipes de nuit, tout en engageant leur créativité et en développant leurs compétences pédagogiques. Il fait l’objet de phases d’évaluations régulières et de réajustements dans un esprit de pluridisciplinarité.
Soigner la nuit s’inscrit dans un continuum du projet de soins de l’hôpital. Cette place nécessite d’être visible et valorisée au sein d’une organisation apprenante(1), le CHU de Bordeaux. La visée est la reconnaissance professionnelle, en s’insérant dans un processus de professionnalisation qui est orienté vers l’acquisition de compétences et non la stricte transmission des connaissances.
Le « programme capsule pour le personnel de nuit » existe depuis juin 2023. Pour le décrire, d’une part, nous détaillerons la structuration de la formation « Atelier compétences et sécurité des soins », l’offre construite pour les soignants de nuit. D’autre part, nous écouterons le discours du personnel de nuit concernant ce dispositif. Tout naturellement, le manager paramédical y prend une place de leadership au quotidien.
La mission « Atelier compétences et sécurité des soins » existe depuis 2013 sous la responsabilité de la coordination générale des soins. Cette cellule transversale et opérationnelle a pour objet le perfectionnement des compétences des professionnels. Les ateliers sont identifiés comme une ressource pour la sécurité des soins (prévention douleur, identitovigilance, contention physique passive, etc.). Ils concernent des domaines variés (droits des patients, biologie, médicament, etc.) et sont aussi utilisés en amont d’un projet de service (transformation écologique).
Le CHU de Bordeaux se répartit sur six sites géographiques. L’offre est proposée sur les différents lieux : Saint-André, Pellegrin et Haut-Lévêque. Pour les trois unités excentrées, la programmation est organisée en accord avec les cadres de santé de ces services suivant leurs demandes. L’harmonisation des pratiques est une préoccupation continuelle.
Les formations enregistrent environ 1 800 participants paramédicaux par an. Elles sont proposées à l’horaire de jour 14h15-15h30. Le temps de formation est inclus dans le temps de travail. En moyenne, le nombre de professionnels par session est compris entre 4 et 15 et environ 10% des participants exercent de nuit(2, 3) (encadré 1).
Pour définir le programme capsule, une réflexion, au sein du groupe institutionnel « Amélioration de la gestion RH des professionnels de nuit » est née, à partir des actes et activités des participants. L’attendu concerne l’acquisition de compétences socles et collectives indispensables à la qualité des soins de nuit. Un autre point est à prendre en compte : dans le cadre d’un travail d’équipe, chacun a un rôle particulier et des compétences spécifiques. Le défi est de travailler ensemble, de partager un langage et des objectifs communs. Les ateliers délivrent une information identique pour les participants de jour comme de nuit.
Le choix du programme capsule s’est porté sur trois ateliers distincts par semestre. Les horaires étaient planifiés de 19h00 à 20h15. Il a débuté avec les thématiques suivantes, au premier semestre 2023 :
- Droits des patients avec l’atelier « Sortie contre avis médical, sortie à l’insu du service : quelle différence et comment agir ? », animé par un des juristes de la direction des Affaires juridiques et éthiques ;
- Soins mortuaires (soins post-mortem et accompagnement du défunt et de sa famille), animé par le cadre de santé exerçant dans les dépositoires de l’institution ;
- Qualité de vie au travail, avec l’atelier « Alimentation et travail de nuit : les clés pour mieux manger », animé par une diététicienne de l’unité nutrition et diététique en lien avec le service santé au travail. Il s’agit d’inscrire son exercice professionnel et son hygiène de vie dans une continuité de prévention des risques.
Au deuxième semestre, un nouvel atelier a été proposé en réponse à la demande des professionnels, qui expriment un sentiment d’isolement pendant le temps de travail. Il est intitulé : « L’interprofessionnalité au service du patient la nuit, ou kiféquoilanuit » et est animé par deux cadres de nuit. Sa construction a été réalisée en plusieurs étapes :
- recenser des données (horaires, nombre de professionnels présents, etc.) concernant l’organisation de l’établissement en horaires de nuit (imagerie, bionettoyage, sureté, sécurité, etc.) par les cadres de nuit ;
- élaborer un support, outil accessible à tous sur le portail intranet du CHU, avec la direction du système informatique ;
- participer à la formation de deux jours, spécialement élaborée pour les animateurs. Son but est de proposer un parcours complet de perfectionnement dans l’animation d’un atelier « compétences et sécurité des soins ». L’approche pédagogique retenue se veut active, interactive et innovante, tant par le choix des outils que de celui de la méthode d’animation ;
- bâtir l’action de formation. L’objectif pédagogique est de distinguer les ressources adaptées suivant les différentes situations rencontrées la nuit. L’animation repose sur le jeu pédagogique à l’aide de cartes. Il permet une attention soutenue pendant un temps limité, et favorise la coopération au sein du groupe.
Concrètement, les ateliers sont façonnés et évalués en vue d’apporter des connaissances et des informations actualisées pour les participants. La structuration de cette action de formation courte (une heure et quinze minutes) favorise une auto-évaluation du professionnel participant et un travail de réflexivité(4). L’animateur crée l’interactivité au sein de chaque session en employant une pédagogie active centrée sur le groupe de participants et fondée sur les échanges entre eux(5) (encadré 2). L’intention est de promouvoir le partage des savoirs, des expériences et des savoir-faire. Ainsi, les professionnels s’inscrivent dans une dynamique d’évaluation et d’amélioration des pratiques professionnelles.
Si la formation s’impose aux professionnels des soins de par leur métier, toute l’attention se porte sur l’articulation entre la formation et la pratique effective. Des conditions sont mises en œuvre pour favoriser le transfert des connaissances dans la réalisation du travail (l’impact de la formation). Si « être compétent, c’est être capable d’agir et de réagir de façon pertinente dans une famille de situations », alors « La transférabilité est à chercher dans sa faculté à établir des liens, à tisser des fils, à construire des connexions entre deux situations »(6). D’une part, la question du transfert est abordée avec les participants dès le début de la formation et d’autre part, la transférabilité est favorisée par des conditions pédagogiques (échanges de pratiques avec d’autres, variété des modalités de formation, pluridisciplinarité des apprenants…) et au niveau organisationnel du service. L’environnement de travail encourage le développement des compétences collectives et la prise de responsabilité individuelle. Le manager y joue un rôle prépondérant en donnant du sens au travail.
Le programme capsule pour le personnel de nuit s’intègre dans cette structuration qui construit la particularité des ateliers « compétences et sécurité des soins ».
À l’issue de chaque session, une grille de type « évaluation à chaud » est distribuée aux participants. Elle vise à appréhender leur perception du programme capsule.
Globalement, l’ensemble des participants est sensible à l’accueil lors de leur arrivée à la session. Ils préfèrent venir à deux du même service : « On essaie d’y aller à deux de l’équipe de nuit ». Un participant nous précise : « Pour les personnes qui arrivent à l’hôpital, il permet de voir tout ce qui est à savoir. »
Au sujet du contenu de l’atelier, on note : « Pas quelque chose de théorique, des mises en situations. […] Dans l’atelier, X services donc X pratiques ». Un professionnel mentionne : « On a beaucoup évoqué les problèmes rencontrés. Tous les points faits au quotidien sont abordés ».
En ce qui concerne les moyens et la méthode, le quizz utilisé en support pédagogique est un plus, comme le souligne un participant : « Ce moyen permet de se mettre directement dans le bain avec ses yeux ». Il permet de s’imprégner du sujet. Les exercices ainsi que la mise en situation et l’interactivité donnent du sens aux pratiques professionnelles. Un support remis à la fin de la session permet de partager au sujet de la formation dans le service, et aide à respecter les bonnes pratiques. Chaque atelier est animé par un professionnel référent du thème travaillé. Les participants attendent une solide argumentation.
Concernant le ressenti des participants, tous les professionnels interrogés expriment une satisfaction car ils identifient une cohérence avec les situations au quotidien : « Aborder les problèmes rencontrés, parler du quotidien ». Un participant commente : « À chaque fois, on retient quelque chose » et « On s’est aperçu qu’on avait tous les mêmes problèmes ». Ils reconnaissent l’utilité de la formation au regard de leur fonction.
Leur définition de l’atelier « compétences et sécurité des soins » fait souvent référence au mot « rappel » (« piqûre de rappel »). Retenons les trois sens différents de ce terme : « rappel à l’ordre » (remise en question et modification des pratiques professionnelles) ; « rappel à la réalité » (apport de connaissances spécifiques à l’hôpital, nouvelles recommandations), et « se rappeler » (remobilisation des connaissances).
La perception des participants quant au format de l’atelier et à la reconnaissance de leur rôle induit leur ancrage dans le processus de professionnalisation. Ainsi, ils peuvent réinvestir un apprentissage dans une situation différente de celle où il s’était produit. Nous apprécions « le vouloir agir »(7) des participants après la session.
Cependant, un acteur n’est pas cité : le cadre de santé de proximité. Il est un trait d’union entre la formation et le terrain(8). Grâce à l’implication de l’équipe de cadres de nuit, plus de 300 professionnels ont participé au programme capsule (près de 20 % des participants pour 2023). Pour cela, il a fallu prendre le temps de présenter ce programme, montrer le chemin pour les inscriptions, échanger après les sessions, etc., et être présent et en interaction avec eux.
Au quotidien, les pratiques managériales d’accompagnement prennent forme dans le processus suivant : avant la formation (analyser le besoin et s’assurer que la formation choisie est en adéquation avec celui-ci) et après (évaluation de l’efficacité de l’action de formation). Il s’agit de donner l’espace, le temps et les outils nécessaires pour favoriser le transfert des acquis de formation sur le lieu de travail. Nous sommes dans la dimension du « pouvoir agir »(7) du participant qui renvoie à l’existence d’un contexte et d’une organisation de travail rendant possible et légitime la prise de responsabilité des professionnels.
Pour l’encadrement, Il faut aussi tenir compte du turnover au sein des équipes. Lors de la prise de poste, le cadre pourra mieux apprécier à quel moment il est utile de proposer l’atelier à l’agent (analyse du besoin de formation) et de mettre en œuvre les pratiques managériales d’accompagnement.
La responsabilité de la construction des compétences reste partagée entre les individus : les managers et les formateurs(9). Les pratiques managériales mises en œuvre pour le développement des compétences, en lien avec la formation, sont essentielles. Les professionnels ont alors la possibilité de réaliser un réel travail d’équipe et des soins de qualité personnalisés.
Encadré 1
Le travail de nuit confère aux soignants une place de sentinelle au sein de l’équipe. Leurs compétences spécifiques leur donnent la capacité d’orchestrer des savoirs et de mobiliser des ressources pertinentes pour réaliser les soins(2). Les soignants sont donc soumis à une adaptation continuelle tout en appliquant les règles de bonnes pratiques, ce qui impose un perfectionnement régulier des compétences(3). Nous pouvons citer, par exemple, une plus grande autonomie dans l’organisation du travail en dehors des soins relevant d’une prescription médicale.
Encadré 2
Le champ de la pédagogie apporte une lumière complémentaire au sujet des processus mentaux de l’apprentissage. « Une information n’est identifiée que si elle est déjà, d’une certaine manière, saisie dans un projet d’utilisation, intégrée dans la dynamique du sujet, et que c’est ce processus d’interaction entre l’identification et l’utilisation qui est générateur de signification, c’est-à-dire de compréhension. Un apprentissage s’effectue quand un individu prend de l’information dans son environnement en fonction d’un projet personnel »(5). Soulignons l’importance de la motivation du participant. Le programme capsule prend en compte cette dimension.
1. Baumann A, Environnement favorable à la pratique : qualité au travail = soins de qualité, Genève, Conseil international des infirmières, p. 7.
2. Le Boterf G, Construire les compétences individuelles et collectives, Paris, Eyrolles, 2015, p. 69.
3. Lamy N, Analyse de pratique comme moyen du développement professionnel continu, Savoirs et soins infirmiers, EMC, 2014, vol. 9, n° 4, p. 1-7.
4. Le Boterf G, op. cit., p. 111.
5. Meirieu P, Apprendre… oui, mais comment ?, Paris, Éditions ESF, 1987, p. 54-55.
6. Le Boterf G, op. cit., p. 158.
7. Le Boterf G, op. cit., p. 110.
8. Dennery M, Le nouveau rôle pédagogique du manager, Actualité de la formation permanente, 2008, Centre INFFO, n° 213, p. 21-24.
9. Le Boterf G, op. cit., p. 108.