OBJECTIF SOINS n° 0302 du 21/11/2024

 

ÉCRITS PROFESSIONNELS

Karine Wach   Christophe Tribolet   Sylvie Lourdin   Catherine Hannequin   Mélaine Vo Dinh  

Cadre supérieure de santé, IFCS lorrain du Centre psychothérapique de NancyCadre supérieur de santé, IFCS du CHU de BesançonCadre supérieure de santé, IFCS du CHU de DijonCadre supérieure de santé, IFCS du CHU de ReimsCadre supérieure de santé, IFCS du CHU de Strasbourg

Le travail est marqué par des injonctions qui peuvent paraître inconciliables, témoignant des tensions entre sens et rationalité. Dans ce contexte complexe, il devient impensable de travailler de manière isolée, même si notre perception du temps nous y pousserait volontiers par réflexe d’économie et de préservation de soi.

Sur un même territoire, chaque institut de formation des cadres de santé (IFCS) déploie la formation en respectant le référentiel qui régit la profession (Arrêté du 18 août 1995 relatif au diplôme de cadre de santé) mais également selon l’orientation du projet pédagogique qui lui est propre. Dans le quart nord-est (QNE) de la France, il existe cinq IFCS.

Depuis 2012, les IFCS Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est se réunissent cinq fois dans l’année pour mettre en commun leurs savoirs, leurs compétences organisationnelles et pédagogiques, et pour mettre en exergue des innovations, échanger sur des problématiques ayant trait à la formation ou encore comparer des dynamiques institutionnelles. Cet « agir-ensemble », qui est dans notre cas un « penser-ensemble », est de nature dialectique et relève d’une dynamique dans laquelle s’articulent des avis parfois divergents mais aboutissant à des visions communes. Cette coopération permet de faire émerger, modestement, de l’inédit. Mais ce qui relève d’une véritable coopération est cette volonté commune de se réunir, d’échanger et de partager. Au travers cet article, nous allons faire part du retour d’expérience de ces journées entre formateurs, qui se révèlent très positives et dans lesquelles nous avons tout naturellement engagé les étudiants cadres de santé de l’ensemble des IFCS QNE.

Coopération, coordination et collaboration

Pour comprendre la mise en place, dès 2012, de nos rencontres, il faut revenir brièvement sur le fonctionnement de ces instituts. Si certains soignants se plaignent du temps trop important passé en réunion, d’autres souffrent d’un isolement de plus en plus marqué.

Qu’en est-il du personnel (directeur, formateurs, secrétaires, agents de service...) des IFCS ? Il semblerait que l’isolement ne soit pas un sentiment ressenti, car ils se trouvent à la croisée de nombreuses voies de communication : dans le centre hospitalier universitaire d’implantation, dans la région (conseil régional, universités...), et par le biais du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec). Tous ces modes d’échanges et lieux de travail sont essentiels pour prendre connaissance des programmes de formation, évoquer des problématiques communes, mettre en place des groupes de travail… Pourquoi alors, créer une nouvelle instance ? Les équipes des IFCS (en dehors de l’AP-HP) sont composées de peu de personnes : un directeur (à temps plein ou non), un ou des formateurs selon le quota d’étudiants, une secrétaire, une documentaliste ou non.

Pour l’IFCS de Dijon, l’équipe était composée d’un directeur, de trois formateurs, d’une secrétaire et d’une documentaliste. Cette équipe, malgré toutes les informations utiles trouvées dans les réunions précédemment citées et les groupes de travail auxquels ses membres étaient amenés à participer, se retrouvaient face à des difficultés (par exemple celles liées au concours d’entrée en formation cadre) ou à des souhaits de partager et d’enrichir ses pratiques pédagogiques. L’IFCS de Dijon s’était déjà rapproché de celui de Besançon en 2005 pour réfléchir à un projet de master. Pour des raisons diverses, seul celui de Dijon a mis en place ce master en 2007.

En 2012, l’IFCS de Dijon a proposé aux autres IFCS du Grand Est (Besançon, Strasbourg et Nancy), de mettre en place des réunions « grande région ». Les directeurs et leurs équipes ont accepté de mettre en commun leurs savoirs et leurs compétences organisationnelles et pédagogiques. Dès la première réunion, ces équipes ont été prises dans un même élan de partage et de souci d’amélioration de la qualité de la formation. Le sentiment collectif était la pré-condition essentielle pour un projet commun. La réunion était organisée sur une journée : une demi-journée commune à toutes les équipes où nous avons appris à nous connaître, et une demi-journée par type d’acteurs (directeurs, formateurs, secrétaires). À l’issue de la première réunion, il a été décidé de poursuivre ces rencontres afin de mieux comprendre les problématiques locales et d’éviter l’hégémonie d’un institut en changeant de lieu à chaque fois.

La première réalisation concrète a concerné le concours d’entrée en formation cadre de santé : il s’agissait de mettre en place entre nous des mécanismes de solidarité pour compenser une éventuelle concurrence sur laquelle jouaient les admis aux concours. Le partage des listes d’inscrits et d’admis s’est mis en place dès la rentrée suivante. Plus tard, il a été décidé de rendre publics les résultats le même jour.

Aujourd’hui, les années ont passé, les équipes ont partiellement changé, mais les réunions auxquelles s’est jointe l’équipe de Reims en 2014 se sont installées dans la durée.

Les journées de rencontres interrégionales

« Nos rencontres sont plus que positives, essayons d’y engager les étudiants ! », affirment les formateurs. Tel est l’axiome qui préside au souhait d’organiser une journée avec, comme objectifs généraux, d’une part, de diffuser des savoirs et d’autre part, de faire se rencontrer les futurs professionnels cadres de santé. Si le premier est simple à réaliser et à atteindre, le second – au regard du nombre d’étudiants, 200 environ – l’est beaucoup moins. C’est pourquoi le format a évolué comme l’histoire des six rencontres va le montrer. 

La première rencontre est axée autour du « Processus de socialisation et construction identitaire du futur cadre ». Trois sous-thèmes sont identifiés : la construction identitaire pré/per/post-formation cadre, chacun traité concomitamment puis par deux IFCS qui présentent en 30 minutes chacun la réflexion élaborée en amont. Un temps d’échanges est bien entendu proposé. Sophie Divay, maîtresse de conférences à l’Université de Reims Champagne-Ardenne (Urca), commente et enrichit les propos en seconde partie de la journée. La dynamique était engagée, elle allait perdurer.

La deuxième rencontre a pour titre « Posture et positionnement du cadre de santé entre négociation et prise de décision », thème qui n’est plus à argumenter tant le positionnement semble être un élément central de la fonction. La structuration pédagogique reste identique, les étudiants de chaque institut présentent leurs réflexions quant au sous-thème choisi (un sous thème par institut). Une table ronde animée par trois universitaires (philosophe, gestionnaire et psychosociologue) complète les propos développés pendant la matinée. La journée est plébiscitée, si ce n’est que les étudiants déplorent la charge de travail préparatoire qu’elle demande.

La troisième rencontre permet de poursuivre la visite du quart est de la France : les Nancéiens passent le relais aux Bisontins, qui testent le nouveau format de rencontre. Les étudiants travailleront les sous-sujets inhérents au thème retenu « Un contexte en évolution : entre richesses et contraintes pour le cadre de santé » in situ. Il s’agit dans un premier temps de panacher tous les étudiants en huit sous-groupes et quatre sous-thèmes (adaptabilité, mobilité, créativité, coopération/collaboration), puis de fusionner les sous-groupes traitant le sujet identique en quatre groupes. Le but de cette organisation est d’engager une négociation collective. Le résultat est de grande qualité, et la directrice du CHRU, le sociologue et le gestionnaire ne font que confirmer cette perception en renforçant les notions développées. 

La quatrième rencontre est pilotée par les Champardennais. Le schéma est identique si ce n’est que dix sous-sujets sont proposés, un par groupe, afin que les règles de production dans des groupes restreints soient respectées. La réflexion porte cette fois sur « Être cadre de santé en 2030 ». Il s’agit de répondre à l’objectif pédagogique de former les cadres de demain en les invitant à se projeter au regard de l’évolution du système français. Les étudiants font preuve de créativité, d’originalité et si leurs propos sont confirmés par le directeur d’hôpital, ils sont plutôt remis dans des prospectives financières et sociologiques par les deux universitaires.

Pour la cinquième rencontre, une variante pédagogique est proposée. Deux groupes d’étudiants travaillent sur une même vignette pédagogique (proposée par les étudiants de chaque IFCS et sélectionnée par l’intervenant professeur en sciences de l’éducation). La vignette décrit une situation de travail du futur cadre de santé, et après analyse il faut mettre en exergue les éléments apprenants de cette situation : qui a appris quoi ? À noter que jusqu’alors, les rencontres se déroulaient en fin de second semestre, ce qui nous semblait-il, permettait aux étudiants de faire appel à leurs acquis pour traiter les sujets. Cette fois, l’évènement s’est organisé deux mois après la rentrée. Le constat est que la date, dans le cursus de formation, n’a pas grande importance. 

Avec la sixième rencontre, nous mettons en application les demandes des étudiants, à savoir réduire les coûts de déplacement. L’IFCS lorrain de Nancy propose les bâtiments et c’est lui qui organise la rencontre sur le thème « Cadre de santé : d’aujourd’hui à demain » avec des sous-thèmes : le management en situation complexe, le format hybride en formation, le partenariat cadre de santé/infirmier en pratique avancée (IPA), le cadre de santé au sein des réseaux/groupements hospitaliers de territoires (GHT) et les nouveaux outils dans la pratique managériale. Deux groupes traitent le même sujet et mettent en commun leurs réflexions afin d’en présenter une synthèse, puis un universitaire en gestion complète les propos. L’évaluation des étudiants montre que la mise en commun par les deux groupes est compliquée à effectuer, le nombre de participants (35) est trop conséquent. 

Après avoir interpelé des étudiants des années N-4 et N-2, il reste que ces rencontres constituent un bon souvenir et témoignent d’un renforcement des liens entre la promotion d’origine (les colocations initiées la veille de la journée semblent être un temps de grande convivialité). De plus, les échanges avec les autres étudiants permettent d’appréhender les approches « pédagogiques » des IFCS, mettant en exergue le sentiment d’appartenance à l’institut plus qu’au statut étudiant ou futur statut de cadre de santé. Au total, ces journées sont apprenantes, dynamiques et joyeuses. Il reste néanmoins à trouver l’élément qui induirait un partage plus durable (encadré 1).

Nous ne pouvons poursuivre ce retour d’expérience sans évoquer ses impacts probables sur l’identité de chaque institut, ce qu’elle représente pour chacun et ce qu’elle apporte au groupe.

L’identité, une acceptation multiple

L'identité désigne ce qui rassemble sous une même désignation et participe à confondre, à inclure sous une ressemblance. Elle désigne aussi ce qui spécifie, ce qui dispose de caractéristiques propres et permet de se distinguer en permettant une définition de soi. Paul Ricœur(1) évoquait l'identité mêmeté et d'identité ipséité. Nous pourrions aussi identifier l'identité d'appartenance et celle de distinction, en référence à Tzetan Todorov(2) qui employait ces termes à propos de la reconnaissance. 

L'identité a donc deux faces : une face interne, tournée vers le groupe d'identification, permettant de se sentir appartenir et une face externe, tournée vers les autres, permettant de se différencier. Elle est ce qui permet de se sentir comme les siens et différent des autres. Cette dualité a une légitimité aussi bien lorsqu'il s'agit d'identité individuelle que d'identité collective.

Toutefois, ce qui nous intéresse ici est une autre distinction qui existe au sein des identités : l'identité pour soi et l'identité pour autrui que conceptualise Claude Dubar(3). Pour le sociologue, l'identité pour soi relève de la représentation que nous avons de nous-mêmes alors que l'identité pour autrui correspond à l'image que les autres ont de nous. C'est à ce niveau que quelque chose se joue lors de ces rencontres. Tous les étudiants ont bien entendu des trajectoires sociales et professionnelles différentes, mais ces trajectoires ont aussi de nombreux points communs et, surtout, elles se sont rejointes, pour beaucoup, dans leur forme et dans leur fond, lors des deux à trois années qui ont précédé la formation, et elles ont, pour tous, fusionné à partir de leur entrée en institut de formation. Ces éléments communs ont évidemment été déclinés sous des formes différentes selon les projets pédagogiques des instituts mais leur fond, c'est-à-dire le métier auquel ils préparent, est nécessairement commun, et participe à façonner leurs représentations et à sculpter, en eux, un sentiment commun d'appartenance et de ressemblance qui participe à leur identité collective de cadre paramédical. 

Il ne s'agit évidemment pas d’affirmer que l'année de formation gomme les identités individuelles ou qu'elle efface les personnalités et les différences de trajectoires antérieures. Il s'agit de constater qu'à la fin de l'année, des réflexes cognitifs, des automatismes de posture, des phénomènes de langage et souvent, même, des éléments de maturité affective et axiologique, ont émergé et sont partagés par une grande partie des étudiants d'une même promotion. 

C'est dans cet élan que s'inscrivent ces journées inter-IFCS, dans cette dynamique de mise en commun que ces confrontations amicales et studieuses sont pensées. C'est principalement lors de cette partie de production que se joue la dynamique identitaire dont nous voulons ici faire état (encadrés 2 et 3)(4,5). Lors de ces quelques heures de réflexion et de production commune, dans chaque groupe, des étudiants d'horizons différents font l'expérience que l'autre (les étudiants des autres instituts) fonctionne de manière apparentée en mobilisant des savoirs, des modes de raisonnement, des manières d'être sensiblement identiques. Sont mobilisés tout d'abord des éléments cognitifs tels que des modes raisonnement, des matrices d'analyse des problèmes, des efforts de synthèse, un niveau de discours érigé sur une terminologie partagée, et bien sûr une prise en compte des contraintes temporelles dans un but d'efficacité. Sont aussi mis en visibilité des éléments épistémiques, en général liés à la thématique proposée. Si les projets pédagogiques (manière de faire) sont différents, les programmes (contenus) sont de même nature. Les échanges dans les groupes font apparaître ces savoirs communs. 

Des éléments comportementaux émergent aussi au cours des échanges à travers des attitudes, des prises de paroles, la désignation de rôles spécifiques. Ces manières de faire sont déjà celles d'acteurs responsables et de futurs managers.

L'affectif n'est pas en reste puisque la dynamique d'échange avec l'échéance de production finale dans un temps court, génère nécessairement des mouvements affectifs chez les participants qui devront les réguler. Ce qui se joue alors est interactionnel : apparaissent des jeux de postures, de leadership, une manipulation des espaces interpersonnels entre distance et proximité, la recherche de consensus, un souci d'assertivité. 

Nous n'oublions pas que ce sentiment de soi, qui se construit un peu plus, par élargissement, lors de ces rencontres, ne constitue qu'une part minime de l'identité collective des cadres paramédicaux qui devra être complétée par le regard des autres sur ce groupe : médical, soignant, administratif, sociétal... Mais dans ce creuset d'une journée lors de laquelle deux cents d'entre eux se rencontrent et travaillent ensemble, se jouent un élargissement et un renforcement de cette identité collective (pour soi) que l'année de formation a largement participé à créer. 

Pour finir, nous voudrions insister sur l'apport de ces journées pour les équipes de formateurs des instituts. Parallèlement aux étudiants, les formateurs travaillent ensemble sur une thématique commune (éléments de pédagogie ou de contenu, destin possible de la formation des cadres de santé). La dynamique de nature coopérative se met spontanément en place, mais ce qui relève d'une véritable coopération est l'organisation même de ces journées qui nécessite une volonté commune, portée, certes par l'institut qui organise, mais tout autant par l'ensemble des équipes qui anticipent, proposent et préparent les étudiants à cet effort collectif. 

Ces journées rassemblent, mais l’évolution rapide des connaissances, les hyperspécialisations et les évolutions technologiques nous conduisent à nous constituer en réseau.

Impact sur la qualité de vie au travail

À l’image des modes d’organisation des institutions sanitaires, au sein de nos IFCS, nous ne pouvions pas concevoir notre travail sans partage d’expériences, de connaissances, de compétences. Les réunions en sont un média fréquent dans nos plannings, occasionnant un certain nombre de représentations, parfois négatives (perte de temps, inutilité, inefficacité, contraintes de déplacement…). Selon une étude OpinionWay de 2017(6) et mandatée par un cabinet indépendant spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux (RPS) et la qualité de vie au travail, la fréquence moyenne pour un cadre serait de 4,3 réunions/semaine dont à peine la moitié d’entre elles serait jugée comme productive.

La crise sanitaire de la Covid-19, par la distanciation qu’elle nous a imposée, a été l’opportunité de repenser le format de ces réunions par la diffusion généralisée de la visioconférence dans nos pratiques de travail, à l’hôpital comme dans les instituts de formation. Les nouveaux modes de travail initiés par la crise sanitaire – et pour certains d’entre eux, pérennisés par la suite – nous ont poussés à nous interroger sur la plus-value du « être ensemble ». Dans ce contexte, nos réunions inter-IFCS n’ont pas échappé à ces modèles de disparition du présentiel : suppression des rassemblements lors de nos journées d’études dès 2020 jusqu’en 2022, réunions inter-IFCS en visioconférence. Pour autant, pouvions-nous tout à fait modéliser nos réunions de travail à celles des entreprises ? Nous ne pouvons ignorer notre statut de formateur dans un champ spécifique : celui du soin, de l’humain, de la relation à l’autre. Nos valeurs pédagogiques reposent sur le socioconstructivisme, des postures et des attitudes d’accompagnement et de partage, les échanges, le questionnement, etc.

Les visioconférences ne permettent pas l’informel et tout ce qui se joue dans ces interstices : l’émulation, la connivence, la créativité. Il serait fort risqué de se priver de ces espaces physiques qui entretiennent ces liens. Cette question n’a d’ailleurs pas été évoquée au sein du groupe, tant la plus-value de ces rencontres nous a parue évidente. La communication et les modes de collaboration sont facilités par la proximité, d’une part mais aussi par des moments informels et conviviaux, d’autre part. La proximité, « caractère de ce qui est proche par le lien, l’affinité »(7) permet de se reconnaître dans l’autre, dans ce qu’il dit de sa pratique, tout en étant suffisamment en confiance pour entendre les différences qui viennent enrichir les points de vue. La convivialité, dans sa dimension légère, amusante et festive, pourrait sembler antinomique à celle sérieuse du travail : pourtant, elle unit. La convivialité est humanité, générosité et attention à l’autre. En ce sens, elle favoriserait une certaine disposition, propice à une ambiance positive au travail et au lien, « dans des rapports autonomes et créateurs entre les personnes et leur environnement ». Elle renvoie à cette idée du repas pris en commun, et est souvent liée aux plaisirs de la table dans nos représentations collectives. Et comme dirait Brillat-Savarin, « La gourmandise est un des principaux liens de la société; c'est elle qui étend graduellement cet esprit de convivialité qui réunit chaque jour les divers états, les fond en un seul tout, anime la conversation, et adoucit les angles de l'inégalité conventionnelle »(8)

Cette collaboration ancienne est une tradition « vieille de plus de 10 ans » qui semble être immuable dans son organisation mais tellement mouvante dans les réflexions qu’elle génère. La poursuite de ce travail est, pour nous, une évidence, et les différentes évaluations réalisées concernant cette expérience ne font que confirmer la plus-value du dispositif.

Évaluation du dispositif

Un sentiment de satisfaction général a pu être apprécié aussi bien du point de vue des équipes pédagogiques des différents instituts que de celui des étudiants. 

Ainsi, les équipes pédagogiques ont mis en avant l’intérêt du partage d’expériences, d’outils, de lectures et de compréhension des textes réglementaires et des philosophies de travail dans chaque institut. De plus, échanger régulièrement sur l’adaptation d’un texte de référence concernant la formation cadre de santé datant de 1995, en regard des évolutions du contexte de travail et des pratiques professionnelles, a permis une évolution des enseignements au plus près de la réalité de l’exercice de la fonction de cadre de santé, et ce quel que soit le domaine d’activité. Cette collaboration a également contribué à une baisse du sentiment d’isolement (peu de cadres de santé au niveau national, d’IFCS et de représentativité nationale). Une réelle dynamique d’« équipe », par la réflexion, le travail commun et le plaisir à se retrouver, a été établie et confortée au fil des années. 

Concernant les étudiant(e)s, leur regard, quoiqu’il puisse être mitigé lorsque la démarche leur est présentée concernant les journées de regroupement (contraintes relatives aux déplacements, exigences du respect de modalités en lien avec le travail participatif par exemple), évolue de façon positive au travers de la participation active et des échanges constructifs qui peuvent naître au cours de ces temps de rencontres et d’échanges (visualisation d’une communauté professionnelle, dynamique des promotions, comparaisons entre IFCS...). Par ailleurs, l’intervention de professionnels experts en regard de thématiques favorise un enrichissement des savoirs et une ouverture réflexive sur leurs perspectives professionnelles. Tout cela se traduit par le réel renforcement de leur identité de cadre de santé et contribue à la construction d’un réseau professionnel. 

En complément des intérêts présentés précédemment, ce regroupement d’instituts constitue une force au niveau du territoire dans le sens où une seule voix et une position commune peuvent être soutenues par les cinq instituts. Cela nous amène à nous engager à poursuivre les objectifs de la démarche, tout en les enrichissant pour maintenir cette dynamique porteuse d’apprentissages, de partages et d’attractivité pour les professionnels de santé. 

Conclusion

Malgré la tentation grandissante de gagner du temps et de l’efficacité par l’usage de la technologie, ne perdrions-nous pas de notre humanité en faisant disparaître ces moments de regroupements et de partage ? La fonction sociale du travail mériterait d’être réhabilitée dans cette période de tension inédite dans nos organisations de soins et de formation en santé. À l’heure où la question de la qualité de vie et des conditions au travail est prégnante et témoigne des enjeux autour de la réémergence de formes d’épanouissement professionnel perdus, ne disposons-nous pas d’un levier fort à travers le collectif et le plaisir d’être ensemble ? Ainsi, en termes de perspectives, les objectifs convergent vers la poursuite des rencontres à deux niveaux : des réunions des équipes pédagogiques en vue de partager les pratiques et adapter la formation aux évolutions du métier, et des regroupements des étudiants de tous les instituts au cours d’une journée reconduite chaque année pour renforcer leur identité et leur stature de cadre de santé, aider à construire une unité de métier et participer à la construction des réseaux professionnels.

Les auteurs remercient Michèle Mailly, ancienne directrice de l’IFCS du CHU de Dijon, à l’initiative des rencontres, Jacky Merkling, ancien cadre supérieur de santé de l’IFCS lorrain de Nancy pour sa contribution, l’ensemble des équipes pédagogiques de chacun des IFCS ainsi que l’ensemble des promotions étudiants cadres de santé qui ont vécu l’expérience.

Encadré 1

Des invariants organisationnels

La planification des temps. La date doit être arrêtée avant la programmation annuelle, et devient prioritaire.

Le choix des lieux. L’IFCS lorrain de Nancy, par sa géographie centrale, est apparu comme étant le meilleur compromis.

La logistique. La créativité des étudiants et des équipes rend l’événement de bonne (voire très bonne) qualité.

La gestion des intervenants. Chaque IFCS organisateur recrute et rémunère les universitaires ou professionnels.

L’évaluation. La très grande majorité des participants apprécie la journée. L’ambiance se révèle à chaque fois studieuse et sympathique.

Encadré 2

L’identité pour autrui ou la part objective de l’identité

L’identité est illustrée par Vincent Descombes qui précise que dans sa part objective, ou pour autrui, l'identité d'un groupe de professionnels donne aux autres le moyen de l'identifier, lui, et corrélativement les sujets particuliers qui lui correspondent, ainsi que le moyen de le situer dans un milieu social et de lui donner une valeur(4). Il énonce même que les éléments distinctifs qui permettent d'identifier un groupe professionnel contribuent aussi à son évaluation dans la hiérarchie des statuts.

Encadré 3

L'identité pour soi ou la part subjective de l'identité

L'identité d'un groupe est la représentation que se font d'eux-mêmes les membres du groupe. Michaud affirme que : « Elle est subjectivement vécue et perçue par les membres du groupe et […] elle résulte de la conscience d'appartenance du groupe et se définit d'abord par opposition à l'autre (en général), et comme différente des autres [groupes] »(5). Il précise par ailleurs que : « Elle se saisit à travers un système de représentations relativement intuitives où s'opposent un ensemble de traits négatifs (à éviter) et un ensemble de traits positifs (proposés par le groupe comme modèle idéal)(5).

Bibliographie

1. Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Éditions du Seuil, 1990.

2. Tvetan Todorov, La vie commune, essai d'anthropologie générale, Éditions du Seuil, 1995. 

3. Claude Dubar, La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin, 2015.

4. Vincent Descombes, L’identité de groupe : identités sociales, identités collectives, In : Raisons politiques 2017/2 (N° 66), p. 13-28.

5. Michaud (1978, p. 112) cité par Wittorski, In : M. Kaddouri, C. Lespessailles, M. Maillebouis et M. Vasconcellos (éd.), La question identitaire dans le travail et la formation : contributions de la recherche, état des pratiques et étude bibliographique, L’Harmattan, Logiques sociales, 2008, p. 195-213. 

6. Enquête sur la communication internationale, https://opinion-way.com

7. Centre national de ressources textuelles et lexicales, https://www.cnrtl.fr/definition/proximité

8. Centre national de ressources textuelles et lexicales, https://www.cnrtl.fr/définition/convivialité