Vers un bon usage de la simulation comme outil de formation - Objectif Soins & Management n° 248 du 01/09/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins_Hors série n° 248 du 01/09/2016

 

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Professeur Anne-Sophie Nyssen  

Le simulateur comme outil de formation s’est répandu dans le monde médical. Les centres de formation clinique sur simulateur se multiplient à l’extérieur et à l’intérieur des hôpitaux universitaires. Avec les progrès de la modélisation, les simulateurs sont de plus en plus perfectionnés et offrent aujourd’hui une extension considérable des possibilités de fidélité ou de ressemblance physique, matérielle et fonctionnelle avec la situation d’action de référence.

On assiste à une extension des capacités d’interactivité entre le sujet et la situation simulée : le sujet peut transformer la situation pour l’ajuster à ses objectifs et la situation peut aussi se transformer spontanément, révélant une dynamique propre semblable à celle des patients. La dimension collective des soins a aussi été prise en considération et des simulateurs mobilisant la coopération intra et inter-disciplines sont aujourd’hui conçus pour refléter au mieux la complexité des situations réelles. Parallèlement, les simulateurs se sont équipés des nouvelles technologies virtuelles et de systèmes de support au debriefing considéré comme une étape primordiale pour la prise de conscience et l’activité réflexive (enregistrement audio-vidéo, système de codage du comportement, vision en parallèle des paramètres vitaux du patient simulé et des comportements de l’apprenant…). La formation s’est également organisée ; les DU de formation à la simulation se sont multipliés. Ils s’adressent en général à des professionnels de la santé : infirmiers, médecins-spécialistes qui reçoivent des notions de base sur l’utilisation du simulateur, la création de scenarios, le briefing et le debriefing, la gestion de crise, la communication, les biais cognitifs et les théories de l’apprentissage. Les instructeurs ainsi formés créent parfois à leur tour d’autres formations pour former en interne de nouveaux instructeurs nécessaires au fonctionnement du simulateur. Malgré cet engouement, on peut s’étonner de la sous-utilisation des centres de simulation haute-fidélité pour la formation effective des médecins en formation. Certes, les contraintes sont nombreuses, au niveau financier, organisationnel, humain et matériel. Une différence majeure distingue ici l’aviation et la médecine : le coût de l’exploitation d’un petit avion de ligne est de l’ordre de dix mille euros de l’heure alors que le coût de l’exploitation d’un simulateur haute-fidélité est inférieur à mille euros, quel que soit le type d’avion. En médecine, la formation des médecins fonctionne depuis de nombreuses années sur le tas et la formation sur simulateur, non obligatoire jusqu’à présent, constitue un coût pour l’hôpital universitaire tant en investissement qu’en détournement des ressources productives.

L’ÉTUDE DE VALIDITÉ

Dans ce contexte, l’enjeu pour les centres de simulation en médecine est aujourd’hui moins la fidélité du simulateur que la validité des programmes de formation clinique sur simulateur. Le concept de validité fait référence au transfert des compétences acquises sur simulation en situation de travail de référence. Les études de validité en médecine sont difficiles à réaliser pour de multiples raisons, en particulier la variété des situations de référence. Chaque patient est unique ; les membres des équipes de soin se relayent ; les technologies ainsi que les pratiques de soin sont loin d’être standardisées au sein même d’une discipline, d’un hôpital et/ou d’un service. Dans ces conditions, il est quasi impossible de comparer la situation de simulation à la situation de travail de référence.

Pendant longtemps, on a pensé que plus un simulateur ressemblait techniquement et fonctionnellement à la situation de référence, plus les apprentissages acquis sur le dispositif se transféraient facilement en situation réelle. Cependant, plusieurs études ont démontré que la haute-fidélité n’est pas forcément indispensable pour l’acquisition de compétences(1, 2, 3). En outre, le simulateur très réaliste peut, si l’on n’y prend pas garde, favoriser la construction de représentations fausses sur le monde réel ou sur la distance entre le monde réel et le simulateur. Ainsi, l’exposition fréquente sur simulateur à des “situations problèmes rares” peut favoriser un biais de représentativité et conduire à des diagnostics inadaptés en situation réelle.

Holding(4) envisage quatre perspectives d’étude de la validité :

• la mesure et la comparaison de la performance sur simulateur et sur situation de référence, ou performance validity ;

• la mesure de l’efficacité du programme à former des individus en comparant la performance au T0 et au T1, ou training validity ;

• la capacité de prédiction de la performance d’un nouveau groupe de sujets sur simulateur, ou intra organizationnal validity ;

• l’efficacité du simulateur à former un autre groupe de l’organisation, ou inter organizationnal validity.

Plusieurs chercheurs se sont interrogés sur la validité des mesures de performance réalisées sur simulateur(5, 6, 7, 8, 9). Vreuls et Obermayer(10) se sont demandé si ces mesures reflétaient la performance réelle des opérateurs ou si elles n’étaient que des mesures fictives. Gaba(11) a relevé deux effets possibles : l’hypervigilance du sujet conscient d’être observé ou, au contraire, le désintéressement (ou le non-engagement) dans une situation sans risque réel. Il est en effet difficile de recréer le cadre organisationnel et psychologique dans lequel s’inscrit toute activité de travail, les conflits d’objectifs, la prise de risque, le climat social qui influencent la performance au travail. De même, la maîtrise du temps est également singulièrement différente sur simulateur : le temps est comprimé (un scénario dure rarement plus d’une heure) et le temps est, en quelque sorte, réversible ; on peut “rejouer le coup”, remettre à zéro, ce qui n’est pas le cas dans la réalité.

Face à ces limites, l’étude de la validité nécessite d’élargir son cadre d’analyse et de basculer d’un point de vue centré sur l’objet technique, “le simulateur”, à un point de vue centré sur la situation cible de référence et la situation “simulée”. Dans cette perspective, l’objectif est moins de simuler l’environnement de travail que d’identifier les caractéristiques inscrites dans une situation de travail qui posent problème pour le (s) sujet (s) et qui deviendra la cible de la formation sur simulateur. On voit tout de suite l’importance de l’analyse préalable de l’activité pour identifier ces caractéristiques critiques. C’est l’isomorphisme en termes de mobilisation de ressources internes et externes entre les conditions de l’action en situation simulée et la situation problème de référence qui fonde la validité, et non pas les caractéristiques des situations en tant que telles. On peut donc réduire, simplifier la situation de référence pour autant que les conditions mobilisant les ressources à acquérir soient représentées dans le scenario. Et on pourrait dire avec Pastré(12) « qu’il semble que la valeur d’une simulation dépende de la pertinence de l’analyse préalable de l’activité qui a été faite ». Or c’est bien souvent cette partie-là qui est court-circuitée dans les programmes de formation clinique sur simulateur. Ceux-ci reposent souvent sur des scenarios disponibles a priori, achetés avec le dispositif, parfois complétés par des scenarios conçus par les instructeurs sur base de leur représentation subjective des situations problèmes et contraints par les compétences et le temps requis pour la construction de nouveaux scenarios.

IDENTIFIER LES DIMENSIONS QUI POSENT PROBLÈME

Cette utilisation de la formation sur simulateur est très réductrice. En effet, un programme de formation clinique sur simulateur doit s’inscrire dans un mouvement de va-et-vient de la situation problème de référence à la situation simulée pour identifier les dimensions qui posent problème aux sujets sur le terrain, expliciter les ressources internes et externes nécessaires pour résoudre ces problèmes, concevoir les situations de simulation en mobilisant et générant des nouvelles ressources chez les sujets pour résoudre les problèmes et évaluer les acquis de la formation à travers l’évolution des situations problèmes observées et analysées sur le terrain. Cette conception ouvre des perspectives nouvelles pour le centre de simulation : celui-ci devient un lieu d’échanges sur les pratiques et les difficultés rencontrées sur le terrain, un lieu générateur de nouvelles connaissances sur le travail non seulement pour le (s) formé (s) mais aussi pour les multiples acteurs (instructeurs, psychologues…) qui participent au programme de formation clinique et visent l’amélioration des pratiques de soin.

NOTES

(1) Salas E., Bowers C.A., Rhodenizer L. (1998). “It is not how much you have but how you use it: Towards a rationale use of simulation to support aviation training”. The International Journal of Aviation Psychology, 8 :197-208.

(2) Schwid H.A., Rooke G.A, Ross B.K., Sivarajan M.M. (1999). “Use of Computerized Advanced Cardiac Life Support Simulator Improves Retention of Advanced Cardiac Life Support Guidelines better than a Textbook Review”, Critical Care Medicine, 27,4: 821- 824.

(3) Nyssen A.-S., Larbuisson R., Janssens M., Pendeville P., & Mayne A. (2002). “A comparison of the training value of two types of anesthesia simulators: Computer screenbased and mannequin-based simulators”. Anesthesia and Analgesia, 94 (6), 1560-1565.

(4) Holding D.H. (1987). “Concepts of training”. In G. Salvendy, Handbook of Industrial and Engineering Work. New-York : John Wiley.

(5) Sanders A.F. (1991). “Simulation as a Tool in the Measurement of Human Performance”, Ergonomics, 34, 8, 995-1025.

(6) Chopra V., Gesink B.J., De Jong J., et al. (1994). “Does training on anesthesia simulator lead to improvements in performance ?” Br J Anaesth, 73: 293-297.

(7) Rogalski, J. (1997). “Simulations : fonctionnalités ? validité ? » In P. Béguin & A. Weill-Fassina (Éds.), La simulation en ergonomie: connaître, agir et interagir (pp. 55-76). Toulouse: Octarès.

(8) Rogalski J. (2005). “Dialectique entre processus de conceptualisation, processus de transposition didactique de situations professionnelles,et analyse de l’activité”. In Pastre (Ed), Apprendre par la simulation. De l’Analyse du travail aux apprentissages professionnels (pp313-334). Toulouse: Octarès.

(9) Nyssen, A.-S. (2005). “Simulation dans le domaine de l’anesthésie. Études et réflexions sur les notions de validité et de fidélité”. In P., Pastre, Apprendre par la simulation. De l’analyse de travail aux apprentissages professionnels (pp.269-283). Toulouse, France: Octarès.

(10) Vreuls D. et Obermayer R.W. (1985). “Human System Performance Measurement in Training Simulators”, Human Factors, 27, 241-250.

(11) Gaba G. (1992). “Improving anesthesiologists’ performance by simulating reality”. Anesthesiology, 76,4,491-494.

(12) Pastré, P. (Éd.) (2005). Apprendre par la simulation. Toulouse: Octarès.

(13) Nyssen A.-S., & De Keyser V. (2001). “Prevention of human errors in the frame of the activity theory”. In N, Anderson, H. Sinangil, C. Viswesvaran, & D. Ones (Eds.), International handbook of work and organizational psychology. Vol. 1 (pp. 348-363). Thousand Oaks, CA: Sage.