Objectif Soins_Hors série n° 262 du 01/04/2018

 

FORMATION

Formation

Anne Lise Favier*   Catherine Aubouin**  

Suite à la réforme de la formation infirmière de 2009, de nombreuses initiatives ont vu le jour pour transposer le référentiel aux réalités du terrain et l’adapter au mieux pour guider les futurs professionnels à se construire leur propre expérience. Comment accompagner les futurs infirmiers sur la voie de la professionnalisation ? Points de réflexion – à l’Université des cadres – avec Catherine Aubouin, cadre supérieure de santé et coordinatrice pédagogique, et Florence Frey, cadre supérieure de santé et responsable de la qualité du parcours clinique, toutes deux à l’IFSI/IFAS Albert Schweitzer de Gonesse.

La réforme de la formation infirmière survenue en 2009 a apporté des changements profonds dans l’apprentissage des futurs professionnels. Orientée selon trois axes, la réforme a eu pour intention de mieux mettre en adéquation la formation théorique et les terrains de stage en repensant également la finalité de la formation, qui est celle de se former au terrain, sur le terrain. C’est la notion d’alternance intégrative, c’est-à-dire faire en sorte qu’il y ait un maximum d’interactions entre le terrain et l’école. Pour cela, il faut multiplier les dispositifs qui enrichissent l’expérience professionnelle des futurs infirmiers et veiller à ce qu’il y ait un maximum de dialogue entre les différents savoirs – techniques, théoriques, procéduraux, méthodologiques et pratiques.

UNE COMPETENCE COMPLEXE

Rappelons que le référentiel d’activité professionnelle, qui décrit les fonctions, tâches et conditions de l’exercice professionnel de manière prospective, a été élaboré en termes de capacités devant être maîtrisées par les professionnels, puis attestées par l’obtention du diplôme. Ainsi, chaque compétence correspond à un objectif de formation, lui-même décliné en objectifs pédagogiques.

Une compétence se forme avec l’apport de connaissances, mais pas seulement : il faut aussi composer avec l’acquisition de valeurs, d’habiletés psychomotrices, relationnelles, organisationnelles, techniques, de la capacité à la décision, à la gestion de ses émotions, ce qui fait la spécificité de chacun, alimenté par la richesse de l’expérience vécue par le contact avec la réalité du terrain. Le milieu de stage est donc le lieu privilégié de mise en situation réelle du travail.

TUTEUR ET REFERENT DE STAGE

À Gonesse, différents dispositifs d’accompagnement sont mis en place pour faire le lien entre l’IFSI et le centre hospitalier. Une place prépondérante est dévolue au stage : la modification de l’enseignement clinique génère un « déplacement » du rôle des acteurs, le professionnel de terrain devenant tuteur de stage tandis que le formateur de l’IFSI devient le référent de stage. « La lecture attentive des référentiels, les échanges avec nos collègues formateurs et animateurs de la formation sur notre compréhension des termes, et concepts inhérents, nous autorisent à aller au-delà de l’aspect prescriptif du référentiel 2009. Nous voulons amener les participants à reconsidérer leurs représentations de ce qu’ils peuvent transmettre aux étudiants infirmiers sans dicter la “bonne pratique des tuteurs”. Il s’agit de démontrer aux futurs tuteurs qu’ils ont une connaissance des activités et situations de soins rencontrées dans leur service et que, de ce fait, ils peuvent proposer des tâches réelles, des situations de travail formatrices, des situations de travail représentatives de l’exercice professionnel en lien avec le niveau de formation et les besoins de l’étudiant. Nous travaillons avec les participants de la formation à déconstruire les situations de travail afin de les transformer en situation d’apprentissage pour les étudiants. »

QUAND LA SITUATION DE TRAVAIL CONSTRUIT LA CONNAISSANCE

Cette logique de coopération et de co-construction parallèlement à cette réflexion sur leur pratique quotidienne permettent de remettre en cause les représentations antérieures des étudiants, d’introduire un questionnement sur leurs compétences, sur l’apprentissage en situation de soins et sur leur rôle en tant que tuteur. Ils se retrouvent dans la posture dans laquelle on attend qu’ils mettent l’étudiant. Ce dispositif permet de passer d’une posture d’infirmier encadrant à celle de tuteur de stage pouvant utiliser les situations de travail au quotidien comme moyen de formation. Le tuteur passe d’une logique de production à une logique de formation, et se doit de rendre le travail formateur. Accueillir et former l’étudiant afin qu’il puisse s’intégrer provisoirement devient une de ses missions, l’aider à apprendre dans l’action et l’amener à progresser, à s’améliorer face aux situations d’apprentissage qu’il rencontre, devient une de ses préoccupations premières. Le partenariat IFSI/terrain est renforcé et axé sur la transformation de l’expérience des stages en connaissances généralisables et transférables, donc formalisées.

POSITIONNER L’APPRENANT AU CŒUR DES REFLEXIONS

Pendant le temps d’encadrement, des temps de rencontres entre l’école et le terrain, réunissant tuteur, étudiant et formateur, sont organisés : ils permettent de clarifier les conceptions pédagogiques, de communiquer sur le sens de l’apprentissage et de libérer les tuteurs d’éventuelles obligations de conformité. Formateurs et professionnels s’inscrivent comme des éléments de la construction des savoirs de l’étudiant en lui permettant de questionner différemment sa pratique. À Gonesse, l’IFSI a fait le choix de partager les terrains de stage par système de référence, ce qui a contribué à la fois à fidéliser les terrains de stage et instaurer une réelle relation de confiance dans ce partenariat. Ainsi, le formateur d’IFSI se déplace systématiquement sur tous les stages, pour un temps d’accompagnement personnalisé, individuel ou collectif si plusieurs étudiants sont sur le même terrain. Un entretien collaboratif permet à l’étudiant de repérer ses acquis, d’identifier ses stratégies d’apprentissage ainsi que les ressources nécessaires : dans ce cadre, le formateur, extérieur à l’activité de soins, apporte un regard complémentaire à celui du tuteur, plus proche du terrain. L’entretien conduit l’étudiant à récapituler les points abordés lors de la rencontre et à dresser un bilan des améliorations éventuelles à apporter et les priorités à travailler.

DECRYPTER POUR APPREHENDER

Au retour de stage, une phase de débriefing invite l’étudiant à verbaliser ses émotions comme élément de compréhension pour dédramatiser certaines situations. Il est ensuite amené à prendre du recul, pour un temps d’analyse de sa propre pratique professionnelle, ce qui permet une mise en perspective des acquis par rapport au référentiel. Le tout est complété par un temps d’analyse de situations professionnelles qui agit comme un levier d’apprentissage, et un temps d’analyse de situations cliniques et de mise en sens des soins individualisés aux patients, autrement dit une analyse de situations spécifiques auxquelles il n’a pas toujours accès sur le terrain. Dès lors, l’étudiant appréhende mieux le contexte dans lequel il est placé, ce qui élargit son champ de vision et évite qu’il ne « subisse » certaines situations. Pour mieux refléter les réalités du terrain, des situations cliniques sont élaborées à partir de vrais dossiers-patients du centre hospitalier : ces moyens pédagogiques permettent à l’étudiant d’être mis en situation de travail.

PLONGEE DANS LE CONCRET

Depuis la loi Hôpital, patients, santé, territoire, le centre hospitalier s’ouvre également vers l’extérieur et les stagiaires participent activement aux démarches de politique de santé menées par le CH (Journée mondiale de l’hygiène des mains, contre le Sida, ou atelier santé-ville pour la Journée du cœur). Plusieurs événements liant ville et hôpital ponctuent l’année en impliquant l’IFSI, le personnel et certaines associations. En 2018, une nouvelle expérimentation doit voir le jour. Il s’agit d’impliquer les étudiants infirmiers dans une recherche appliquée en lien avec les problématiques de l’hôpital. Cette recherche dont le premier but est de développer de nouveaux savoirs et d’utiliser les résultats dans les pratiques de soin pourrait s’intégrer dans le programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale de l’établissement hospitalier. Tout en gardant un fil conducteur, celui de travailler à l’adaptabilité du futur professionnel aux réalités du terrain en décloisonnant le terrain et l’IFSI, parce que la formation est avant tout une affaire concrète, chaque expérience permet d’aider l’étudiant à se construire sa propre expérience et élargir sa logique de compréhension. C’est une ouverture du champ des possibles.

BIBLIOGRAPHIE

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David A. Kolb, Experiential learning : experience as the source of learning and development, Englewood Cliffs, NJ : Prentice-Hall Inc., 1984.

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Michel Vial, Organiser la formation : le pari sur l’auto-évaluation, Paris, L’Harmattan, 2000.