RECHERCHE ET HARMONISATION
RÉFLEXION
SCIENCES INFIRMIÈRES
La recherche en soins et l’harmonisation des pratiques se situent dans une dynamique commune, permettant de mieux prendre en compte la complexité croissante des besoins et de la situation des patients. C’est aussi l’opportunité pour les infirmières de s’affirmer scientifiquement parmi les professionnels de santé.
« L’harmonisation peut ouvrir de nouvelles portes à la recherche »
L’harmonisation des pratiques peut-elle favoriser la recherche en soins ?
L’harmonisation des pratiques pose la question de la recherche avant tout pour l’évaluation de la transférabilité, de la reproductibilité du soin, des bénéfices et des limites qu’elle apporte. Grâce aux projets de recherche sur les pratiques soignantes, nous savons à présent que cette harmonisation induit une continuité des soins plus efficace, une amélioration de leur qualité et une meilleure régulation des dépenses de santé. Et demain, c’est probablement la recherche en santé qui pourra permettre de mesurer les effets générés par l’harmonisation des pratiques sur les acteurs et les éléments qui forment le système de soin : professionnels de santé, patients, aidants, directions, processus organisationnels, qualité des soins, développement des compétences, etc.
Il faut donc considérer la recherche en soins en prenant en compte le système de santé dans lequel elle s’insère…
Le soin s’adresse à une personne totalement singulière, avec sa propre histoire. Et si on prend un peu de hauteur, cet individu se situe dans un parcours de santé qui lui est parfaitement singulier. Il existe des variables socio-économiques et socio-culturelles qui influent sur la pratique des soins et leur accès par les patients. Ceux-ci ne sont plus les mêmes qu’il y a cinquante ans. Leur capacité à prendre une décision pour leur état de santé est de plus en plus marquée et cela est potentialisé par une évolution de nos modèles de soins : nous sommes passés de « faire pour » à « agir avec ». La prise de conscience induite par l’harmonisation des pratiques et l’analyse de leur transférabilité pourraient ouvrir de nouvelles portes à la recherche en soins. Toutes ces situations complexes de rapport au soin, de rapport à la pathologie d’un patient sous l’influence de l’environnement extérieur, il va falloir que nous les comprenions, afin que nos soins soient les plus efficaces, les plus adaptés, les plus pertinents possible. C’est aussi le questionnement induit par la recherche qui nous permettra de jouer une complémentarité intra et extra-hospitalière, permettant d’apporter la réponse la plus adéquate à la situation réelle de nos patients.
L’harmonisation des pratiques et la recherche se nourrissent-elles réciproquement ?
On peut voir l’harmonisation des pratiques, les nouvelles pratiques et la recherche en soins comme un ensemble systémique. C’est une boucle qui s’auto-alimente. Je perçois cela comme un cycle, avec des étapes dont certaines répondent à des questions de recherche, d’autres à l’évaluation, et d’autres encore qui vont tester cette harmonisation et cette transférabilité des pratiques. La production de preuves, l’émergence de connaissances et de savoirs nouveaux venant alimenter une base de données des bonnes pratiques, sont au centre de ce système.
L’évaluation de l’harmonisation des pratiques permet-elle d’alimenter la recherche ?
À l’hôpital, pour évaluer la qualité des soins et la gestion des risques, nous disposons de méthodes et d’outils qui peuvent également être utilisés pour l’évaluation au sens pur des pratiques et dans le processus de recherche. Via ces outils, très classiques, il y a un lien très fort entre les processus de recherche et d’évaluation. Il faut expliquer ces liens aux paramédicaux, les relier à leurs pratiques, les rendre intelligibles. Cela pourrait probablement optimiser cette relation à la recherche en soins en mettant en évidence qu’ils vivent au quotidien avec des processus de recherche et qu’ils les alimentent en permanence. Tout a du lien et tout est en lien. On ne peut plus travailler en ligne droite, il faut favoriser la perméabilité des secteurs d’activité, créer de l’échange, mutualiser, partager, combiner les idées pertinentes et les résultats et ce, toujours au service d’une prise en soins de qualité.
« Il faut apprendre à partager, à critiquer nos connaissances ensemble »
En quoi la recherche infirmière nourrit-elle l’harmonisation des pratiques ?
Ce qu’il faudrait idéalement prendre en compte, c’est une harmonisation des pratiques qui s’inscrive dans une logique de pertinence des soins. Cette approche s’appuie sur trois piliers. Le premier consiste en la reconnaissance de l’expertise clinique des professionnels. Le deuxième se retrouve dans l’aptitude à prendre en compte les souhaits et volontés des patients et de leur entourage, et ce, particulièrement dans le domaine des maladies chroniques ou de la gériatrie. Et le troisième pilier est une capacité, pour les professionnels, à intégrer des résultats de recherche dans leur prise de décision.
Ce troisième pilier est-il assez pris en compte ?
Pas si l’on en croit la littérature scientifique. Une étude
La mise en œuvre de l’harmonisation des pratiques ne relève pas uniquement d’une démarche individuelle…
Parmi les facteurs d’engagement dans l’utilisation de données scientifiques en pratique clinique, on trouve la nécessité de développer chez les infirmières un regard positif sur le fait que la recherche, ou l’intégration de données issues de travaux de recherche soit un facteur de pertinence d’action. Il faut ensuite favoriser un engagement professionnel. Je pense que les espaces créés par les associations ou les sociétés savantes professionnelles sont des lieux à s’approprier. Il faut entrer le plus possible dans ce que Yves Clot
Pour quelles raisons ?
Il faut sortir des approches monodisciplinaires pour questionner la pertinence des parcours de soins. Vouloir créer des recommandations de bonnes pratiques, c’est nécessairement questionner une réalité souvent plurielle. Par exemple, si l’on s’intéresse à la prévention des troubles de déglutition chez des patients ayant fait un AVC aigu, pour trouver le meilleur test de dépistage du risque de fausse route, il faut lire et analyser une littérature produite par de nombreux types de professionnels : orthophonistes, kinésithérapeutes, infirmières, diététiciennes, médecins… L’acquisition d’une culture scientifique permet d’oser dire : « En tant qu’infirmier, je suis légitime à lire de la littérature scientifique, quels que soient les auteurs, et sur les bases de ce savoir-là, je suis légitime à exposer mon point de vue. » Pour les infirmières, le fait d’utiliser des données scientifiques est un atout pour sortir la profession d’une logique d’auxiliariat médical, malheureusement écrite dans le code de santé publique, et la faire entrer dans une logique de partenariat.
1- Département de formation de l’UFR de médecine de l’université de Paris-Est Créteil.
2- « From best evidence to best practise : effective implementation of change in patients care », R. Grol, J. Grimshaw, Lancet 2003. Cet article, qui date un peu, reste à ce jour une étude de référence sur l’impact des décisions empiriques ou la non-intégration de données scientifiques dans la pertinence des prises de décision.
3- Professeur de psychologie du travail.
MORGANE LE GAL COORDINATRICE PÉDAGOGIQUE ET FORMATRICE CONSULTANTE À L’ÉCOLE SUPÉRIEURE MONTSOURIS
→ Doctorante au laboratoire éducations et pratiques de santé de l’université Paris-XIII
LAURENT POIROUX COORDONNATEUR PARAMÉDICAL DE LA RECHERCHE AU CHU D’ANGERS
→ Co-auteur de l’ouvrage L’intégration des données probantes en pratique clinique - Réalité et enjeux d’une démarche d’Evidence-based nursing, Éditions Estem, 2015.