Des établissements et chercheurs du Benelux ont travaillé ensemble sur les alternatives à la contention et l’isolement. L’idée : mobiliser les positionnements intuitifs et savoirs des soignants et éducateurs pour en extraire des repères à mobiliser à l’approche des crises.
Moi, je n’étais vraiment pas persuadé que nous aboutirions à une formation reproductible, explique Jerry Libert, kinésithérapeute
Le soignant s’est donc engagé, de 2013 à 2015, dans le projet européen Tarpi - « Towards Alternative Modes of Restraint in Psychiatric Institutions : Collection of Expertise, Training for Personnel, Recommendations », traduit en français par : « Vers des modes d’intervention alternatifs aux mesures de contention en milieu psychiatrique : collecte d’expertises, formation des intervenants, recommandations ». Confié aux chercheurs de la Haute École de Bruxelles (HEB), en association avec des représentants de trois établissements de soins belge, luxembourgeois et néerlandais, ce projet avait pour ambition d’étudier les alternatives à la contention et à l’isolement en milieu psychiatrique, en vue d’élaborer une formation sur ce thème.
Avec les chercheurs de l’HEB et ses confrères du CHNP
« Tout ce qui relève de la communication non violente, les préceptes de Carl Rogers, comment entrer en communication sans provoquer l’escalade, nous l’avions en nous, ce sont des notions que nous avons apprises un jour et qu’il fallait réactiver », explique Jerry Libert, qui est désormais formateur Tarpi pour la partie belge du projet. L’apport théorique devient alors constitutif de l’analyse de la pratique.
Concrètement, les soignants néerlandais avaient une longueur d’avance sur les équipes belges et luxembourgeoises, puisqu’ils travaillent depuis plusieurs années sur le sujet. « Le contexte est différent : la mise à l’isolement avec entrave mécanique est interdite aux Pays-Bas depuis 2007, explique Roland Pollefait. Les professionnels là-bas ont donc dû faire preuve de créativité et d’imagination. Même s’il faut préciser que l’interdiction a été accompagnée d’un refinancement du secteur, qui a permis de voir progresser le ratio soignants/patients. » Un contexte différent mais qui n’empêche pas d’importer et adapter certaines bonnes pratiques. « Même dans un contexte plus contraint, chacun peut faire preuve d’une créativité professionnelle qui permettra un mieux-être du professionnel et du patient », poursuit le sociologue.
Bien sûr, la recherche-action, si elle a bien débouché sur un module de formation, ne donne aucune recette miracle. « Il serait illusoire d’imaginer des protocoles d’intervention alternatifs à la contention, car les équipes de soins sont confrontées à de nombreuses contingences : la personnalité du patient, le type d’unité, le bâti, la législation, explique Roland Pollefait. On ne peut donc pas généraliser. Mais il est possible de proposer des balises, de s’équiper d’atouts qu’on peut abattre en fonction de la situation, du moment, de l’endroit… » Ainsi, avec certaines personnes psychotiques, feindre la surprise ou l’ignorance peut être utile pour montrer à la personne que ce qu’elle pense lui appartient, qu’elle n’est pas manipulée. La posture d’écoute, le travail sur le non-verbal (la détente apparente du soignant), le ton de voix utilisé peuvent également être mis en avant et permettre de désamorcer une crise. « Au travers des scènes que nous avons jouées et rejouées, une vingtaine d’atouts ont pu être rappelés, qui seront adaptés en fonction des situations rencontrées », poursuit Roland Pollefait.
Wim Verwaest, cadre de santé au CHNP d’Ettelbruck, lui aussi membre du groupe de recherche-action et désormais formateur dans son pays, cite ainsi le compte-rendu post-crise au sein de l’équipe, pour lequel la formation propose une trame, mais aussi celui avec le patient, quelques jours plus tard. « Ce sont, là aussi, des choses que nous connaissions, mais que nous avons tendance à ne plus faire, faute de temps, peut-être », suggère-t-il. Surtout, tous les participants interrogés ont cité le monitoring de la crise, cette description de l’état du patient en quatre phases, de la sérénité à l’hétéro ou auto-agressivité, auxquelles le soignant doit adapter sa réponse. « Il faut “mettre le paquet” dès la première phase, observe Win Verwaest. C’est là qu’il faut instaurer la meilleure relation d’aide et le bon milieu thérapeutique. » Puis, l’ensemble de ces « atouts », ou « balises », identifiés comme alternatives à la contention ont été réunies et la question de la transmission aux pairs a été posée au groupe. Des modules de deux heures ont été créés dans l’idée de transférer ces « acquis » à l’intérieur des services. Ils sont aujourd’hui dispensés en Belgique et au Luxembourg. « Des établissements français nous ont également sollicités, souligne Roland Pollefait. Et nous aimerions pouvoir proposer cette formation à tous les services susceptibles de faire face à des situations de crise, comme les urgences. »
Difficile d’évaluer l’impact du processus dans les établissements pour l’instant. Au Luxembourg, par exemple, les personnes qui ont suivi les premières formations ne se sont pas senties en mesure de transmettre à leurs collègues. La formation continue donc d’être dispensée par deux membres du groupe de recherche-action initial, Wim Verwaest et Carole Nicolas, psychologue du travail et responsable formation de l’établissement.
En outre, le nombre de soignants formés est encore insuffisant pour tenter l’évaluation. « Subjectivement, les professionnels ont le sentiment de mettre de moins en moins en isolement et sur des durées moins longues », évoque Jerry Libert. Mais cette sensation est difficile à objectiver. « Par ailleurs, on ne pourra pas savoir si une éventuelle diminution des contentions est seulement due à cette formation, à celles que nous avons engagées avant, à la modification des compétences des personnels recrutés ou à l’évolution des types de patients reçus ou des pathologies prises en charge », observe Roland Pollefait.
Ainsi, les Luxembourgeois ont-ils constaté, ces dernières années, une augmentation du recours à la contention/isolement. « Mais nous avons aussi de plus en plus de patients judiciaires », explique Wim Verwaest. Il semble cependant que les cadres de santé soient demandeurs. « L’un d’eux m’a expliqué que ceux qui en avait bénéficié étaient davantage dans le dialogue et l’anticipation de la crise », note Jerry Libert. Pour l’instant, quelque 250 personnes doivent encore être formées dans son établissement, dont des soignants exerçant dans des services où la contention ne se pratique pas. « Ils trouvent pourtant que cela leur sert au quotidien, dans la relation avec les patients », explique Jerry Libert.
1- En Belgique, différentes professions soignantes ont été recrutées par le passé dans les services de psychiatrie avant que la qualification d’infirmiers spécialisés en psychiatrie soit reconnue : kinésithérapeutes, ergothérapeutes, assistantes en psychologie, assistante sociales…
2- Centre hospitalier neuropsychiatrique.
3- En sociologie, c’est une étude qui allie théorie et mise en pratique afin de résoudre un conflit tout en développant des connaissances générales sur un sujet.
« LA FORMATION M’A PERMIS DE PRENDRE CONSCIENCE DES CHOSES QUE L’ON FAIT, DE LEUR IMPACT RÉEL sur l’état d’un patient et du développement de la crise. On décortique ce qui a précédé la mise en isolement et on voit à quel point nos interventions jouent. En en prenant conscience, cela permet d’intervenir différemment dans la gestion d’autres crises. Aujourd’hui, je suis plus attentive aux prémices de la crise, et je modifie mon intervention en conséquence. »
LISA GABRIEL,
ORTHOPHONISTE, EXERCE EN PSYCHIATRIE À L’HÔPITAL JEAN-TITECA (BRUXELLES). ELLE A SUIVI DEUX FOIS LA FORMATION ET SE PRÉPARE À DEVENIR ELLE-MÊME FORMATRICE.
« DANS MON UNITÉ, NOUS NE RÉALISONS PAS D’ISOLEMENT. JE VOIS NÉANMOINS MON TRAVAIL différemment depuis cette formation. J’ai pu me recentrer sur la relation d’aide et j’ai beaucoup appris du monitoring de la crise. J’aimerais maintenant que l’ensemble de mon équipe soit formée. J’en suis devenue le cadre. Et j’aimerais pouvoir développer l’usage du monitoring de la crise comme une sorte de baromètre, qui pourrait être affiché dans le service. »
CARINE GLAUDE,
INFIRMIÈRE SPÉCIALISÉE EN PSYCHIATRIE AU CHNP
1- Centre hospitalier neuropsychiatrique.