La Haute Autorité de santé (HAS) s'est saisie de la question de l'engagement des usagers en santé (1) qui attribue notamment une place importante au rôle du patient expert dans le système de santé. Elle est d'ailleurs en train d'élaborer une recommandation de bonne pratique, qui devrait être rendue publique en fin d'année. Éclairage avec Christian Saout, membre du collège de la HAS.
Une remarque préalable est nécessaire. À l'origine, la notion de patients experts est née d'une mobilisation des patients, dès les années 1980-1990, dans le cadre de la lutte contre le Sida. Elle a émergé avec des termes frileux, comme celui de « savoirs profanes ». Ce sont les chercheurs, souvent sociologues, qui nous ont attribué ce qualificatif. Nous étions des patients engagés dans le combat contre une même maladie, constituant une expertise collective à partir d'échanges autour de l'expérience de la maladie et des traitements. Ce modèle a évolué dans les années 2000, période à laquelle le patient expert relève davantage d'un individu que d'un collectif. Cette évolution peut être problématique avec ceux qui s'autoproclament patients experts, sans la garantie collective d'un savoir construit dans le cadre d'une discussion entre pairs. Se revendiquer d'une expertise, c'est se revendiquer d'un savoir construit collectivement. Il faut y faire attention afin d'éviter les dérives. Pour cela, il faut savoir sur quelle base le patient expert s'exprime : sur son point de vue individuel ou sur son savoir acquis avec d'autres.
Nous avons su en France, depuis la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, reconnaître l'expertise des associations avec leur agrément. Mais nous manquons de cadre de référence dès que nous sortons des droits et de la représentation associative. Nous devons maintenant travailler les approches que l'on qualifie de participatives en exigeant des garanties lorsque quelqu'un se revendique d'être un patient expert.
Tout à fait. Dans son rapport « Pour l'an II de la démocratie sanitaire » de 2014, Claire Compagnon a abordé cette question. Mais ses recommandations n'ont pas été traduites dans une stratégie publique. Ce qui ne veut pas dire que rien n'a été fait. La puissance publique a implicitement reconnu ces actions en les finançant. Depuis les années 1990, le ministère de la Santé a soutenu certaines associations nationales au titre des approches communautaires. Les agences régionales de santé (ARS) ont aussi appuyé des programmes d'éducation thérapeutique contenant des actions menées par des patients experts. Mais il manque encore une feuille de route publique pour entraîner un mouvement sur l'engagement et ses nombreuses modalités, au sein desquelles figure le patient expert.
Que cela complète la stratégie « Ma Santé 2022 ». On doit aller plus loin qu'un simple rôle d'implication dans l'évaluation. Il faut préciser comment mettre en œuvre des actions en faveur de l'engagement des patients et ce que l'on attend d'eux. Cette stratégie est d'autant plus nécessaire que des questions se posent : faut-il encourager des actions des patients experts pour l'ensemble des problématiques de santé ou uniquement pour les thématiques où les besoins se font le plus ressentir, comme les vulnérabilités en santé ou les inégalités territoriales de santé ? La HAS va définir les principes de l'engagement et comment cela peut se décliner opérationnellement, y compris pour le patient expert. Mais cela ne peut se substituer à une stratégie qui engage le pays.
Oui certainement, même si des expériences ont déjà lieu en France. Par exemple, la faculté de médecine de Bobigny (Île-de-France) a intégré le patient enseignant dans les cours dispensés aux étudiants. De même que la faculté de médecine Paris-Descartes réalise des simulations de consultations avec de « vrais » patients. Pour le moment, ces expériences sont embryonnaires et encore peu reconnues, certainement parce que les facultés de médecine sont frileuses.
À l'étranger, un important travail de conceptualisation a été réalisé à Montréal sur une logique de partenariat, de formation et de co-construction entre les soignants et les patients. Cette approche est très intéressante, d'autant plus lorsqu'on constate, en France, que de nombreux acteurs du système de santé font appel aux patients au dernier moment. Or, la co-construction se joue avec les patients dès le départ d'un projet. Néanmoins, un modèle qui fonctionne à Montréal n'est pas nécessairement transposable en France. Il faut y réfléchir.
On peut effectivement le penser afin qu'il ne soit pas traité de manière isolée par les établissements hospitaliers. Le GHT peut être perçu comme un bon niveau d'impulsion et d'évaluation des actions, permettant de construire une unité transversale, par exemple. Car avec cette question du patient expert, nous sommes complètement au cœur de la dimension territoriale. Ce sont les acteurs du territoire qui doivent s'emparer de cette action et la financer en fonction de leurs besoins et de leurs outils. On peut se poser la question de développer cette stratégie dans l'espace hospitalier ou en ambulatoire. Peut-être qu'une action pourrait être menée au niveau des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), conjointement avec les GHT ? Tout est à mettre en œuvre.
Ils doivent d'abord vouloir faire les choses « avec cœur », sinon, cela ne se fera pas. Les soignants doivent être persuadés que la prise en compte de l'avis du patient expert est bonne pour le patient, pour la structuration hospitalière et pour leur métier. Il existe des méthodes de partenariat pour animer des groupes de patients, pour construire un groupe de travail et enclencher des actions. Mais elles ne sont pas vraiment transmises. La dimension collective et ces méthodes devraient être davantage enseignées, notamment au sein de l'École des hautes études en santé publique (EHESP) qui forme les cadres, car elles permettent de dénouer les conflits potentiels. Il faut préparer les esprits aux atouts que cela peut apporter.
Il est tout à fait possible de tirer des informations à partir de données subjectives. On le voit avec le dispositif national « e-Satis » (2) animé par la HAS. Les établissements ont accès aux réponses transmises par les patients. Peut-être qu'ils ne les traitent pas... Mais elles vont être analysées par la HAS. Il existe aussi deux autres types de programmes qui permettent de recenser des données subjectives : PREM'S (Patient-Reported Experience Measures), qui consiste en un recueil de l'expérience du patient sur la manière dont il a vécu ses soins, et PROM'S (Patient-Reported Outcome Measures), qui s'attache davantage à une analyse des résultats cliniques, à la manière dont le patient a tiré bénéfice des soins. D'ici la fin de l'année, la HAS prévoit de publier une recommandation sur ces programmes de manière à ce qu'ils soient utilisés dans les établissements hospitaliers afin d'obtenir des données expérientielles.
Mais les établissements peuvent aussi, tout simplement, mettre en place un recueil d'évaluation des patients au cours de l'organisation d'une journée d'échange. Il faut d'ailleurs être précautionneux et ne pas transformer le patient en « évaluateur permanent », même si le numérique facilite les choses. Des logiciels permettent d'analyser les réponses des patients. Mais ce qui est important, c'est le partage avec le patient lui-même. Il faut revenir vers les émetteurs de la donnée et dialoguer avec eux car ils peuvent donner des informations et des orientations sur les solutions à mettre en place. C'est ce que l'on appelle la réflexivité. Tout est dans la co-construction et le partenariat.
1 Projet stratégique 2019-2024 de la HAS.
2 Le dispositif « e-Satis + 48 h MCO » évalue la satisfaction et l'expérience des patients hospitalisés plus de 48 heures dans un établissement de santé de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO). Le questionnaire suit les étapes importantes du parcours de soins : accueil, prise en charge, chambre et repas, sortie de l'établissement.