Objectif Soins n° HS_2019 du 01/04/2019

 

Droit

Alexandre Biosse Duplan  

L'édifice juridique des droits des patients s'observe aujourd'hui avec plus de quinze ans de recul. Le socle de son architecture législative, la loi du 4 mars 2002 dite « loi Kouchner », a connu des mises à jour régulières voire continues, et rapides à l'échelle de l'évolution du droit (1). La santé croise des sujets majeurs d'évolution sociétale : les directives anticipées qui s'imposent aux soignants ou la personne de confiance renforcée dans son rôle constituent des marqueurs de l'évolution sociétale dans le sens de l'autonomisation du patient.

L'inventaire des droits les plus connus des patients est aujourd'hui complet (2) : le droit d'accès aux soins, le droit à des soins de qualité, l'information du patient, son consentement, la dignité et la bientraitance, la confidentialité et le respect de la vie privée, la désignation d'une personne de confiance pour le représenter lorsqu'il n'est plus en mesure de le faire, le traitement de la douleur, les directives anticipées, les soins palliatifs et la fin de vie. S'ajoutent les situations d'implication dans la recherche ou de don ou encore l'accès à l'emprunt pour les personnes atteintes de maladie chronique.

Pourtant, dans le panorama des droits des patients, on peut en observer quelques-uns au régime juridique particulier. L'un, essentiel, occupe le débat traditionnel entre droits et devoirs du patient ; l'autre concerne l'accès à son dossier médical. L'un comme l'autre nécessitent quelques détours pour en cerner les contours.

Droits et devoirs des patients : est-ce seulement une bonne question ?

Lorsque l'on est amené à exposer à des professionnels du soin la simple notion des droits des patients, il n'est pas rare que quelques visages se crispent et que se dessinent quelques mines renfrognées. Du point de vue de leur expérience quotidienne, à juste titre : les témoignages font ainsi souvent état de patients se prévalant de droits imaginaires (3) face à des soignants n'en connaissant ni le périmètre, ni les arcanes subtils. Ajoutez à cela une situation vécue comme une demande teintée de mauvaise foi d'un patient revendicatif, et vous apercevrez cette expression désapprobatrice, voire désabusée du professionnel de santé à l'égard de l'ensemble de l'édifice des droits des patients.

Revenons à cet édifice. Observons les textes concernant l'information du patient, et rappelons quels principes énonce le texte de référence (4) :

• toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé ;

• sur le fond, le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose ;

• dans le fond comme dans la forme, tout au long de la maladie, le médecin tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension ;

• un pronostic fatal ne doit être révélé qu'avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite ;

• l'inexécution de l'obligation d'information engage la responsabilité du médecin.

Voyons maintenant les exceptions :

• seules l'urgence ou l'impossibilité peuvent dispenser le médecin de son devoir d'information ;

• le droit à l'information du patient inclut celui d'en être privé à sa demande :

– « La volonté d'une personne d'être tenue dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic doit être respectée (...) » ;

– « Dans l'intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic graves (...) » ;

• « (...) sauf dans les cas où l'affection dont il est atteint expose les tiers à un risque de contamination (...) ».

Il est difficile de trouver plus équilibré. L'obligation d'information constitue le principe auquel le médecin peut déroger selon les circonstances médicales. Et pourtant, lors d'enseignements en faculté à des internes, il est difficile de les convaincre que l'environnement juridique non seulement ne leur veut pas de mal mais, sous réserve qu'ils apportent la preuve de leurs assertions et tracent les événements dans le dossier médical du patient, leur est alors des plus favorable.

Cette perception fausse, voire victimaire, de certains soignants face à des textes encore une fois équilibrés les conduit à se bâtir une muraille de Chine juridique imaginaire (5) : si le patient a des droits, il a aussi des devoirs. Reconnaissons à cette vision des choses son parallélisme des formes qui la rend accessible à tous. Mais situons-la rapidement dans le seul espace où elle peut se penser : la morale. Pas le droit.

En effet, elle ne résiste à aucun test d'effort : voilà un patient arrivant à l'hôpital, paniqué, terrorisé, candidat selon lui à des soins extrêmement urgents. Le voici qui maintenant s'exprime désagréablement, voire désorganise le service et la prise en charge d'autres patients. Appliquons à cette situation la grille de certaines « chartes » élaborées par des professionnels en position de défense à l'égard des droits des patients : si le patient ne se comporte pas bien, n'aurait-il pas, pour cette raison, accès aux soins ? Et si le patient qui se comporte mal a pour autant effectivement besoin de soins urgents ? Poussons un peu plus loin : qu'en serait-il alors de la prise en charge en santé mentale ? Qui, ici, refuserait dans ce domaine une prise en charge pour comportement inadéquat ?

L'accès légitime aux soins constitue un droit intangible. Il revient à l'équipe médicale de prioriser les situations et de gérer ce patient dont le comportement lui paraît, peut-être à juste titre, inadéquat. Mais il n'existe pas de parallèle entre l'accès aux soins et le comportement du patient. Encore moins de conditionnement de l'un par l'autre.

Le seul texte législatif posant les devoirs des patients énonce (6) : « Les droits reconnus aux usagers s'accompagnent des responsabilités de nature à garantir la pérennité du système de santé et des principes sur lesquels il repose. » À l'évidence, il s'entend comme une protection notamment économique du système de santé. La mesure paraît vouloir limiter un accès démesuré aux droits individuels lorsqu'ils mettent en péril les droits collectifs.

Il ne s'agit donc aucunement de justifier des écarts de comportement de patients : simplement, s'ils doivent être contrôlés, voire réprimés, cela ne les prive aucunement de soins.

L'accès au dossier médical du patient : accès n'est pas propriété

Le droit d'accès au dossier médical du patient se pose en parallèle côté professionnels et côté patient. Côté patient, le principe en a été inauguré avec la loi de 2002 et complété depuis. Aujourd'hui, les principes directeurs consistent en (7) :

• un droit d'accès direct du patient à son dossier ;

• le droit de se faire accompagner (ou non) par un médecin et/ou par un tiers : personne de confiance, représentant des usagers, autre... ;

• pour les patients mineurs, l'accès relève de l'autorité parentale ou du représentant légal, sauf volonté contraire du mineur.

L'accès au dossier médical d'une personne décédée est par ailleurs très encadré :

• aucun droit d'accès en cas d'opposition exprimée de la personne ;

• un accès réservé aux seuls successeurs légaux, parentèle, concubin ou partenaire de Pacs pour l'une des trois raisons suivantes :

– connaître les causes du décès ;

– défendre la mémoire du défunt ;

– faire valoir leurs droits.

Toute autre cause ne leur ouvre pas accès au dossier médical du défunt.

L'accès s'entend d'un droit à consulter les documents y figurant et, s'il le souhaite, d'en obtenir copie.

Côté professionnels, l'accès est avant tout limité par l'accord du patient et l'aire de compétence du professionnel. Mais, qu'il s'agisse du dossier médical ou du dossier médical partagé désormais géré par la Caisse nationale d'assurance maladie, quelle est précisément la nature des droits sur les données médicales qu'il regroupe ?

Les textes régissent précisément l'accès du patient à son dossier. Sans énoncer à aucun moment que le patient ou le détenteur de l'autorité parentale pour le mineur ou le tuteur pour les personnes protégées ne peuvent y exercer un autre droit... Et, au fil de la vie d'un dossier médical, se pose une autre question : celle de sa conservation, sous la forme de « À qui incombe-t-elle ? Et pour quelle durée ? ».

En réponse, les textes énoncent que la conservation incombe à l'établissement (8) :

• pour une durée de 20 ans à compter du dernier séjour ou de la dernière consultation externe de la personne ;

• lorsque la durée de conservation d'un dossier médical s'achève avant le 28e anniversaire de son titulaire, la conservation du dossier est prorogée jusqu'à cette date ;

• si la personne titulaire du dossier décède moins de 10 ans après son dernier passage dans l'établissement, le dossier est conservé pendant une durée de 10 ans à compter de la date du décès ;

• au-delà, le dossier médical peut être éliminé. La décision en est prise par le directeur de l'établissement après avis du médecin responsable de l'information médicale (9).

Ainsi, les textes sont clairs : ils régissent l'accès et la conservation. En revanche, ils sont définitivement muets sur la propriété tant du dossier que des données qu'ils regroupent. Il n'est pas certain que chaque patient, chaque citoyen ait conscience du fait qu'il s'agit ici non pas d'un droit de propriété mais bel et bien d'un droit qui s'apparente davantage à l'usage. L'approche se comprend assez bien, notamment lorsque la conservation relève d'un intérêt scientifique ou médical. Mais elle confirme bien l'intérêt, la valeur ajoutée scientifique et collective de nos données individuelles agrégées.

Plutôt des piliers que des murs

L'application des droits des patients se heurte à des murs d'appréhension culturels que cet article voudrait contribuer à affaiblir en rassurant les soignants. Les droits des patients sont avant tout la reformulation claire et actualisée des devoirs des soignants que contiennent toujours les codes de déontologie. Ils constituent des piliers de la relation patient-soignant. Former les professionnels sur les périmètres de ces droits, former les patients à les exercer contribue à une relation de soins mature.

Les deux exemples dont traite cet article constituent deux cas particuliers : l'un illustre la différence de nature des droits des patients des devoirs que sont parfois tentés d'y opposer des soignants légitimement éprouvés dans leur métier. Mais, si leur questionnement est pertinent, la réponse – juridique tout au moins – ne l'est pas.

L'autre, le dossier médical, pose la limite du droit de propriété comme mode de représentation du droit. L'accès en dit suffisamment et son ouverture est à la fois large et sécurisée. Mais l'analyse du régime juridique des données de santé implique de se représenter ce résumé médical de son existence comme ne nous appartenant pas. Et ce, pour de bonnes raisons d'intérêt collectif. Mais cela peut renvoyer une image imprécise de soi.

(1) Notamment : la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » du 22 juillet 2009, la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

(2) Alexandre Biosse Duplan, Démocratie sanitaire – Les usagers dans le système de santé, Paris, Dunod, 2017, 450 p.

(3) À l'image d'un droit à la prescription de traitements ou d'examens médicaux.

(4) Articles L. 1111-2 et R. 4127-35 du Code de la santé publique (CSP) (inclus dans le Code de déontologie médicale).

(5) Ou à un mur frontalier entre les États-Unis et le Mexique.

(6) Article L. 1111-1 du CSP.

(7) Articles L. 1111-7 (« Principes généraux ») et L. 1112-1 (« Établissements ») du CSP, issus de la loi no 2016-41 du 26 janvier 2016.

(8) Article R. 1112-7 du CSP applicable aux hôpitaux publics et participant au service public hospitalier.

(9) Dans les établissements publics de santé et les établissements de santé privés participant à l'exécution du service public hospitalier, cette élimination est en outre subordonnée au visa de l'administration des archives, qui détermine ceux de ces dossiers dont elle entend assurer la conservation indéfinie pour des raisons d'intérêt scientifique, statistique ou historique.