Dans son livre Médecin lève-toi, Philippe Baudon, médecin à la retraite, livre son expérience d'aidant au chevet de son épouse, atteinte d'un glioblastome, une tumeur cérébrale qui finira par l'emporter. Un plaidoyer « au nom de l'incommensurable détresse des patients d'aujourd'hui, confrontés à leur tour à la terrible perte d'humanité de certains médecins ». Il nous explique pourquoi il met aujourd'hui en alerte le monde médical.
« Hippocrate nous intimait de soulager les souffrances des malades, certainement pas d'accroître leur angoisse. » Aujourd'hui, le Dr Philippe Baudon souhaite alerter ses collègues du corps médical. Médecin lève-toi, c'est un cri pour renouer avec les valeurs du serment d'Hippocrate. Avec ses mots, il résume ce qu'il a observé pendant de longs mois dans les couloirs d'un hôpital où son épouse était suivie pour un glioblastome. Quand celle-ci est diagnostiquée puis hospitalisée, elle demande au praticien référent ses chances de survie. La réponse est sèche, lapidaire : « Madame, si dans six mois vous êtes toujours en vie, compte tenu de votre pathologie, vous ferez partie des 5 % de survivants. » Une sentence qui sonne pour cet ancien généraliste comme un couperet. « Ce type d'individu disposant d'une autorité médicale n'est plus Médecin au sens noble, estime Philippe Baudon, il devient simple officier de santé. (...) Voici ce que l'on peut qualifier de médecin toxique. »
Sans être naïf ou dans le déni, l'ancien spécialiste en médecine générale fustige le cynisme des statistiques funestes, l'anonymat des patients face aux médecins et surtout le manque d'empathie des praticiens, qui constitue selon lui une perte de chance pour les patients. Et pourtant, selon Philippe Baudon, ça ne coûte rien d'entrer dans la chambre d'un patient en disant bonjour et en se présentant. Pour mieux se faire comprendre, l'ancien médecin utilise une image : « Un patient, seul dans son lit d'hôpital, perd ses repères. Si on supprime l'empathie, il ne se sent plus en sécurité, un peu comme un nourrisson dans une nurserie qui a besoin de repères sensoriels pour se sentir bien. Chez le malade, ces repères, c'est l'humanité, l'empathie. » Mais aujourd'hui, ces repères ont disparu et les médecins considèrent leurs patients simplement comme des numéros de chambre ou des cas cliniques. Philippe Baudon, lui, croit en l'optimisme comme moyen de guérison et milite pour remettre de l'humanité dans l'approche avec le patient : « On devrait mettre à l'entrée de chaque service hospitalier une pancarte stipulant que l'entrée est interdite à toute personne dénuée d'empathie. » Il va même plus loin en citant des études qui montrent que l'empathie permet au patient de guérir plus vite et donc d'occuper moins longtemps un lit d'hôpital. Elle ne coûterait donc rien, mieux, elle permettrait de faire des économies !
Cette notion d'empathie n'est certes pas nouvelle, mais elle semble désormais passée au second plan, submergée par la technicité de la médecine : on a formé de bons techniciens, mais qui ont simplement oublié qu'en face d'eux, il y avait des êtres humains ! Pour expliquer ce qu'il décrit comme une dérive moderne du système de santé, cet ancien généraliste argue que l'empathie est désormais vécue comme une perte de temps, notamment en cancérologie : « Aujourd'hui, certains chefs de service ne sont plus là pour voir leurs patients, pour encadrer les médecins en formation mais en sont arrivés à établir des statistiques pour publier », poussés par la pression des laboratoires pharmaceutiques. Pour sortir de cet engrenage, le Dr Baudon propose des mesures simples, qui ne coûtent rien, réintroduire de l'humanité dans les relations patients-médecins et revenir aux racines de la médecine où chaque médecin commence par un interrogatoire du patient avant un examen clinique pour poser son diagnostic. Car selon lui, la technique a largement supplanté le reste et sert de pare-feu aux médecins.
Philippe Baudon souhaite aussi réconcilier médecine de ville et hôpital : en tant que médecin traitant de son épouse, il s'est rendu compte des difficultés qui existent pour récupérer certaines informations auprès de l'hôpital, comme si le savoir était la chasse gardée de l'hôpital, au détriment de la médecine de ville. Alors que dans l'intérêt du patient, ces univers sont censés se croiser, interagir pour parvenir à une synergie : là encore l'ancien généraliste n'est pas avare d'exemples qui montrent qu'une meilleure communication entre la médecine de ville et la médecine hospitalière est indispensable pour parvenir au rétablissement du patient. C'est pourquoi il invite ses collègues médecins à se lever pour dénoncer certains mauvais comportements, qui selon lui ne sont plus supportables, ni par les patients, ni par les autres médecins. Et de replacer chacun dans son rôle : « On dirait que l'on a oublié l'importance d'avoir un vrai chef de service, c'est-à-dire quelqu'un qui est là pour piloter les choses, pas pour publier ou passer son temps dans des congrès », une clé selon lui pour qu'un service fonctionne correctement, en plaçant le patient au centre de tout.
Et c'est dans l'intérêt de ce patient que Philippe Baudon s'attaque à ce qu'il qualifie d'expérimentation humaine : selon lui, la confiance aveugle que les patients placent dans leur médecin référent, devenu une figure toute-puissante, amène à des dérives inacceptables : « Ces patients signeront sans sourciller toutes les décharges qu'on leur tendra, autorisant des traitements dits novateurs, mais non encore validés au niveau national ou international. » Des protocoles que ces médecins utiliseraient en dernier recours sans que ceux-ci ne soient reconnus. Et sans vraiment pouvoir les justifier auprès du patient : on s'éloigne de l'adhésion au traitement, qui donne toute sa légitimité à la poursuite d'une thérapie... On entre dans l'ère d'une expérimentation qui ne dit pas son nom. Ces mêmes patients mourront non pas de leur maladie, mais de la toxicité des molécules utilisées : « Aide à la recherche, oui, expérimentation toxique sans contrôle chez l'être humain, non ! », s'insurge l'ancien médecin, qui déplore que dans ces cas-là, des protocoles soient appliqués sans que l'on se soucie même de l'état général du patient, celui-ci étant de facto condamné. Une situation qui interroge Philippe Baudon : « Si nous, médecins, nous comportons comme des robots, mécaniquement, ne faisant appel qu'à des constantes clés permettant de justifier un traitement rentable pour nos recherches, sans aucun scrupule pour la qualité de vie de notre patient ou, pire, pour sa santé, quelle est notre valeur ajoutée ? ». Car si la technologie est une alliée aujourd'hui indispensable à la pratique médicale, elle ne doit pas s'y substituer complètement mais l'alerte est lancée. Il faut rétablir le dialogue entre les différentes strates du système de santé. Un plaidoyer qui sonne juste à l'heure où le monde médical est sous pression et dans lequel une bouffée d'air frais s'avère nécessaire. Médecin lève-toi est un appel à se recentrer sur le patient, à revenir à l'essence même de ce pour quoi les médecins ont choisi cette voie, cette vocation.
Anne Lise Favier
Les patients ont toujours besoin d'humanité dans ces moments qui s'avèrent difficiles : c'est tout le rôle des soignants mais aussi des aidants, ces personnes qui accompagnent les malades dans leur activité quotidienne. Dans son rôle au plus proche de son épouse, Philippe Baudon joue tour à tour l'aidant, mais aussi le médecin traitant, celui qui veille à ce qu'aucune erreur ne soit commise au détriment de sa patiente. Il rappelle l'importance de ces personnes qui passent du temps au chevet du malade, pour apporter, sinon une aide, de l'écoute, une présence dans un quotidien déshumanisé. Pour le malade, l'aidant est comme une bouffée d'oxygène et permet aussi qu'il y ait une meilleure coopération entre le malade et le personnel soignant, le patient se sentant entouré, écouté, compris. Même si l'apport en termes de bénéfices réels est difficilement chiffrable, Philippe Baudon en est persuadé, ces aidants sont indispensables et permettent de restaurer cette part d'humanité indispensable aux patients, quels qu'ils soient. Une proposition de loi déposée par la sénatrice Jocelyne Guidez sur la reconnaissance des aidants est en cours de discussion à l'Assemblée nationale.
Empathie : « n.f., faculté intuitive de se mettre à la place d'autrui, de percevoir ce qu'il ressent ». C'est ainsi que le Larousse définit l'empathie. Une capacité indispensable au médecin, que certains dénoncent comme étant devenue rare dans le monde médical. Alors, faut-il seulement former des médecins à être de bons techniciens ? Ou doit-on aussi les former à une forme d'humanité qui ne serait pas innée ? La faculté de médecine de la Sorbonne (Paris) a franchi le pas depuis quelques années en dispensant dès la deuxième année des stages d'empathie, une façon pour les futurs médecins de se confronter à l'écoute des patients. Une manière aussi de prolonger les chances de survie de certains malades, différentes études semblant attester que l'empathie d'un médecin envers son patient augmente l'efficacité d'un traitement en favorisant son adhésion.
→ Pour aller plus loin : Marie-Lise Brunel, Jacques Cosnier, L'empathie. Un sixième sens, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2012.