Il y a dix ans, une petite révolution est née : forts de leurs expériences et connaissances acquises au cours de leur maladie, quelques patients pionniers ont été les premiers diplômés du fait de leur pathologie. Aujourd'hui, l'Université des patients continue de former des patients experts dont les compétences sont progressivement reconnues par les instances de santé.
Pour comprendre la genèse du projet, il faut retourner une vingtaine d'années en arrière, en 1997. Alors qu'elle travaille aux États-Unis sur l'accompagnement des patients qui luttent contre le VIH, le professeur Catherine Tourette-Turgis se rend compte que les malades ont une vaste connaissance de la maladie et des traitements associés. En effet, en plus de leur vécu particulier de la maladie, ils sont en première ligne en ce qui concerne l'efficacité des premiers traitements antirétroviraux : c'est à cette époque que le maire de San Francisco demande aux universités « d'accueillir des malades en rétablissement et de les intégrer dans des parcours d'éducation à la santé pour leur proposer de devenir éducateurs ou médiateurs de santé », se souvient le professeur Tourette-Turgis. Une initiative qui permet alors à ces patients, un temps exclus d'une vie sociale, de renouer avec la confiance en soi et l'estime de soi. C'est un fait, les malades faisant partie des associations de lutte contre le Sida sont devenus de vrais experts, connaissant parfaitement la maladie, ses symptômes et toutes les conséquences associées, les traitements dispensés et leurs potentiels effets secondaires. C'est alors que naît l'idée de créer une université dédiée à tous les malades chroniques qui désirent assurer des fonctions dans le système de santé : cette structure un peu particulière a vu le jour il y a dix ans à la faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie (Paris), sous l'impulsion visionnaire du professeur Tourette-Turgis, l'adossement à l'université étant un préalable obligatoire pour que cette Université des patients ait une existence reconnue en tant qu'enseignement universitaire et diplômant.
Cette entité tout à fait novatrice propose aujourd'hui trois diplômes universitaires (DU) à destination des patients, l'un en éducation thérapeutique, l'autre en démocratie sanitaire et le troisième en accompagnement du parcours patient en cancérologie. À cela s'ajoute la possibilité pour les étudiants de postuler au master 2 Santé, parcours « éducation thérapeutique du patient », via une formation plus longue (600 heures), ou de s'inscrire à une master-class spécifique dédiée au travail de plaidoyer ou à une mission patients à exercer dans le cadre d'une pathologie rare ou spécifique. Chaque DU forme tout patient désireux de s'investir dans les fonctions et métiers d'éducation, de formation et de conseil. Une demande qui correspond à un besoin : tant de la part des patients experts, qui sont de plus en plus nombreux à vouloir partager leurs connaissances et leur vécu que la maladie leur a permis d'acquérir, que de la part des nouveaux patients qui trouvent chez ces patients diplômés des réponses à leurs questions, là où celles du corps médical font parfois défaut, faute de temps. En France, on compte entre 15 et 20 millions de personnes souffrant d'une maladie chronique, avec un retentissement sociétal, socio-professionnel et affectif qui nécessite un accompagnement, rarement abordé lors du suivi du patient par les professionnels de santé. Ces patients experts peuvent ainsi aborder avec les néo-diagnostiqués les conditions de vie des malades, l'aspect psychologique de la maladie, son retentissement social, et aider d'autres malades à s'orienter ou se réorienter dans leur parcours de soins en abordant des thèmes peu évoqués par les médecins eux-mêmes, par manque de temps et de vécu. Lors de l'annonce de la maladie, ils viennent en appui aux professionnels de santé, en redonnant humanité à des soins trop axés sur le médical, en offrant écoute, échange et partage d'expérience aux malades démunis. C'est donc ce manque substantiel que viennent combler les patients experts formés à l'Université des patients. Ces diplômes universitaires sont reconnus car chacun s'appuie sur un dispositif législatif existant (loi HPST, loi de modernisation du système de santé et Plan cancer), ce qui les légitime et leur permet une reconnaissance par les universités, les centres de soins et le monde associatif.
Former des patients experts de certaines pathologies, c'est une occasion particulière de retisser un lien socio-thérapeutique et de réinventer la relation soignant-soigné. Un rapport qui s'est peu à peu perdu et qui demeure pourtant nécessaire, surtout pour le patient à qui l'on vient d'annoncer un diagnostic mais qui se retrouve souvent démuni avec ses questions. Le savoir profane, c'est-à-dire n'émanant pas d'un cursus d'apprentissage formalisé, est perçu comme suspect : il reste difficile de faire accepter que des compétences acquises dans des situations hostiles comme le cadre d'une maladie soient des compétences utiles et pertinentes. Pourtant, les malades produisent des connaissances et sont porteurs d'expertises, une assertion qui ne fait aucun doute pour les formateurs et les patients ; toutefois ces compétences sont difficilement entendues voire reconnues, alors que les crises sanitaires et le besoin d'informations dans le domaine de la santé sont de plus en plus prégnants, rendant les canaux d'informations alternatifs d'autant plus pertinents. S'ajoute à cela la nécessaire adaptation de l'université aux publics dits vulnérables – les patients chroniques – qui ne bénéficient pas de programmes de formation financés du fait de leur exclusion du système (perte d'emploi et de certains droits à la formation). En autorisant le savoir à ces patients et en les diplômant, « la France fait figure de précurseur, là où d'autres pays forment des patients sans leur donner accès à un diplôme », se félicite Catherine Tourette-Turgis. Aujourd'hui, les patients sont formés par des experts, des oncologues, des chercheurs, des membres de la Haute Autorité de santé, des pédagogues mais aussi d'autres patients, comme c'est le cas dans le DU démocratie sanitaire où Éric Salat, le principal enseignant, est un patient expert. Chaque patient formé est alors perçu comme apprenant et formateur et surtout reconnu comme détenteur d'un savoir à valoriser et à accompagner. Les cours théoriques, dispensés sur 120 heures à raison de deux jours par mois avec un module de e-learning, permettent de se familiariser avec l'organisation du système de soins et des instances décisionnelles en santé, mais aussi à la pratique de l'écoute et au travail en groupe via des travaux pratiques qui renforcent les capacités futures des patients experts. L'objectif est de transformer une expérience vécue de la maladie en expertise reconnue par la collectivité, en vue d'améliorer le système de santé. Un système que les médecins reconnaissent utile puisqu'ils sont de plus en plus nombreux à orienter leurs patients vers l'Université des patients, arguant du fait qu'ils ont besoin de leur expertise pour combler certains manques.
• Depuis sa création en 2010 et jusqu'à l'année universitaire passée, l'Université des patients a reçu 588 étudiants malades et soignants et diplômé 180 malades (DU ou master).
• 83 étudiants sont inscrits cette année, tous diplômes confondus.
• Une quinzaine de pathologies sont représentées, parmi lesquelles les maladies inflammatoires de l'intestin, le cancer, l'infection par le VIH, le diabète, les maladies rénales chroniques, la sclérose en plaques, l'asthme, l'épilepsie, l'hépatite C, la spondylarthrite ankylosante, la polyarthrite rhumatoïde, le syndrome du grêle court, la BPCO et certaines maladies rares.
• 20 % des patients ne s'arrêtent pas au DU et poursuivent leurs études (4 % en doctorat).
• 10 % des étudiants ont trouvé un emploi salarié, 15 % exercent comme intervenants tandis que 10 % ont créé leur propre métier dans le champ de la communication.
Reste qu'aujourd'hui l'existence de ces patients experts n'a pas encore trouvé une place bien définie, malgré la formation diplômante qu'ils détiennent, mais les offres s'étoffent : certains patients experts fraîchement diplômés trouvent un CDI ou un CDD dans des structures associatives voire dans des établissements de santé, tandis que d'autres deviennent à leur tour formateurs ou consultants dans des services de chirurgie oncologique du fait de leur expertise. Tous s'investissent dans une cause qui leur est chère, la santé, et retrouvent une légitimité que la maladie leur avait fait perdre aux yeux de la société. Cette inclusion des malades dans l'organisation des soins en tant que patients experts s'inscrit en ligne directe avec les textes officiels relatifs aux nouveaux enjeux de la santé et de la démocratie sanitaire. L'Université des patients est en outre citée dans certaines recommandations HAS et dans le rapport de l'Observatoire sociétal des cancers dédié à l'après-soin, comme une preuve de sa légitimité et de sa nécessaire présence dans le paysage sanitaire actuel. Signe des temps, l'Université des patients participe à la réflexion publique sur le rôle des patients dans l'organisation des soins, devenue dès lors partenariale entre soignants et soignés. Le patient n'est plus passif, subissant une trajectoire de soins, mais actif, producteur de savoirs et acteur à part entière du système de santé. Une nouvelle voie s'ouvre alors à lui, la perspective d'une professionnalisation, la possibilité d'une ouverture à de nouveaux métiers : un plaidoyer que l'Université des patients porte en sa faveur pour créer un droit à un revenu thérapeutique universel qui faciliterait les trajectoires de reprofessionnalisation.
Face à cette montée en puissance des patients qui deviennent acteurs du système de santé, l'Université des patients fait face à une demande croissante de formations diplômantes pour les patients : en dehors des formations proposées dans les murs de la faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie à Paris, l'Université des patients existe aussi à Marseille et Grenoble. Ailleurs, les DU en éducation thérapeutique restent encore la chasse gardée des soignants dont les patients sont exclus. La solution reviendrait à créer une Université des patients dans chaque région pour permettre à tout patient désireux de se former de pouvoir le faire. De quoi nourrir encore pour un moment les ambitions de cette initiative, qui fait des émules et comble un manque certain auprès des patients.
C'est entre les deux guerres mondiales que naissent les premières associations de patients venant en aide aux patients : les Alcooliques anonymes (en 1934), puis les usagers de drogues dans les années 1950 et les malades du Sida dans les années 1980 structurent peu à peu le principe de l'entraide entre les malades. Les interactions entre les patients remettent peu à peu en cause le pouvoir médical comme seule source d'informations sur la maladie : les patients deviennent acteurs de la santé et obtiennent de plus en plus de droits. En 1996, les usagers obtiennent leur représentation dans les conseils d'administration des établissements publics de santé : c'est l'année de la création de la Conférence nationale de santé via les ordonnances Juppé et des conférences régionales de santé où siègent les représentants d'usagers. Un nouveau pas est franchi en 2002 avec la loi du 4 mars, dite loi Kouchner, qui marque la participation de l'usager au système de santé. Cette loi instaure par exemple les commissions des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (les CRUQPC). Avec la loi du 9 août 2004, elle permet l'élaboration d'un agrément pour les associations de malades et d'usagers du système de santé. En 2009, la loi HPST pose les cadres de l'éducation thérapeutique, qui permet l'émergence du patient expert. Les représentants d'usagers intègrent par ailleurs le conseil de surveillance des ARS et la conférence régionale de la santé et de l'autonomie est mise sur pied. La loi du 26 janvier 2016 relative à la modernisation de notre système de santé consacre la création de l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé (UNAAS). Chargée de donner aux pouvoirs publics un avis sur le fonctionnement du système de santé, elle peut également mener des actions en justice.