Objectif Soins n° HS_2019 du 01/04/2019

 

Dossier

Management des soins

Pascale Thibault  

Les relations des professionnels de santé avec l'entourage du patient sont, encore aujourd'hui, teintées de sentiments divers. Si, pour certains, la place de l'entourage au sein de l'institution hospitalière ou médico-sociale est évidente, d'autres restent méfiants, voire défiants à l'égard des familles. Dans un même établissement, un service, parfois très technique, accueille les proches du malade à tout moment, quand à côté un autre exclut d'emblée toute présence d'un parent auprès du patient. Ces différences dans un même établissement mettent en évidence le chemin à accomplir pour que les relations entre soignants et entourage du malade soient sereines. Comprendre ces relations en 2019 implique d'identifier la lente évolution des représentations dans ce domaine, en lien avec les évolutions de la médecine, de la psychologie et du système de santé en France, et de connaître la terminologie qui s'y rattache.

À l'origine, exclusion des proches et paternalisme

L'institution hospitalière était initialement destinée aux plus pauvres, aux plus démunis, à ceux qui n'avaient pas d'entourage familial et/ou amical pour les accompagner dans la maladie, la souffrance, la mort. Ils étaient alors accueillis dans des établissements qui deviendront, à partir de la Révolution française et plus systématiquement à la fin du XIXe siècle, les hôpitaux publics.

À partir de cette période, l'essor de la médecine telle que nous la connaissons aujourd'hui modifie l'accès à l'hôpital. Initialement, le premier risque est infectieux. Mal maîtrisé, il incite à isoler le malade de son environnement. C'est le premier motif invoqué à la limitation de la présence de l'entourage du malade dans les lieux de soins. Les horaires de visite sont très restreints (1 h 30 à 2 h deux fois par semaine), des fouilles des sacs des visiteurs ont lieu à l'entrée des établissements. C'est en 1972 que les horaires de visite de 13 h 30 à 20 h sont déterminés par la Direction générale de l'hospitalisation. Cette législation est toujours en vigueur, même si elle est désormais très diversement appliquée.

Progressivement, au cours du XXe siècle, en parallèle des établissements publics et afin de satisfaire les demandes de soin des populations plus aisées, se développent des lieux d'hospitalisation privés dans lesquels les règles sont plus souples. Le conjoint, les enfants peuvent rester, le plus souvent sans restriction, auprès de leur proche.

Durant cette période, concernant l'information médicale, les médecins s'adressent en priorité au malade et à lui seul, quel que soit son état. La famille, les proches sont tenus éloignés des informations et des prises de décision. Le médecin prend d'ailleurs le plus souvent ses décisions seul, considérant qu'il sait ce qui est bien pour le malade du point de vue de la maîtrise de son art. C'est une vision paternaliste de la relation médecins-malades auxquels ces derniers se soumettent volontiers.

Seconde partie du XXe siècle : l'intégration progressive des connaissances en psychologie

Il faudra attendre les travaux des psychologues, après la Seconde Guerre mondiale, pour qu'une lente évolution s'effectue. Cela commence par les travaux confiés par l'ONU à J. Bowlby concernant les retentissements de la séparation des enfants d'avec leurs parents. Ces travaux mettent en évidence que les enfants ayant été séparés de leurs parents, d'autant plus que cette séparation est précoce et longue, souffrent davantage de troubles psychologiques, en lien avec la rupture du processus d'attachement. Ces troubles se manifestent par de la crainte, une perte de confiance en l'adulte, des phénomènes de régression et peuvent avoir des conséquences définitives. Dans le cadre du développement des hospitalisations précoces à la naissance, lorsque le lien n'a pas pu s'installer correctement entre l'enfant et sa mère, les risques de maltraitance sont considérablement augmentés. Ces découvertes amènent à des prises de conscience. Des assouplissements très progressifs des règles d'accès des parents aux services de néonatologie et d'hospitalisation pédiatriques se mettent en place.

Cette évolution touche plus tardivement les secteurs d'hospitalisation d'adultes. En raison des progrès techniques considérables et de la qualité des soins offerts dans le service public, y sont désormais admis des patients issus de toutes les couches sociales, ce qui favorise l'évolution des réglementations.

D'autres facteurs entrent en jeu, tels que le désir d'humanisation de l'hôpital qui se développe fortement de 1980 à l'aube du XXIe siècle, la recherche de l'amélioration de la qualité de vie, en particulier pour les patients atteints de maladies de longue durée (cancers, maladies chroniques, etc.), le développement des soins palliatifs. En parallèle, dans les formations des soignants paramédicaux (infirmier, aide-soignant) apparaît la notion de prise en charge globale, en référence à l'être « bio-psycho-social », incluant ainsi les questions relatives au mode de vie et aux relations sociales du patient dans la qualité de sa prise en soins.

Ces données humanistes ne sont pas les seules à favoriser les évolutions. L'explosion du nombre de patients atteints de maladies chroniques, de personnes âgées dépendantes va inciter les pouvoirs publics à développer des politiques différentes incluant beaucoup plus le patient, mais aussi son entourage dans les soins, en partie pour des raisons économiques. Ainsi les programmes d'éducation thérapeutique vont rapidement favoriser la formation du malade lui-même mais aussi d'un proche.

Au XXIe siècle : des évolutions notables

À partir des années 2000, le processus s'accélère et un faisceau d'éléments renforce l'intégration de l'entourage du patient.

• La loi du 4 mars 2002 (1) constitue un virage très important pour les relations du patient, mais aussi de l'entourage du patient avec le médecin. Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé, a la volonté de faire évoluer les comportements de ses confrères, considérant que malgré les recommandations relatives aux souhaits d'évolution de la relation malade-médecin, les choses ne vont pas assez vite. Il passe alors par la loi pour imposer certaines mesures telles que l'information des proches, la personne de confiance. Cette loi sera suivie dans le cadre des soins palliatifs par la loi Leonetti (2005) (2), puis la loi Claeys-Leonetti (2016) (3), qui précisent le rôle de la personne de confiance.

• En 2009, le rapport Compagnon et Ghadi (4) met en évidence que les personnes hospitalisées dont l'entourage est présent présentent moins de signes de maltraitance que celles qui sont isolées.

• La démarche qualité (5) introduit en 2010 le critère 10 relatif à « l'accueil de l'entourage » incitant les équipes hospitalières à répondre aux attentes des patients et des familles. Il y est demandé que l'institution hospitalière prévoit « une organisation [qui] permet l'accueil et la présence en continu des parents des enfants hospitalisés » et pour y parvenir que « l'accès aux secteurs d'hospitalisation [soit] facilité pour l'entourage et que l'entourage des patients bénéficie d'un accueil personnalisé et de soutien dans les situations qui le nécessitent ».

• Dans les établissements médico-sociaux (6), la loi du 2 janvier 2002 rénove l'action sociale et médico-sociale et place l'usager et ses proches au centre des préoccupations. Cette place est valorisée au sein du conseil de la vie sociale qui se substitue au conseil d'établissement.

L'utilisation d'une nouvelle terminologie

Parallèlement à ces évolutions, de nouveaux termes fleurissent. Certains d'entre eux, comme aidant ou aidant naturel viennent d'outre-Atlantique, d'autres comme la proximologie sont le fruit du développement du concept relatif au travail avec l'entourage du patient.

• Aidant, aidant naturel : au Canada, ce terme désigne « les membres de la famille ou des amis qui offrent des soins et de l'aide à une personne ayant des troubles physiques, cognitifs ou mentaux. Ils le font par choix ou par nécessité ». Au Canada, les personnes rémunérées pour assurer des soins à une personne ne sont pas considérées comme des aidants.

• La proximologie se définit comme « l'étude de la relation d'exception entre la personne malade ou dépendante et ses proches », en particulier « la relation de soins ou d'aide à laquelle l'entourage participe ». Pour Hugues Joublin (7,8), « la proximologie inscrit l'entourage de la personne malade au centre du complexe relationnel qui le lie au patient, aux soignants, aux structures de santé et d'hébergement ainsi qu'à son environnement professionnel et familial ».

Cette évolution marque l'évolution du travail des soignants avec l'entourage du patient dans tous les contextes de soin, passant de la spontanéité à la professionnalisation.

La situation actuelle

Nous assistons à une évolution notable de la situation, malgré le maintien de grandes disparités. Par ailleurs, les plaintes des soignants concernant les exigences des familles demeurent fréquentes. Concernant l'accès dans les services, et malgré les recommandations en vigueur, les restrictions restent parfois importantes. Ainsi, invoquant des raisons de sécurité tout à fait légitimes, certains services d'enfants sont fermés, impliquant que les parents sollicitent les soignants pour y accéder. Dans les services d'adultes, le plus souvent, et parfois après des périodes d'assouplissement, les horaires de visites sont limités à la tranche horaire 14 h-20 h.

Ce sujet demeure sensible. Les avis relèvent encore de points de vue personnels plus que professionnels. La formation des professionnels de santé concernant le travail avec l'entourage dépend des expériences vécues en stage, et donc des représentations et des réalités des équipes.

Travailler avec l'entourage du patient implique d'être capable de faire face à des situations complexes, nécessite une réflexion d'équipe et une harmonisation des pratiques, des comportements et des discours.

En conclusion

Si l'on peut comprendre la nécessité d'établir des règles de vie institutionnelles, l'accès des proches, lorsqu'il fait l'objet d'une réflexion d'équipe, intégrée au projet de soin, améliore considérablement la vie des patients, de leur entourage et celle des équipes. Trop souvent encore, les professionnels de santé français sont imprégnés de l'histoire des institutions. Les expériences montrent que lorsque le travail avec l'entourage du patient est une évidence, les problèmes s'estompent ou sont limités aux problèmes inhérents à toute relation humaine. Exclure l'entourage du patient, c'est réduire ses possibilités d'aller mieux, c'est se priver d'une aide précieuse pour les soins, c'est courir le risque de générer de l'anxiété, voire de l'angoisse et donc des comportements inadaptés (agressivité, plaintes, etc.) de la part du patient comme de son entourage.

POUR EN SAVOIR PLUS

    La personne de confiance

    La notion de personne de confiance apparaît dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Il y est inscrit, à l'article L. 1110-4 que : « En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s'oppose pas à ce que la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance définie à l'article L. 1111-6 reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d'apporter un soutien direct à celle-ci, sauf opposition de sa part. »

    L'article L. 1111-6 du Code de la santé publique précise la procédure de désignation de la personne de confiance : « Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant, et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d'état d'exprimer sa volonté et de recevoir l'information nécessaire à cette fin. Cette désignation est faite par écrit. Elle est révocable à tout moment. Si le malade le souhaite, la personne de confiance l'accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l'aider dans ses décisions. »

    Les lois de 2005 (2) et 2016 (3) relatives aux droits des malades en fin de vie ont renforcé le rôle de la personne de confiance. Dès 2005, il est précisé que l'avis de la personne de confiance, lorsqu'elle a été désignée et que le malade est hors d'état de s'exprimer, prévaut sur tout autre avis non médical, à l'exclusion des directives anticipées... Lorsqu'il n'y a pas de désignation d'une personne de confiance, le médecin est tenu de prendre en considération l'avis de la famille ou à défaut d'un des proches de la personne en fin de vie. Ces termes sont repris en 2016, mettant bien en valeur l'importance de l'entourage du patient. Par ailleurs, il est noté dans la loi les conditions d'information du patient concernant la désignation de la personne de confiance. Celle-ci doit être faite par un professionnel de santé.

    Il faut noter que la loi précise que le malade peut exiger que la personne de confiance l'accompagne dans ses démarches et ses consultations médicales. Le médecin ne saurait s'y opposer.

    1 Loi no 2002-203 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

    2 Loi no 2005-370 du 22 avril 2005, dite loi Leonetti, relative aux droits des malades et à la fin de vie.

    3 Loi no 2016-87 du 2 février 2016, dite loi Claeys-Leonetti, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.

    4 Claire Compagnon, Véronique Ghadi, « La maltraitance ordinaire dans les établissements de santé : étude sur la base de témoignages », HAS, 2009, 97 p.

    5 HAS, Direction de l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, Manuel de certification des établissements de santé V2010, juin 2009.

    6 Loi no 2002-02 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale.

    7 Hugues Joublin, Le proche de la personne malade dans l'univers du soin – Enjeux éthiques de proximologie. Toulouse, Érès, 2010.

    8 Hugues Joublin, Réinventer la solidarité de proximité : manifeste de proximologie, Paris, Albin Michel, 2005.