Le changement, une nécessité pour les établissements de santé - Objectif Soins & Management n° HS_2020 du 01/03/2020 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° HS_2020 du 01/03/2020

 

Promotion de la santé

Dossier

Céline Ramspacher  

Le changement est souvent mal vécu par les équipes. Pour autant, il s'avère nécessaire dans notre société où l'évolution est permanente. Les politiques de santé nous amènent à une réflexion quotidienne sur les pratiques. Les projets fusent, avec plus ou moins de sens et d'acceptation pour les professionnels de terrain. La conduite du changement doit donc passer par un accompagnement des équipes, parfois même des usagers, en particulier dans les lieux de vie.

La conduite de projet

Dans le monde du travail, les changements ne se font, généralement, pas sans une conduite de projet. En effet, les règles institutionnelles et la portée du projet impliquent de respecter des étapes et des délais afin de transformer une idée en réussite potentielle.

Cette idée sera le point d'arrivée souhaité. La réalité sera alors le point de départ connu. Les points d'arrivée et de départ sont susceptibles d'évoluer durant la conduite du projet, c'est là tout l'intérêt de ce travail : mesurer la compatibilité entre « ce que je veux et ce que je peux » et entre « ce qui est et ce que je pense être ».

Un cadrage précis pour une équipe pluridisciplinaire

La définition de ces points de départ et d'arrivée c'est le cadrage. Celui-ci doit être suffisamment précis pour orienter les échanges sans l'être trop afin de permettre des discussions et des aménagements. L'intérêt d'une équipe pluridisciplinaire apparaît clairement ici : chaque corps de métier aura une vision des choses et saura éclairer les échanges au regard de ses connaissances.

C'est donc à ce stade qu'il faut définir les professionnels « ressource ». Ce sont des spécialistes dans leur domaine. Ils peuvent faire partie du service concerné, d'un autre service ou parfois même d'un autre établissement.

Selon les projets, le recours à des consultants pourra même être envisagé. Leur participation sera permanente ou ponctuelle, en fonction de l'intérêt de leur intervention pour l'avancée des réflexions.

L'indispensable nomination des pilotes

Le pilote est celui qui a défini le projet initial, qui est missionné ou qui s'en saisit. Durant le déroulement des réflexions et des travaux, il pourra nommer d'autres pilotes sur des thèmes précis, lorsque ses compétences ne lui permettent plus de mener les discussions efficacement. Alors, un professionnel ayant des compétences ou un positionnement, hiérarchique ou fonctionnel, particuliers pourra être le pilote d'un sous projet ou d'une action à mener.

L'élaboration du cahier des charges

Le cadrage ainsi défini peut se matérialiser par la rédaction d'un cahier des charges : Qui est le pilote principal ? Quel(s)est (sont) le(s) pilote(s) d'actions ou de sous projets ? Quelle est la situation de départ ? Quelle est la situation souhaitée ? Quels sont les interlocuteurs pour évaluer l'adéquation entre la réalité et le projet ? Quelles sont les limites imposées par les projets institutionnels, la hiérarchie, l'architecture, les lois, etc.?

Des réunions permettent de suivre l'avancée des réflexions et d'élaborer un rétro-planning des actions à mener. En effet, à ce stade, il s'agit de trouver un consensus sur l'état des lieux de la situation initiale, l'objectif à atteindre, ainsi que la façon d'y parvenir.

La rédaction détaillée du projet se fait tout au long des réflexions. Il peut être transmis, à périodicité définie, aux instances décisionnaires pour suivi et/ou avis.

La validation du projet, communément appelée « go », est le point de départ de la réalisation de celui-ci. Chaque pilote réalise, ou fait réaliser, conformément aux décisions prises, les actions placées sous sa responsabilité. Il tient informé le comité de pilotage de l'avancée des travaux afin de permettre une mise à jour du rétro planning, d'adapter les actions aux réalités rencontrées et de rythmer les différentes interventions à venir, si besoin.

La clôture du projet est la finalisation de l'ensemble des actions. En théorie, c'est l'atteinte de l'objectif initialement posé.

Une évaluation immédiate et une à distance sont recommandées afin d'identifier les problématiques non anticipées et ainsi d'optimiser le résultat obtenu par de nouveaux travaux de réflexion amenant vers de nouvelles actions.

Une communication nécessaire

Quelle que soit l'étape du projet, il apparaît nécessaire de communiquer avec les professionnels et/ou les instances représentatives du personnel, selon l'impact du changement, afin de fluidifier les travaux et d'identifier les résistances potentielles tout au long de la conduite du projet.

 

Afin d'illustrer ces propos, nous vous présentons l'expérience d'une réorganisation qui pouvait sembler simple sur le papier mais qui a été fortement impactée par les résistances sur le terrain.

Regroupement de deux plateaux techniques

L'évolution des pathologies accueillies dans l'établissement, ainsi que les mouvements architecturaux opérés dans les services de soins ont amené le comité de direction à avoir une réflexion sur la localisation des plateaux techniques de rééducation.

Une réorganisation proposée

En effet, les modifications opérées nous ont amenés à observer un plateau technique dédié à 20 patients amputés, alors qu'il accueillait, auparavant, jusqu'à 50 patients présentant des affections de l'appareil locomoteur.

Le glissement de ces patients vers d'autres modes de prise en charge ou d'autres plateaux techniques s'est fait conjointement au glissement des professionnels assurant leur prise en charge. Ainsi, ce plateau, alors démesurément grand, s'est vu accueillir moins de patients avec moins de professionnels.

Deux problèmes se posent alors au niveau des rééducateurs:

• un problème de sécurité dans la mesure où ceux-ci se retrouvent isolés, avec des patients potentiellement fragiles,

• un problème de continuité de la prise en charge car il n'est alors plus possible de mutualiser les effectifs pour gérer les absences.

La décision a donc été prise de regrouper ce plateau technique avec un autre, préexistant et ayant une capacité d'accueil adaptée. Le cahier des charges impliquait d'avoir des espaces suffisants pour accueillir les patients et le matériel de rééducation nécessaire à la spécificité de la prise en charge, une proximité géographique avec les unités de soins, une mutualisation des espaces et du matériel permettant une mutualisation des effectifs dans les périodes d'absentéisme.

Lors de la définition du projet, il semblait évident que les professionnels avaient tout à gagner à être regroupés. En effet, chacun gardait sa spécificité et le matériel nécessaire à sa pratique tout en bénéficiant d'un effectif plus important, amenant de la souplesse dans les capacités de prise en charge.

Une réalité technique

Le point réalisé sur la situation architecturale était, lui, plus mitigé : les locaux sont spacieux avec une grande hauteur sous plafond, autorisant une occupation aisée de la surface. Cependant, la présence d'amiante dans les cloisons et le sol laissait peu de marge de manœuvre dans la modification des espaces.

D'un point de vue de la sécurité, chaque action touchant le bâtiment devait faire l'objet d'une analyse du risque.

Pour la partie architecturale, nous avons connu très rapidement les contraintes : il était possible de multiplier les espaces mais pas de les agrandir. Ce constat présentait un net avantage : il permettait de créer des espaces restreints et isolés garantissant la prise en charge des patients à risque (BMR, BHRE) ou nécessitant une prise en charge calme.

Pour la partie sécurité, les espaces avec des niveaux de prévention différents ont été identifiés afin de travailler sur la bonne répartition géographique des salles (une salle de stockage respecte une réglementation différente d'une salle de prise en charge au regard de la sécurité incendie).

Le cadre de rééducation a donc pu présenter ces conclusions aux équipes afin de démarrer les échanges concernant la future répartition des espaces. Le cadre supérieur de rééducation a accompagné le cadre de proximité sur les moments forts : présentation du projet initial et des possibilités architecturales, arbitrage, présentation du projet validé. Deux catégories professionnelles étaient essentiellement concernées : les kinésithérapeutes et les ergothérapeutes.

Des résistances des professionnels concernés

Très rapidement, une majorité des professionnels a exprimé son désaccord. Les échanges et propositions se focalisaient non pas sur la projection dans les nouveaux locaux mais plutôt sur l'utilisation qui serait faite des locaux libérés. Ainsi, ils pouvaient proposer des alternatives leur permettant de ne pas bouger.

C'est là toute l'importance de donner du sens au projet : si les professionnels ne comprennent pas l'intérêt du projet, ils ne se projettent pas.

Le cadre a donc dû consacrer plusieurs réunions et temps informels à expliquer pourquoi ce déménagement était nécessaire. L'argument principal des opposants était que ce projet servait principalement les intérêts de la direction et qu'il avait pour vocation de mutualiser les effectifs afin de les réduire en supprimant la surspécialisation existante.

Chaque argument allant à l'encontre du projet a dû être pris en compte et retravaillé avec les professionnels concernés. Le cadre de rééducation avait également besoin de s'assurer, auprès de sa hiérarchie, que les craintes des professionnels n'étaient pas fondées. Les échanges et l'accompagnement ont donc eu lieu à plusieurs niveaux.

Même si, dans le cas présent, l'objectif n'est pas de réduire les effectifs, les professionnels doivent entendre que les réductions budgétaires des établissements vont amener à revoir, tôt ou tard, les organisations afin d'assurer la pérennité financière de l'établissement.

Une adaptation nécessaire du suivi du projet

Ainsi, l'acceptation au projet s'est faite plus ou moins, en fonction des disciplines et du service d'origine. Sans surprise, les professionnels habituellement plutôt ouverts à l'échange se sont prêtés aux travaux de réflexion et ont pu rapidement proposer une solution permettant de regrouper les plateaux techniques. D'autres ont refusé tout échange, toute réflexion,voire toute action permettant de mener à bien le projet.

Alors, une partie du plateau s'est vraiment dessinée au regard des besoins et visions du terrain lorsque l'autre partie a été réfléchie par l'encadrement, au regard des arguments posés. L'idée n'était plus de créer un espace de travail idéal mais de faire accepter les décisions prises aux professionnels. Une première réflexion a été proposée. Certains ont alors accepté de collaborer et de critiquer ce travail. D'autres ont continué de se murer dans l'opposition ou de donner des arguments à l'encontre du projet.

La conduite de celui-ci a donc été divisée en deux parties : une première concernant le plateau technique des kinésithérapeutes et une autre concernant celui des ergothérapeutes. L'un des projets a alors pu être validé : les réflexions menées collectivement ont été validées par le comité de pilotage puis par la direction, compte tenu du respect du cahier des charges initial. Ainsi, les discussions se sont centrées sur une partie plus restreinte des équipes.

Des travaux de rafraîchissement des espaces ainsi que la réalisation de salles plus petites ont été amorcés, compte tenu de la validation du rétro planning. Dans le groupe de travail restant, cela a permis à certains de se projeter et de relativiser des difficultés qui n'en étaient plus.

Finalement, nous avons pris plusieurs semaines de retard pour finaliser la rédaction du projet intégral. Une majorité des professionnels a pu participer et y adhérer. Une minorité est restée fermée et a refusé toute action qui pouvait faciliter la mise en œuvre du projet.

Afin de se prémunir de toute situation pouvant retarder encore la mise en œuvre du projet, la décision a été prise de présenter ce projet aux instances représentatives du personnel pour avis.

Suite à cette présentation, le déménagement pourra s'effectuer. Il sera alors important d'accompagner les mouvements et la mise en place, tant auprès des professionnels que des patients, afin de limiter le risque d'une action collective potentielle.

Un projet commun pour des visions si différentes

Tout projet se caractérise par une conduite du projet. Celle-ci passe par quatre étapes : le cadrage, la conception et la planification, la réalisation et la clôture du projet.

La capacité de remise en question et d'adaptation du comité de pilotage est un gage de réussite, comme ici où le projet a été scindé en deux projets afin d'allier conduite efficiente et adhésion des équipes.

 

Lorsque le projet concerne plusieurs services ou plusieurs personnes, il est tentant de ne pas nommer de pilote et de laisser chacun travailler librement sur sa partie. Ce serait là faire une grosse erreur... Envisagerait-on de conduire la même voiture à plusieurs en même temps ? Ou préférerait-on diviser le trajet ?

C'est ainsi que, dans le cas présent, nous avons pu mener une réflexion en plusieurs étapes, permettant à chacun d'avancer avec les bonnes cartes. En effet, le bilan amiante complétant le bilan sécurité, a donné une vision de la possibilité de travaux, permettant la définition des espaces et ainsi les besoins de réalisation de travaux ainsi que les délais nécessaires. Cela a permis de se projeter sur la date du déménagement qui amènera, à terme, une réorganisation des espaces voire des pratiques.

 

Ici, il a fallu faire converger deux réalités pour atteindre un consensus : d'une part la vision des professionnels soignants et des patients, de l'autre, les perceptions des services techniques concernant les possibilités architecturales et le coût des travaux.Ce sont deux univers qui ne se connaissent pas et qui souvent ne se comprennent pas.

A ces visions différentes s'ajoute la commande qui vient de la direction et qui peut ne pas être comprise ou mal interprétée.

 

Il est alors nécessaire de faire attention à ce que les résistances des professionnels n'impactent pas les patients et leur prise en charge. Ceux-ci ne doivent pas se retrouver pris en otage ou à partie dans les échanges entre le terrain et l'encadrement. Cela passe par une communication raisonnée et efficace au niveau des professionnels, voire des patients s'ils sont directement impactés. L'idée n'est pas de se justifier mais d'accompagner le changement.

L'encadrement doit identifier les moteurs et les freins pour avancer et élaborer la réflexion : chaque argument compte. S'appuyer sur les moteurs et ne pas lutter contre les freins mais les utiliser dans les échanges et les propositions permettra d'avancer plus efficacement.

N'oublions pas que la légitimité du pilote ne passe pas nécessairement par sa capacité à tout connaître et à tout maîtriser mais plutôt dans sa capacité à accepter qu'il ne connait et ne maitrise pas tout et qu'il sait alors bien s'entourer en désignant des pilotes et professionnels « ressource » en fonction des thématiques à traiter.

Enfin, pensons à ramener les débats, autant que possible, vers notre cause commune : le patient au cœur du dispositif.

Le comité de pilotage a été défini, au regard du cahier des charges :

• le pilote du projet : le cadre supérieur de rééducation

• le pilote dans les réflexions avec les rééducateurs : le cadre de rééducation

• le pilote dans la conception et le suivi des travaux : le responsable des services techniques

• le pilote dans l'accompagnement et le suivi des recommandations liées à la sécurité : le responsable sécurité

2 grands principes permettent de faire face aux professionnels résistants et perturbateurs :

• Qui ne dit mot consent

• Qui critique propose

En conséquence, ne pas les écarter mais les interroger sur leurs propositions concrètesafin de les amener vers des discussions constructives