Objectif Soins n° HS_2021 du 01/06/2021

 

Écrits professionnels

Géraldine Drevet  

La légitimité et la crédibilité du management de proximité constituent des facteurs clé de succès des politiques managériales et sociales au sein des établissements de santé. Si l'intensification du travail est une réalité, la combinaison de l'action managériale et de l'implication des soignants offre encore de belles perspectives de collaboration au bénéfice d'une organisation efficiente.

Introduction

Les incessantes mutations organisationnelles et technologiques, au sein des établissements de santé, contribuent à intensifier le travail, même si, conjointement, elles tendent à en renouveler les formes. L'intensification du travail influe sur l'organisation du travail hospitalier. Les redéfinitions des modes de travail dans les établissements, la réorganisation des soins, la recherche d'une productivité et d'une efficience accrues, les efforts de rationalisation qui s'appliquent à l'ensemble des services, le développement de nouvelles lignes de travail (qualité, vigilances...) ont des conséquences concrètes sur le travail infirmier, en termes de définitions de certaines missions et de réalisation de tâches nouvelles (exigées par l'institution plus que par les besoins du patient ou du résident). Lorsque le temps disponible pour effectuer toutes ces tâches reste le même, ou diminue, il s'ensuit une intensification du travail des personnels soignants.

L'intensification du travail en secteur hospitalier et médicosocial

Selon Françoise Acker, « Si une réorganisation du travail médical s'est imposée en raison de la réduction de la durée de séjour, cette durée est souvent si brève qu'elle s'accompagne d'un effet de seuil en termes d'organisation des soins. Lorsque tous les patients d'un même service n'y sont accueillis que pour quelques heures ou quelques jours et que les soins liés aux traitements et aux interventions chirurgicales s'enchaînent selon un rythme soutenu, on peut observer des perturbations et des dysfonctionnements dans le déroulement des soins et dans le respect de la fluidité des flux de patients prévus » [1].

Si l'on réduit les délais sans transformer le processus ni adapter les outils d'organisation de la production, les capacités d'adaptation et de régulation des personnels constituent la variable d'ajustement, et ce fonctionnement peut être générateur de stress.

L'intensification du travail peut avoir diverses origines : formalisation et raccourcissement des délais, mais aussi pression directe des patients et de leur famille, évaluation plus contraignante du travail. Les effets de l'intensification du travail du point de vue des soignants ne peuvent être compris sans référence à leur insertion dans une organisation globale du travail. Ils dépendent de leurs capacités effectives d'action.

L'intensification du travail est aussi un phénomène de nature contradictoire, dans la mesure où, dans ses formes actuelles, elle est souvent associée à une complexification du travail mais que, dans les cas où elle est reconnue, elle témoigne d'une compétence accrue du professionnel. Une ambiguïté analogue caractérise la façon dont est vécue l'intensification du travail. Celle-ci n'apparaît pas purement et simplement comme une dégradation des conditions de travail. Elle peut s'accompagner d'un fort investissement, avec toutefois un risque élevé de souffrance au travail. Cette instabilité nécessite une analyse diachronique des effets de l'intensification du travail, nécessaire également pour comprendre les risques d'exclusion qu'elle engendre.

L'intensification du travail est étroitement liée aux obligations de performance des structures de soins aujourd'hui et à son incontournable mesure. De plus en plus, celle-ci est appréciée à court terme. Il n'est pas sûr que cette vision à courte vue conduise à une amélioration durable des performances. Par ailleurs, compte tenu de la diversité des critères pris en compte et des formes d'organisation, l'intensification du travail ne résulte pas forcément d'une véritable nécessité économique. Selon Marie Raveyre et Pascal Ughetto, « Les salariés se trouvent pris dans un sentiment d'urgence, de pression temporelle les mettant toujours sur le fil du rasoir. Ils ont en permanence du travail, pour davantage que ce qu'ils ont le sentiment de pouvoir assumer, et expriment la frustration de ne pas pouvoir effectuer du ``travail bien fait''. Ils s'en prennent alors à toutes ces tâches qu'ils perçoivent comme un surcroît de travail, de même qu'ils dénoncent l'emprise croissante des protocoles, qu'ils jugent parfois inefficaces. Du coup, le tableau dépeint est celui d'un travail qui s'effectue moins dans la sérénité que dans la confusion, celle résultant de la nécessité d'improviser des arbitrages pour déterminer les tâches que l'on va ajourner face à une urgence ou, plus généralement, face à une charge de travail dont on sait qu'elle dépasse l'ampleur de ce qui est physiquement faisable dans une journée. » [2] Les professionnels décrivent ainsi une organisation aux exigences multiples. Idéalement, il faudrait pouvoir tout faire à la fois : « Tout est urgent » ; mais, dans les faits, ils peinent à identifier clairement les critères qui leur permettraient d`accepter sereinement un ordre des priorités, remettant certaines tâches à plus tard ou les reportant sur d'autres personnes.

La hiérarchie a parfois tendance à répondre à cette situation par la multiplication de procédures, mais celles-ci sont alors ressenties par les agents comme un surcroît de contraintes plutôt que comme un véritable soutien à leur activité.

Pour l'encadrement de proximité, il s'agira de corréler les modes de management avec les conditions de travail et le stress engendré par l'intensification du travail.

Passer d'un management de proximité sous tension...

Les cadres de santé sont amenés à prendre de nombreuses initiatives. Leur autonomie professionnelle diffère selon le type d'établissement. Il existe un attachement fort à la profession soignante. Le souci de la qualité des soins est très prégnant dans leurs préoccupations, et requiert une mise en mouvement de l'action managériale.

À l'hôpital, les relations sont dissymétriques, les protagonistes n'ayant pas les mêmes possibilités d'influencer le cours des choses. Il appartient donc aux managers de proximité de détenir les compétences requises afin de tenir le cap, dans un contexte marqué par des turbulences incessantes, et de soutenir les équipes placées sous leur responsabilité, sans s'épuiser eux-mêmes.

Mettre en œuvre une action managériale consiste à comprendre la réalité dans laquelle les personnels interviennent, et à en déduire des enjeux et des modalités d'action. L'action managériale hospitalière requiert la compréhension des processus de décision en s'intéressant notamment aux outils de gestion. « Ainsi, le modèle d'organisation est fondamentalement ce qui réunit les dimensions sociales et les dimensions cognitives d'un univers de production. Dans ses représentations actuellement dominantes, le management a probablement tendance à oublier que les salariés sont des sujets au travail, dotés d'une subjectivité. Mais cette approche considérera que le mieux, pour en rendre compte, est de faire des acteurs managériaux, non pas des agents d'une rationalité de système, quelque peu désincarnée, mais des sujets, dotés, eux aussi, d'une subjectivité, socialement inscrite. Dans cette optique, les acteurs du management, des plus hauts niveaux de la hiérarchie jusqu'à l'encadrement de proximité, deviennent une composante à part entière de l'analyse managériale, et ne sont pas de simples courroies de transmissions d'une rationalité patronale qui les transcende » [34].

Il s'agira de décrypter comment le travail se transforme progressivement, dans un contexte où chacun cherche, de son mieux, à trouver du sens dans sa vie professionnelle hospitalière et personnelle.

... À un management collaboratif au service des hommes et de l'institution

Manager consiste à mobiliser et organiser les ressources naturelles, humaines et techniques afin d'en tirer le meilleur et d'atteindre les objectifs préalablement établis. Le volet humain est un pilier fondamental du management collaboratif. La dynamique insufflée par le manager favorisera le respect, l'écoute, la bienveillance et l'entraide entre les membres de l'équipe.

La prise de conscience de l'importance des méthodes de management au sein de l'hôpital est finalement assez récente, dans la mesure où le domaine du soin a longtemps rendu tabous les critères ayant trait à l'économie, à la performance financière et au management. En effet, la qualité des relations interpersonnelles a, pendant longtemps, semblé suffisante pour assurer au mieux la prise en charge des patients. Cette prise de conscience de l'importance du management s'est insérée, avec plus ou moins de facilité, dans un univers où n'étaient auparavant reconnues que les formations techniques et scientifiques.

Selon leurs secteurs d'activités (soignants, administratifs, techniques, médicotechniques), les professionnels évoluent dans des réalités perçues différemment. Il est par conséquent nécessaire d'adapter les méthodes de management aux logiques des multiples corps de métiers. Le management collaboratif permet de répondre à la question essentielle : « Comment réaliser un travail en commun de manière optimale ? ». Il s'agit de mobiliser au mieux les volontés et les énergies individuelles. Pour cela, il est incontournable de s'intéresser aux personnels et à leurs attentes, afin de les faire participer aux projets de l'hôpital et aux évolutions structurelles imposées par les réformes hospitalières successives de ces dix dernières années. Ainsi, en plaçant le management au cœur de l'organisation, il est possible d'accroître sensiblement les performances attendues.

Les principaux facteurs influant sur les performances sont notamment la motivation, les capacités d'adaptation et les connaissances des acteurs hospitaliers, leur savoir-faire et leur expérience, de même que les conditions de travail. À noter qu'avec une même équipe, mais des cadres de proximité différents, les résultats peuvent être très variables...

Le management ne peut donc se réduire à un ensemble de techniques qu'il suffirait d'apprendre. Il comprend également une part d'irrationnel inhérente à tout rapport humain. La sensibilité individuelle compte pour beaucoup dans la capacité de chacun de devenir un bon manager.

Au regard des évolutions majeures du secteur hospitalier, le management des ressources humaines doit désormais faire face à quatre défis :

le partenariat, pour renforcer son rôle stratégique ;

la crédibilité, afin d'améliorer son image et son professionnalisme ;

le changement organisationnel qui permettra d'intervenir directement dans l'évolution de la culture d'établissement ;

la reconnaissance des personnels et de leurs mérites, qui est essentielle dans un secteur qui connaît déjà des déficits en la matière.

Le management hospitalier et, d'autant plus, celui de proximité, consiste à « conduire » un groupe d'hommes et de femmes, quel qu'en soit le nombre, au sens de « diriger », « commander », coordonner », « faire participer », « animer ». Une grande équipe n'est pas plus difficile à manager qu'une petite. Elle l'est parfois moins, car elle bénéficie de régulations internes naturelles (arrangements interpersonnels spontanés).

Faire travailler ensemble des personnes ne va pas toujours de soi. Cela nécessite d'identifier et de prendre en compte leurs valeurs et leurs compétences. Leur savoir constitue un capital pour lequel il faut consentir un investissement. Leur professionnalisme est lié directement à leur capacité de faire face à l'incertitude. Dans ce contexte, il est opportun de prendre en compte non seulement l'acquisition des savoirs, mais aussi et surtout leur mobilisation, source d'adaptation aux situations professionnelles.

La compétence reconnaît la valeur de l`implication personnelle du salarié dans son activité. Elle est de l'ordre de l'action et relève du savoir agir, du vouloir agir et du pouvoir agir [5]. La compétence ne s'appréhende pas en termes d'état mais en termes de processus. Le capital-compétences de l'hôpital se construit sur des savoir-faire validés et exercés. Plus il est solide, plus il permet d'éviter la surcharge physique et psychique des personnels de soins, et donc les situations de stress.

Promouvoir la participation des soignants aux décisions et reconnaître leurs propositions leur permet d'optimiser leur organisation et, de ce fait, de mieux maîtriser leur travail.

Au-delà de l'étude formelle de l'organisation à partir de critères relativement objectifs (prescriptions, protocoles, procédures de contrôle...), l'observation des situations concrètes permet d'appréhender en quoi l'organisation encadre effectivement ou non l'activité, quelles sont ses modalités de mise en pratique et la façon dont elle est vécue par les acteurs.

Cette observation déterminera si l'intensification du travail résulte ou non d'un déficit organisationnel, constat qui rappellerait que l'organisation est un outil pour agir avec discernement et cohérence.

Conclusion

La dynamique managériale de proximité constitue un levier des actions à déployer face à l'intensification du travail.

Les compétences managériales sont à considérer comme des éléments stratégiques, c'est-à-dire essentiels pour l'avenir des structures de soins en général et des services en particulier.

Il est légitime de dire aujourd'hui que le management de proximité est le premier facteur de performance à court, moyen et long terme. La clé de voûte de la performance durable relève de plusieurs facteurs concomitants : l'alignement stratégique et opérationnel ainsi que la cohérence verticale, horizontale et transversale, mise en œuvre à bon escient. À tous les échelons de la structure, ces questions d'alignement, de cohérence, de cohésion, d'intégration, d'ajustement mutuel deviennent critiques et sont donc prioritaires.

« Même si le développement des compétences managériales ne saurait se faire sans un cadre d'orientation stratégique définie, il ne s'agit pas de formater les managers, mais de leur permettre de donner un sens à leur action et de développer leur motivation, leur style personnel. Ce qui ne peut se faire de l'extérieur, en plaquant des modèles importés, sur commande, mais suppose au contraire qu'ils disposent d'une réelle autonomie dans l'approche et le dispositif mis en œuvre » [6]. Cette autonomie, source de motivation, est une condition des apprentissages [7] en matière de management.

Bibliographie

    Pour en savoir plus

      Les quatre principes fondamentaux du management

      Observer : être à l'écoute du terrain afin d'éviter des erreurs stratégiques coûteuses et de faciliter l'objectivité.

      Définir : préciser le sens des mots, s'assurer que l'on parle le même langage, pour se comprendre et construire ensemble.

      Problématiser : en amont de toute décision à prendre, affiner la problématique pour pouvoir argumenter et bien peser les enjeux, à décliner en termes d'objectifs et d'actions.

      Argumenter : selon les trois piliers fondamentaux de la rhétorique d'Aristote, à savoir : Logos (la logique), Pathos (faire appel et canaliser l'affectif. L'homme n'est pas seulement un instrument interchangeable. Il faut faire appel à une part d'irrationnel), Ethos (le message que l'on veut faire passer doit correspondre à celui que l'on estime clair. Il est nécessaire d'en incarner les valeurs).

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      (2)