Sur le terrain
Dossier
La formalisation de la contribution des différents services concernés par la prise en charge des patients est devenue un incontournable et montre la capacité de l'établissement à accueillir et traiter l'urgence. Sur ce terrain, la question de la coordination des acteurs s'éprouve au quotidien, qui plus est dans un contexte pandémique qui implique une réactivité et une adaptabilité constante, questionnant les articulations des différentes temporalités à l'œuvre dans les soins.
Dans le contexte de la Covid-19, le CHU de Nîmes s'est doté d'une structure décisionnaire et opérationnelle renforcée. Ses impulsions ont impacté l'ensemble de l'institution, accéléré la temporalité de la mise en œuvre des mesures et des prestations pour les soignants et tous les services supports. La traduction opérationnelle a, de fait, modifié l'action du cadre et sa propre temporalité. Elle a mis à l'épreuve les coopérations existantes et révélé des potentialités nouvelles, notamment dans la simplification des demandes et des circuits de décision.
La vocation du service des urgences est sa capacité à apporter une réponse rapide dans une temporalité de prise en charge ajustée selon l'état clinique des patients. Ce service s'inscrit dans une organisation complexe, dont la partition doit être commune entre services mais réalisée avec des contraintes et des talents différenciés. Comment intégrer la temporalité de tous les intervenants, sans oublier celle du patient et de ses aidants, pour « mettre en musique » un parcours, avec une prise en charge de la meilleure qualité possible, dans un délai acceptable pour l'usager mais aussi pour l'institution qui déploie et optimise ses moyens ? Il s'agit de synchroniser des acteurs, d'accorder les pratiques, de produire un soin sans fausse note dans une temporalité cohérente avec l'urgence de la situation, majorée par le contexte pandémique et la gravité des tableaux cliniques. Orchestrer cela nécessite une adaptabilité de l'organisation des ressources humaines et des activités proprement dites. Dans ces domaines, les cadres de santé (CDS) sont la charnière opérationnelle indispensable pour la mise en œuvre.
Le management s'est concrétisé en conjuguant les incontournables réglementaires et recommandations, les procédures de fonctionnement, les ressources humaines et matérielles, avec réactivité et inventivité parfois. Au-delà de la réactivité, on doit ajouter la rapidité ! À l'époque de la « première vague Covid », début 2020, les informations et injonctions parfois contradictoires se sont succédé, avec une demande de mise en place sans délai. Le CDS porteur des messages et garant des organisations a dû démultiplier ses efforts pour donner du sens aux actions dans les équipes, accompagner la mise en œuvre de nouveaux circuits différenciés, réorganiser les ressources humaines, procurer les matériels et dispositifs nécessaires, diffuser et expliquer des instructions, assurer la sécurité des personnels, etc. Cette situation n'a laissé que peu (ou pas) de place pour d'autres activités importantes mais non prioritaires dans le contexte. Ainsi, l'encadrement a vu s'accumuler les travaux « en attente » comme une forme de dette à régler plus tard.
Le laboratoire et l'imagerie médicale sont des services collaborateurs pour les urgences. Leurs contraintes techniques et humaines doivent trouver une résolution dans le processus de prise en charge. Le tempo des priorités a impacté nos temporalités, et l'acceptabilité de ces temporalités est passée par la cohésion et la compréhension au regard des difficultés de l'autre. La coordination entre les professionnels, et inter-services, est un sujet qui fait souvent l'objet de dysfonctionnements déclarés. Il s'agit là, de traiter l'intégration des procédures de chacun dans un processus global, plus que de tenter de réduire des délais incompressibles par définition (exemple : des procédures des services médicotechniques). Ceci n'aurait pu être possible sans le lien soutenu entre les cadres : lien entre les services collaboratifs, lien dans les équipes par un effort de pédagogie et de réajustement des pratiques.
Durant ces derniers mois, le temps à l'hôpital a été bouleversé selon que nous sommes patients ou professionnel de santé, et cela perdurera certainement encore quelques semaines. Le temps ressenti par le patient s'est allongé, l'obtention d'un rendez-vous d'examen est plus difficile car l'offre de soins externes a diminué.
L'attente entre chaque examen a augmenté pour permettre l'habillage et le déshabillage des personnels puisque la définition d'une zone exclusivement identifiée « Haute Densité Virale » est impossible et nécessite le nettoyage des « tunnels » des scanners et des IRM entre chaque patient. Le temps de réconfort des proches qui ne peuvent plus accompagner les patients, et les temps d'annonces parfois défavorables deviennent interminables et anxiogènes. Lorsqu'une consultation est réalisée en « visio », le temps nécessaire pour se connecter n'est pas dénué d'embûches.
Le temps des CDS s'est modifié avec l'arrêt des projets, maintenus toutefois en suspens pour être réactivés très vite dès l'annonce de la reprise d'activité. Les temps des contrôles des pratiques professionnelles et de l'application des gestes barrières se sont intensifiés.
Le temps de la pédagogie, de l'adhésion aux procédures fluctuantes à la suite d'un comité ou d'une cellule de crise, s'intensifie à la hauteur du temps de proximité, de solidarité et de liens auprès des équipes.
Le temps des professionnels a été modifié au fur et à mesure des préconisations, injonctions, directives quelquefois contradictoires dans la journée. Alors le temps du « bon sens » a refait surface, celui de l'adaptation et du pragmatisme, celui de l'intelligence collective, pour diminuer l'attente des patients en réadaptant les organisations, en changeant les horaires de travail et en augmentant les plages de rendez-vous. Les CDS ont réorganisé les tâches et les conditions de travail. Les agents de service hospitaliers (ASH) ont intensifié les procédures d'hygiène, passant inlassablement des lingettes imbibées de détergent désinfectant sur les poignées des portes et sur les interrupteurs. Les banques d'accueil ont été équipées de plexiglass, la distanciation sociale est respectée avec pour conséquence de devoir parler plus fort. Les CDS doivent veiller à ce paradoxe et faire respecter à la fois les gestes barrières et la confidentialité.
La pandémie a bousculé nos organisations mais a rapproché les équipes en radiologie et a renforcé la collaboration de l'encadrement médicosoignant du service des urgences et de l'imagerie. La réactivité des échanges permet aux deux services, grâce aux instructions écrites, partagées et claires, de s'adapter sans cesse aux évolutions des parcours patients.
La question des différentes temporalités qui se confrontent ou s'harmonisent dans les soins, est sous-tendue par la question des tests de dépistage Reverse Transcriptase Polymerase Chain Reaction (RT-PCR). Au début de la crise sanitaire, l'hôpital s'était vidé pour laisser place aux patients Covid-19, mais les pathologies ne connaissent pas le confinement et il faut soigner tous les patients. Alors comment prendre en charge un patient dans l'attente de son résultat de test par RT-PCR ?
En février 2020 et face à ce nouveau virus inconnu, le pôle biologie pathologie et plus particulièrement le laboratoire de virologie avait pour objectif, en lien avec l'Institut Pasteur, de mettre en place un outil diagnostic par RT-PCR. Face à la montée en puissance rapide et inattendue de la contamination, si la question des ressources humaines s'est posée, la problématique du matériel a également fait son apparition. Au début, nous n'avions pas suffisamment d'écouvillons pour réaliser les prélèvements naso-pharyngés, nous n'avions pas de réactifs pour pratiquer les extractions et les RT-PCR. Il a fallu s'adapter très rapidement. Depuis, la situation s'est améliorée mais la demande étant mondiale sur les réactifs et les consommables, les tensions sont toujours d'actualité et la stratégie nationale de tests, portée par les laboratoires de biologie médicale, pourrait être freinée par des difficultés d'approvisionnement en consommables plastiques principalement utilisés pour la préparation du prélèvement et également lors de la technique d'analyse (cônes à filtre et microplaques). Voilà comment un simple bout de plastique, dans la concordance des temps, devient un facteur limitant dans la prise en charge des patients...
Pendant la crise et après le déconfinement, les CDS ont été en première ligne pour la mise en place des structures de dépistage massif (recherche des locaux, constitution des équipes fixes et mobiles, mise en place des « drive » et élaboration des procédures). Face à l'émergence des clusters, il faut également être capable d'organiser des dépistages massifs sur des périodes de temps court (ex : 1850 tests en 2,5 jours sur le village de Bellegarde dans le Gard). Une fois de plus dans les situations de crise, les CDS ont plus que jamais prouvé leur créativité organisationnelle et ont fait preuve d'agilité avec les équipes afin d'adapter les procédures pour retranscrire les consignes nationales au niveau local et permettre une mise en œuvre la plus efficace possible et la plus acceptable pour l'ensemble des professionnels. Le travail parfois « invisible » des CDS est indispensable, en partenariat avec les chefs de service, pour faire fonctionner les services dans les situations de crise mais également pour l'après-crise et la reprise de l'activité normale, notamment pour reprendre en charge les patients qui avaient renoncé aux soins.
Nous voyons bien que la synchronisation des étapes, dans le processus de réalisation des analyses de biologie médicale à des fins de diagnostic, est tributaire de contingences qui vont de l'international au local et qui ont une incidence non perceptible par les acteurs du soin sur la prise en charge des patients au sein des pôles cliniques.
Au-delà de tout cela, le délai de prise en charge restant un critère qualitatif prioritaire pour le professionnel et pour l'usager, plus qu'à l'accoutumée, les CDS ont dû être très présents pour les patients, les familles et les aidants. De plus, l'interdiction des visites a majoré leur anxiété et le temps d'attente ressenti.
Du « sprint » imposé du début de la pandémie, nous sommes passés sans transition à une course de fond soutenue, ou les procédures particulières voire exceptionnelles ont été intégrées et tendent à se consolider dans la continuité, dans le quotidien. La reprise progressive de l'activité est venue ajouter de la complexité dans les circuits et l'orientation des patients. Les professionnels ont dû se former en masse pour l'habilitation aux prélèvements (RT-PCR). Pour les CDS, cette période reste très active, tel Sisyphe qui ne doit pas relâcher l'effort. Ils portent l'exemplarité indispensable pour surmonter la crise, la pugnacité étant le témoin du professionnalisme et de l'engagement.