Objectif Soins n° 270 du 01/09/2019

 

Recherche et formation

Dossier

Vanessa Verhaege  

Dans un contexte national de restructuration de l'offre de soins, la pratique avancée (PA) se propose depuis l'automne dernier comme une nouvelle trajectoire de carrière pour les infirmiers diplômés d'état. Résultante de moult débats et consultations pour déterminer ses contours, la formation de master en pratique avancée est entrée en vigueur à la rentrée 2018 dans 16 universités, et pas moins de 300 Etudiants infirmiers en pratique avancée ont repris le chemin des amphis, pour une entreprise sans précédent en France. Dans ce contexte, se pose naturellement la question de l'implantation de ces nouveaux acteurs dans les équipes, et de leur impact dans l'organisation des soins et la collaboration inter et pluridisciplinaire.

Le contexte national

Dans le cadre d'une réforme globale du système de santé, visant à un accès plus équitable à l'offre de soins et à une amélioration de la prise en charge des pathologies prévalentes, la nouvelle Loi Santé [1] a introduit en 2016, un nouveau métier d'infirmier en pratique avancée (IPA). L'offre de soin connaît des inégalités marquées : accès, délais de consultations, réponses thérapeutiques hétérogènes. Les IPA répondent ainsi à un besoin urgent en acteurs de soins pour les usagers, lié aux inégalités territoriales d'accès aux soins, aux déserts médicaux, à l'émergence de pathologies liées au vieillissement, à la chronicité, ou encore à l'oncologie. C'est dans cette volonté d'amélioration de la cartographie des métiers de santé, que la pratique avancée infirmière inscrit également une logique d'évolution globale du métier d'infirmier et contribue ainsi à sa promotion en termes de compétences, d'autonomie et de reconnaissance.

Le rôle des IPA

Encore méconnues dans un grand nombre de services, l'arrivée des IPA, de par leur caractère novateur en France, suscite de nombreuses interrogations au sein du monde soignant. La clarification du rôle des IPA a en effet mobilisé les représentants des différentes communautés durant près de deux ans, dans moult débats. Visant à améliorer et faciliter le parcours de soins des patients souffrants de pathologies ciblées et stabilisées, la naissance des IPA est venue bousculer les représentations et le clivage ancré entre médicaux et paramédicaux. Le consensus obtenu par décret en juillet 2018 [2], est venu officialiser les missions et champs d'interventions des IPA, à savoir : activités d'orientation, d'éducation, de prévention, de dépistage, d'évaluation clinique, et notamment certains actes de prescriptions strictement encadrés.

La compétence

Ouverte aux IDE justifiant « de trois années minimums d'exercice en équivalent temps plein de la formation d'infirmier », le cursus mastérisant en pratique avancée est accessible en formation initiale. Pour autant, les IPA qui sont attendus sur le terrain au versant de la compétence « avancée », sont recrutés sur sélection stricte de dossier. Priorité est donc ouvertement donnée par les universités aux candidats justifiant d'une expérience professionnelle solide et d'une volonté d'évolution motivée. L'exigence semble au rendez-vous : considéré comme un professionnel abouti, expert et dans la maîtrise de ses compétences, l'IPA se démarque dans l'exigence de l'excellence et devra s'expertiser dans son domaine d'intervention, à l'instar de ses pairs internationaux.

Le modèle international

En effet, les IPA français marchent dans les pas de leurs prédécesseurs, puisque pas moins de 60 pays ont déjà implanté des rôles de pratique avancée à leur système de santé. Se déclinant en plusieurs modèles différents, le point de convergence se retrouve incontestablement au niveau des compétences élargies de ces professionnels, qui se distinguent et dépassent le socle de compétences de l'infirmier en soins généraux. Reste à organiser l'implantation de ces nouveaux acteurs dans le système de soins français.

L'implantation des IPA

Si les missions définies au décret apportent une réponse magistrale à l'endroit des attendus du rôle des IPA, la question de l'intégration de ces professionnels sur le terrain, de leur place dans les équipes et de leur accueil par la communauté médicale et paramédicale est plus que jamais d'actualité. Attendu ou redouté, l'IPA ne laisse pas indifférent et son arrivée suscite une certaine ambivalence, réactionnelle à la restructuration des professions de santé qui va en découler.

Ce bouleversement pose donc la question de l'acceptation et des mécanismes convoqués par l'implantation de ce nouvel intervenant à notre système actuel.

Les expérimentations

Entre 2004 et 2007, des études [3, 4] expérimentales au niveau national ont été menées par la HAS autour de la réalisation dérogatoire d'actes médicaux (échographies, évaluations cliniques, reconductions de traitements) par des infirmiers, dans 13 services pilotes. Ayant pour objectif d'étudier l'intégration de nouvelles formes de coopération au sein d'une organisation existante, ainsi que son impact sur les identités professionnelles, ces conclusions se résument en un guide méthodologique réputé expliciter et soutenir la coopération entre professionnels de santé. Ce guide conclue, consensuellement avec des études [5] similaires menées à l'international, à l'identification de facteurs facilitateurs et de facteurs entravant l'intégration de nouveaux acteurs de soins à un modèle existant.

Freins et facilitateurs

Les obstacles identifiés pouvant entraver la réussite d'une telle implantation sont la résistance à la collaboration, les enjeux identitaires, le manque de clarté et l'impact des représentations des soignants sur leur capacité à adhérer au changement [6]. Aussi, la clarification du rôle, du périmètre d'action et la valorisation institutionnelle et médicale sont quelques-unes des réponses incontournables à la levée des freins [7]. Si l'adhésion au projet de service et à la plus-value apportée par l'élément intégré est déterminante, la communication et l'accompagnement hiérarchique semblent être des leviers puissants à l'investissement, la coopération optimale des équipes, et à un accueil favorable du nouvel acteur de soin.

L'ambivalence

Face à une restructuration des professions de santé, et cet « entre-deux » que représente l'IPA, se voyant confier certaines missions élargies, la crainte du chevauchement des champs d'interventions s'est immiscée prématurément dans les débats et semble persister auprès des détracteurs. La notion d'identité professionnelle est remise en question par cette implantation, et le changement organisationnel en résultant est redouté par différents acteurs. Aussi, la communauté médicale, pourtant en tension face à une demande de soins croissante, se montre frileuse sur certaines des attributions consenties aux IPA, et se veut parfois plus dans une démarche de contrôle que de véritable collaboration. Plus étonnamment, une partie de la communauté infirmière ne se retrouve pas non plus dans cette évolution de la profession, et y voit une hiérarchisation des rôles infirmiers, en lieu et place d'une diversification.

Identité professionnelle

La question de l'identité professionnelle se pose : les contours et les missions concrètes encore assez flous de l'IPA embarrassent, et convoquent un mécanisme de résistance où chacun défend ses attributs. A l'appréhension d'un chevauchement des champs, d'une hiérarchisation des rôles infirmiers ou tout simplement d'un changement des habitudes de services, cette dissension s'inscrit dans une conception cloisonnée du système de santé français, dans lequel le corps médical détient l'ascendant direct et le monopole des compétences cliniques. Si la partie réticente de la communauté médicale se montre farouche à l'évolution du rôle paramédical sur son champ d'intervention, le questionnement relatif au concept d'identité se pose aussi au regard du groupe infirmier, mais dans une approche différente, puisque infirmiers et IPA appartiennent à la même dimension professionnelle. A cet égard, plusieurs hypothèses sont envisageables, à savoir l'impact des représentations sociales au niveau de la résistance à la collaboration, ainsi que l'état des lieux de l'empowerment infirmier.

Les représentations infirmières

L'évolution historique du métier d'infirmier est tout à fait singulière et marquée par l'autonomisation et la recherche de reconnaissance. Des religieuses dévouées aux assistantes médicales exécutantes [8], les infirmiers sont aujourd'hui des acteurs de santé à part entière, regroupés en profession ordinale, avec un code de déontologie et des compétences reconnues et légiférées. Pour autant, cet héritage historique est ancré dans les représentations sociales et persiste dans la collaboration médicale/paramédicale à certains égards. Aussi, si la communauté infirmière s'insurge régulièrement contre un manque de reconnaissance du travail, du salaire, des savoirs, elle peut se révéler figée et fidèle à des représentations obsolètes et très éloignées du rôle infirmier actuel.

La légitimité

Les PA représentent une formidable opportunité pour notre profession de se légitimiser un peu plus dans son expertise, sa Science, ses compétences. Ce sont certainement là quelques-unes des visées qui animent une partie de la communauté infirmière, défendant avec ferveur le développement de ces pratiques, comme preuve de reconnaissance des Sciences infirmières.

Pour autant, la plus-value attendue de l'IPA comme réponse à un véritable besoin en santé, ne pourra se faire qu'à la condition d'une intégration optimale et d'une collaboration efficace. Si la levée d'une partie des boucliers médicaux a été conditionnelle au nivellement par le bas du décret de compétences des IPA, jugé peu audacieux au regard de ce qui peut se faire à l'international ; la résistance infirmière reste un versant à explorer et hypothétise un possible recul du phénomène d'empowerment au sein de notre communauté.

L'empowerment

Le phénomène d'empowerment est à questionner à un moment où l'opportunité d'une évolution novatrice semble convoquer une réponse plutôt fade chez les IDE, à plus juste titre lorsque la quête de reconnaissance des Soins Infirmiers semble cristallisée dans les revendications syndicales. Générant interrogations et diverses formes de résistances, la PAI se propose pourtant d'offrir une légitimité aux Sciences infirmières et conséquemment, des bénéfices collatéraux aux infirmiers en soins généraux. Le versant des représentations sociales et de la culture, supposément imbriqués dans les mécanismes d'empowerment et de résistance, invite à interroger les modèles de représentations des intervenants réfractaires, possiblement en rapport avec une imagerie de la profession infirmière plus historique, et discordante avec l'avancée de compétence prometteuse de la PA.

Un modèle de résistance culturel ?

Tout changement nécessite une adaptation, et incite à différentes formes de résistance : individuelle, collective, identitaire cognitive ou encore culturelle. La France, qui semble lestée d'un immobilisme assez prégnant en termes d'évolutivité des systèmes et des organisations, doit faire face à des enjeux de santé importants, et y apporter des réponses de qualité. La création, entre autres choses, de métiers intermédiaires aux compétences élargies, fait partie des actions prioritaires. Dans un monde en mouvance, où la transversalité devient un postulat systématique à la remise en question des organisations, des genres, des communautés ; la question de l'adaptabilité de la valeur culturelle se pose et on peut interroger son impact sur l'innovativité. En matière de soins, la France est l'un des pays les plus performants en termes d'accessibilité à la santé, et de justice sociale. Pour autant, la pérennité du système de soins se consume et appelle un regard neuf, moins pyramidal.

La PAI est sans nul doute un premier pas vers une réponse en santé plus égalitaire, et une offre de formation plus juste et moins élitiste. Elle invite aussi à reconsidérer de façon innovante le travail de collaboration des équipes de soins, dans une version de complémentarité et de décloisonnement des compétences. Une invitation prometteuse à la transdisciplinarité.

Bibliographie