Objectif Soins n° 270 du 01/09/2019

 

Droit

Gilles Devers  

Analyse de quelques décisions récentes de jurisprudence : absence de rémunération pour les actes pratiqués dans le cadre des transferts de compétences, transfert d'un patient à l'étranger au vu d'un manque de place en France, dysfonctionnement d'un service et harcèlement moral, violence envers les patients, changement d'affectation et procédure disciplinaire pour un infirmier, prise en charge d'une formation de cadre de santé par un établissement, exclusion d'une étudiante par son Ifsi (1)...

Protocoles de transfert de compétences

Aucun complément de rémunération n'est prévu par les textes pour les infirmières pratiquant des actes excédant leurs compétences de base, dans le cadre des protocoles de coopération.

• Faits et procédure. Une infirmière anesthésiste, pratiquant des actes médicaux effectués par délégation de médecins en exécution d'un protocole de coopération, a saisi la juridiction administrative en vue d'obtenir une rémunération spécifique, correspondant à ces actes.

Le tribunal administratif de Lyon, avant de trancher le litige, a posé au Conseil d'État la question suivante : « Un principe général du droit oblige-t-il l'employeur public à rémunérer un fonctionnaire investi, pour assurer le fonctionnement normal du service, de tâches excédant son statut dont l'exécution exige de surcroît l'acquisition de compétences supplémentaires ? »

• Analyse. Selon l'article 77 de la loi du 9 janvier 1986 qui constitue le statut de la fonction publique hospitalière, et l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983, soit le statut général, les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire. Les indemnités peuvent tenir compte des fonctions et des résultats professionnels des agents ainsi que des résultats collectifs des services. Le Conseil d'État en déduit qu'un agent titulaire de la fonction publique hospitalière ne peut prétendre, au titre de la rémunération qui lui est versée à raison de l'emploi qu'il occupe, à d'autres indemnités que celles qui sont instituées par un texte législatif ou réglementaire.

L'article L. 4011-1 du Code de la santé publique (CSP) dispose que, par dérogation notamment à l'article L. 4311-1, qui définit les actes infirmiers, les professionnels de santé peuvent s'engager dans une démarche de coopération ayant pour objet d'opérer entre eux des transferts d'activités ou d'actes de soins ou de réorganiser leurs modes d'intervention auprès du patient. Ils interviennent dans les limites de leurs connaissances et de leur expérience ainsi que dans le cadre des protocoles (art. L. 4011-2 à L. 4011-3). L'analyse des textes montre qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'institue une indemnité rémunérant de manière spécifique l'accomplissement, par un infirmier anesthésiste, d'actes de soins qui lui ont été transférés dans le cadre d'un protocole de coopération régi par les articles L. 4011-2 à L. 4011-3 du CSP.

Conseil d'État, 29 mai 2019, no 428080, Rec. T.

Transfert à l'étranger d'un patient nécessitant une prise en charge urgente

Le transfert à l'étranger d'un blessé relevant d'une prise en charge urgente, du fait de l'absence de place disponible, ne traduit pas nécessairement une faute du service, dès lors que la continuité des soins a été correctement assurée.

• Faits. Un homme alors âgé de cinquante ans, plombier chauffagiste, a été victime d'une explosion de gaz au domicile d'une cliente le 29 juillet 2005, à la suite de laquelle il a été brûlé à 70 % au deuxième degré au visage, au cou, au cuir chevelu, au tronc, à la face antérieure des cuisses et aux membres supérieurs dont les mains.

Il a été admis au service des urgences du CHU d'Amiens où il a été pris en charge de 20 h à 23 h 30 avant d'être transféré au centre des grands brûlés de Bruxelles vers 1 h 30 du matin, en l'absence de place disponible dans un service des grands brûlés en France.

Placé en coma artificiel pendant un mois et demi en raison de l'ampleur de ses brûlures, il a été constaté à son réveil qu'il était atteint d'une cécité bilatérale totale.

• Procédure. Le patient a recherché la responsabilité du CHU d'Amiens et a saisi, le 15 juillet 2008, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI), qui a rejeté sa demande le 2 juin 2010, indiquant que, le cas échéant, la responsabilité de l'État pouvait être recherchée pour défaut d'organisation du service public de santé à raison de la pénurie de capacité d'accueil dans les services prenant en charge les grands brûlés.

Par un jugement du 13 mai 2015, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté le recours du patient dirigé contre l'État et contre le CHU.

• En droit. Selon le paragraphe I de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique (CSP), les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

• Analyse. Le patient soutenait qu'il y avait une forte présomption que la neuropathie optique ischémique dont il était atteint soit la conséquence d'un retard en apport hydrique lié à un défaut de remplissage pendant les premières heures de prise en charge par le CHU d'Amiens.

Or, la conduite de la réanimation a été conforme aux données de la science et satisfaisante au regard des paramètres biologiques relevés lors de l'admission du patient au centre des grands brûlés de Bruxelles, en particulier en ce qui concerne le taux de lactates et celui de l'hémoglobine. Il n'a été relevé aucun manquement aux bonnes pratiques médicales et les délais d'évacuation et d'arrivée au centre des grands brûlés de Bruxelles n'ont pas porté préjudice à l'état de santé du patient, qui est resté stable pendant le transport.

Si un retard d'apport volémique de neuf litres de liquide a été constaté par le centre des grands brûlés de Bruxelles, il ressort de l'expertise que les règles de remplissage ne sont pas les mêmes en Belgique et en France et que cette différence de pratique peut expliquer ce constat. En outre, les experts ont relevé que l'hypovolémie évoquée par les médecins belges n'apparaît pas comme facteur de cécité. De telle sorte, aucune faute commise dans la prise en charge médicale ni dans l'organisation du service n'a été à l'origine d'une perte de chance d'éviter la survenue d'une cécité bilatérale.

Cour administrative d'appel de Douai, 28 mai 2019, no 17DA00250-17DA00251.

Dysfonctionnement du service et harcèlement moral

Les mesures prises à l'encontre d'un agent, par la direction, dans l'intérêt du service du fait d'une situation de conflit relationnel ne peuvent être qualifiées de harcèlement moral.

• Faits. Un médecin anesthésiste, praticien hospitalier depuis 1989, rencontrait depuis début 2014 un certain nombre de difficultés dans le service, obligeant l'administration à une série d'interventions. Il a été placé en congé pour maladie du 11 décembre 2014 au 23 février 2015, et s'est vu notifier, le jour de sa reprise d'activité, une décision de suspension de ses fonctions à titre conservatoire à compter de cette même date.

Il a saisi la juridiction administrative en évoquant un ensemble de faits et de décisions prises par la direction de l'établissement, qu'il qualifiait de harcèlement moral.

• Analyse. Le praticien affirmait qu'il n'avait pas été informé avant sa prise de poste des conditions d'organisation du travail et de rémunération en vigueur au sein du centre hospitalier, que les informations nécessaires au bon exercice de ses fonctions ne lui avaient pas été fournies en dépit de ses demandes répétées, que les modalités de fonctionnement de la structure étaient contraires à la réglementation et aux bonnes pratiques, notamment en ce qui concerne l'organisation des gardes et astreintes ainsi que la répartition des responsabilités entre le service d'anesthésie et de chirurgie, ce qui l'avait conduit à devoir travailler dans des conditions très difficiles, mettant en danger sa santé ainsi que la sécurité des patients. Or ces éléments ne sont pas caractéristiques d'une situation de harcèlement moral et les dysfonctionnements relevés sont de nature générale et ne peuvent être regardés comme révélant une intention de la direction de l'hôpital de lui nuire.

Il ressort des nombreux témoignages produits au dossier que si une situation de conflit s'était installée entre le praticien, sa hiérarchie, ses collègues et les personnels de l'hôpital, c'est notamment en raison de l'attitude agressive et offensive de l'intéressé et de son refus de respecter les modalités de fonctionnement en place.

Par ailleurs, et eu égard au comportement du praticien, la demande qui lui avait été faite par la direction de l'hôpital de ne pas se présenter sur son lieu de travail pendant sa période de congé maladie, ce qu'il avait fait précédemment à deux reprises en suscitant à chaque fois des difficultés, et sa décision de ne pas le nommer chef du pôle d'anesthésie, en dépit du fait qu'il était le seul anesthésiste exerçant à temps plein au sein de l'établissement, doivent être regardées comme des mesures prises dans l'intérêt du service et non dans le but de l'isoler ou de l'humilier.

De même, les décisions de demander une visite de contrôle pendant le congé de maladie, de ne pas l'avoir inscrit sur le tableau des permanences de janvier et février 2015, période pendant laquelle son arrêt de travail avait été prolongé, et d'avoir retiré son nom sur le tableau des consultations et sur la porte de son bureau pendant la période où il n'exerçait plus ses fonctions entraient dans le cadre normal du pouvoir d'organisation du service et des prérogatives de l'employeur.

De telle sorte, il s'agissait d'exercice légitime de l'autorité hiérarchique, et la situation de harcèlement moral n'était pas établie.

Cour administrative d'appel de Nantes, 12 avril 2019, no 17NT01504.

Violence envers les patients

Tout acte de violence commis par un professionnel constitue une faute grave, justifiant un licenciement à effet immédiat, privatif de l'indemnité de licenciement, et ce quels que soient les excellents états antérieurs de l'agent.

• Faits et procédure. Une éducatrice spécialisée était salariée depuis 1982 dans un établissement associatif prenant en charge une dizaine d'adultes présentant un handicap lourd. Dans ses dernières fonctions, occupées depuis plusieurs années, elle était cadre et adjointe de direction. Cette salariée a été mise à pied, puis licenciée pour faute grave le 28 juin 2012.

Elle a contesté son licenciement, et par arrêt du 24 octobre 2017, la cour d'appel de Rouen a dit le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse. Mais par arrêt du 3 avril 2019, la Cour de cassation a cassé cet arrêt, validant le licenciement pour faute grave.

• Arrêt de la cour d'appel

Point de vue de l'employeur

L'employeur faisait grief à la salariée d'avoir fait subir à une personne hébergée, de façon répétée, des coups de pied, claques, cheveux tirés, insultes et cris. Il exposait que la tutrice de cette personne avait déposé plainte pour maltraitance le 11 juin 2012, que des faits de maltraitance avaient également été dénoncés par d'autres résidents et confirmés par un certain nombre de salariés et que, a minima, la salariée reconnaissait avoir donné un coup de pied aux fesses de la résidente.

Point de vue de la salariée

La salariée niait avoir commis la moindre violence à l'égard de cette résidente. Elle contestait le témoignage, recueilli hors la présence du tuteur, attribué à la résidente, laquelle n'avait d'autre langage que trois mots, le regard et les gestes et n'avait donc pas pu formaliser de plainte à son encontre, de même que les autres témoignages figurant au dossier. Elle faisait remarquer que la plainte déposée à ce propos avait été classée sans suite par le parquet.

Analyse des faits par la cour d'appel

Au soutien de ses allégations, l'employeur versait aux débats des attestations d'une éducatrice qui relatait l'entretien qu'elle avait eu à l'aide de pictogrammes avec la résidente, qui n'avait effectivement pas l'usage de la parole, d'où il ressortait que la résidente s'était plainte de violences répétées à son encontre (quatre coups de pied, cheveux tirés et une gifle).

L'employeur avait déposé plainte, et lorsqu'elle avait été entendue par les services de police l'éducatrice avait déclaré qu'elle émettait des doutes sur la sincérité des dénonciations de la résidente. De la même manière, un autre éducateur et une aide médicopsychologique avaient indiqué aux services de police avoir été témoins d'un seul coup de pied aux fesses administré par la salariée à la résidente, précisant toutefois que, si ce geste leur était apparu « dérangeant » et avait d'ailleurs été discuté en réunion d'équipe, il n'était empreint d'aucune violence et s'expliquait d'une part par le comportement difficile de la résidente et d'autre part par la fatigue excessive de la directrice.

La sœur et tutrice de la résidente – qui au moment du départ de la salariée avaient manifesté par un cadeau et un mot de remerciement la gratitude qu'elle éprouvait à l'égard de cette dernière – avait ensuite écrit qu'elle avait constaté un changement dans le comportement de sa sœur marqué par du mutisme et de la distance mais qu'il lui était « difficile de l'associer à la réalité d'une maltraitance ». Lors de son audition devant les services de police, elle avait déclaré qu'elle était informée du coup de pied reçu par sa sœur en 2011, qu'à l'époque elle n'avait pas jugé nécessaire de déposer plainte, faisant part enfin de ce que cette situation lui paraissait « incroyable ».

En synthèse, selon la cour d'appel, l'ensemble des personnes entendues n'avait constaté ou simplement entendu parler d'aucune violence envers les résidents de la part de l'éducatrice, même si cette dernière avait pu, notamment envers cette résidente, hausser le ton, voire tenir des propos insultants, ce que les témoins mettaient sur le compte de son caractère entier, de son surmenage et du comportement insupportable de la résidente envers le personnel et les autres personnes accueillies dans ce foyer.

Approche générale

La salariée produisait de très nombreuses attestations émanant de tuteurs institutionnels, de salariés ou d'ex-salariés (éducateurs, agents de service, stagiaires, aides médicopsychologiques), professionnels de santé (pharmacien, médecins), partenaires de l'institution, famille de résidents et anciens présidents, en lien avec elle parfois depuis vingt ans, qui donnaient l'image d'une professionnelle extrêmement investie et passionnée par son travail, toujours soucieuse du bien-être des personnes handicapées et incapable de la moindre violence ou maltraitance physique ou verbale à leur égard.

La cour d'appel avait souligné que la salariée avait fait preuve aux dépens de sa vie personnelle d'un dévouement exceptionnel au service des résidents et de leur famille et que, si ses méthodes de travail ont été jugées dépassées, il n'était pas démontré l'existence des maltraitances ou dysfonctionnements institutionnels.

Dans de telles circonstances, au regard des états de service de la salariée et de la solitude dans laquelle elle a été laissée jusqu'au mois d'avril 2012, le seul fait qu'elle ait donné un léger coup de pied à une résidente difficile et tenu parfois des propos crus et humiliants ne suffisait pas à caractériser une faute grave, ni même à justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

• Arrêt de la Cour de cassation. Le fait d'avoir administré un coup de pied aux fesses d'une personne âgée particulièrement vulnérable qui n'avait pas l'usage de la parole, et d'avoir usé d'un langage parfois cru et humiliant envers les résidents suffisait à constater l'existence d'une faute grave, justifiant le licenciement à effet immédiat.

Cour de cassation, Chambre sociale, 3 avril 2019, no 17-28829.

Études promotionnelles de cadre de santé

Une charte sur les études promotionnelles conclue entre un centre hospitalier et les formations syndicales représentatives est la référence pour décider ou non de la prise en charge du financement des études à l'institut de formation des cadres de santé (IFCS).

• Faits. Une infirmière, recrutée par le CHU de Grenoble le 20 juillet 2009, a, en mai 2011, réussi le concours d'entrée à l'IFCS. Elle a demandé au centre hospitalier de prendre en charge le financement, dans le cadre des « études promotionnelles » inscrites au plan de formation de l'établissement, de ses frais de scolarité. Cette demande a été rejetée par décision du 8 juin 2011.

• Analyse. Il résulte de la charte sur les études promotionnelles signée le 10 août 2010 entre le centre hospitalier et les formations syndicales représentatives que les bourses d'études promotionnelles étaient attribuées en suivant l'ordre de classement au concours et que les candidats qui, comme l'agent, avaient obtenu un report de scolarité sur l'année suivante, ne bénéficiaient d'une priorité qu'en cas de maternité, de maladie grave ou par nécessité de service.

Or, son rang de classement en 2011 et en 2012 ne lui permettait pas de bénéficier d'une bourse d'études et il n'était établi aucune nécessité de service qui aurait justifié que l'intéressée soit considérée comme prioritaire en 2012.

Cour administrative d'appel de Lyon, 21 mai 2019, no 17LY02070.

(1) Pour chaque affaire est indiqué le numéro de rôle (ex. : no 428080 pour la première affaire), ce qui permet de retrouver le texte complet de la décision sur Légifrance.

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