La télémédecine, facteur de réduction des inégalités d'accès à la santé et d'amélioration des conditions de travail ? - Objectif Soins & Management n° 270 du 01/09/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 270 du 01/09/2019

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

Depuis le 15 septembre 2018, date de la signature de l'avenant conventionnel qui en fixe les tarifs de remboursement, la télémédecine est entrée dans le droit commun des pratiques médicales, c'est-à-dire que les téléconsultations sont désormais remboursées par l'Assurance maladie comme des consultations ordinaires qui sont aujourd'hui effectuées au cabinet médical ou à l'hôpital.

Par ailleurs la télémédecine s'inscrit pleinement dans les orientations de « Ma santé 2022 » présentée par le Président de la République dans le cadre du développement du numérique en santé, devant permettre le déploiement des prescriptions dématérialisées et le renforcement de la télémédecine pour les médecins et, demain, du télésoin pour les professionnels paramédicaux.

Tout patient inscrit dans un parcours de soins coordonné (c'est-à-dire en lien avec son médecin traitant), que ce soit en ville ou à l'hôpital, peut donc désormais bénéficier de téléconsultations, remboursées selon les tarifs conventionnels négociés avec les organisations syndicales des médecins.

Cet accès élargi à la téléconsultation s'accompagne également de mesures de simplification pour les professionnels afin qu'ils puissent s'approprier au mieux le dispositif.

Dès lors nous sommes à l'aube d'une nouvelle ère dans l'exercice de la médecine, car la télémédecine modifie profondément la relation entre le malade et son médecin, mais également l'appréciation par rapport à l'accès aux soins, ainsi que les conditions de travail des docteurs et des personnels soignants.

La télémédecine c'est quoi au juste ?

Finalement la télémédecine ne date pas d'hier. Dès 1920 aux Etats-Unis est pratiquée la télémédecine par radio sur les bateaux. Mais ce n'est finalement que le 8 novembre 1994 qu'a lieu la première démonstration de télémédecine (2) : un examen de scanner piloté depuis l'Hôtel-Dieu de Montréal sur un patient situé dans l'appareil de l'hôpital Cochin, à Paris. En 2001, une opération de téléchirurgie est réalisée entre New York – où était le chirurgien – et Strasbourg – où était la patiente. En France, le premier acte de télémédecine autorisé et pris en charge par l'Assurance maladie concerne le dépistage de la rétinopathie diabétique par les orthoptistes.

Dans les textes français la télémédecine est définie pour la première fois dans l'article 78 de la loi HPST en 2009 ; le décret d'application du 19 octobre 2010 définit les 5 actes de télémédecine : téléconsultation, téléexpertise, télésurveillance, téléassistance et régulation (cf Encadré no 1).

L'article 36 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 prévoit des expérimentations sur le déploiement de la télémédecine en ville et dans les structures médico-sociales pour une durée de quatre ans dans des régions pilotes, étendues en 2017 à l'ensemble du territoire et aux établissements de santé ; plusieurs cahiers des charges encadrent ces expérimentations.

On peut définir la télémédecine comme une pratique médicale à distance utilisant les technologies de l'information et de la communication à disposition aujourd'hui, tout en garantissant les mêmes exigences de qualité et de sécurité. De ce fait elle permet une meilleure prise en charge au plus près du domicile des patients et contribue aux prises en charge coordonnées par les professionnels de santé et les professionnels du secteur médico-social. Elle constitue aussi un facteur d'amélioration de l'efficience et de l'organisation des soins.

« Elle permet d'établir un diagnostic, d'assurer, pour un patient à risque, un suivi à visée préventive ou un suivi post-thérapeutique, de requérir un avis spécialisé, de préparer une décision thérapeutique, de prescrire des produits de santé, de prescrire ou de réaliser des prestations ou des actes, ou d'effectuer une surveillance de l'état de santé des patients. »

Elle ne remplace pas les actes médicaux en présentiel mais leur est complémentaire. En ce sens elle constitue une réponse aux défis auxquels est confrontée l'offre de soins aujourd'hui, à savoir l'accès aux soins dans une période de forte contrainte sur la démographie médicale. La télémédecine doit reposer sur un projet médical répondant à des priorités et aux besoins de la population d'un territoire et des professionnels de santé. C'est en ce sens qu'elle s'intègre au sein d'un parcours de soins.

L'accord conventionnel du 15 septembre 2018 sur la télémédecine (source AMELIE)

D'une portée très large, le texte concerne tous les médecins, tous les patients et s'applique à toute situation médicale compatible avec cette pratique, dans le respect pour autant de certaines garanties et conditions. Pour ce faire deux catégories d'actes sont créées : la téléconsultation et la télé-expertise.

La téléconsultation abolit les distances et permet de simplifier l'accès à un médecin pour des patients rencontrant des problèmes de mobilité. Elle évite des déplacements et des passages aux urgences inutiles. Il est possible à tout assuré, quel que soit son lieu de résidence, et à tout médecin, quelle que soit sa spécialité, de recourir à ce type de consultation. Dans la mesure où c'est le médecin qui engage sa responsabilité, c'est à lui de déterminer si la consultation peut être réalisée à distance. La téléconsultation s'inscrit dans un parcours de soins et doit donc passer par le médecin traitant du patient sauf pour les spécialistes que l'on peut déjà consulter en accès direct et pour les patients de moins de 16 ans. Le patient doit en effet être connu du médecin traitant qui détient son dossier médical, connaît son parcours de soins et ses antécédents médicaux. Pour répondre aux difficultés d'accès aux soins, notamment dans certains territoires quand le patient ne parvient pas à désigner un médecin traitant ou lorsque ce dernier n'est pas disponible dans le délai compatible avec l'état de santé du patient, le principe est de s'appuyer sur des maisons de santé, des centres de santé, des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui pourront ainsi prendre en charge le patient et lui permettre d'accéder à une téléconsultation.

Dans tous les cas, pour le patient, la téléconsultation se déroule comme n'importe quelle consultation, en partant d'une demande de rendez-vous. Sur le plan technologique, elle repose sur deux exigences : d'une part, le recours à un échange vidéo – exigé par la loi, pour garantir la qualité des échanges entre le médecin et le patient via une très bonne résolution d'image – et, d'autre part, la connexion à une solution sécurisée, une exigence essentielle dans la mesure où la téléconsultation fait transiter des informations à caractère médical dont la confidentialité doit être protégée. Concrètement, c'est le médecin qui va envoyer un lien au patient, l'invitant à se connecter vers un site ou une application sécurisés, via son ordinateur ou une tablette équipée d'une webcam. Les patients qui n'ont pas d'accès à internet, ou qui ne sont pas à l'aise avec ces technologies, peuvent être assistés par un autre professionnel de santé équipé, comme un pharmacien ou une infirmière venant à domicile, deux professions en contact très régulier avec les patients. Sur conseil de son médecin, le patient peut également se rendre dans une cabine de téléconsultation installée à proximité. Ce type de cabine offre l'avantage de disposer d'appareils de mesure (poids, détermination de l'indice de masse corporelle et d'examens facilitant le diagnostic : tensiomètre, stéthoscope, fond d'œil, otoscope pour lecture des tympans). Que le patient soit chez lui ou dans une cabine équipée, il doit donner son accord pour une prise en charge par téléconsultation.

La téléconsultation est facturée par le médecin au tarif de 25 € comme une consultation en face-à-face (30 € pour certains types de consultations). La téléconsultation est ensuite prise en charge comme une consultation classique.

Depuis février 2019, la télé-expertise permet à un médecin de consulter un confrère afin d'échanger sur le cas d'un patient. Elle peut impliquer un médecin généraliste et un autre spécialiste mais aussi deux médecins spécialistes qui ont besoin d'échanger sur un diagnostic, une lecture d'analyses ou la pertinence d'examens complémentaires afin de décider du traitement le plus adapté. Cette pratique déjà existante est désormais tracée et rémunérée. Elle vise à valoriser le temps médical qui permet d'assurer une prise en charge plus rapide et plus pertinente des patients, en leur évitant notamment de subir des délais d'attente pouvant aggraver leur état, voire les conduire à une hospitalisation ou une réhospitalisation. C'est un échange en direct ou en différé entre deux médecins, via une messagerie sécurisée.

Dans un premier temps, réservée à certains patients (affection longue durée, maladies rares, zones sous denses, EHPAD, détenus), elle sera élargie à tous les patients en 2020.

L'accord prévoit deux niveaux de tarifs selon la complexité du dossier du patient – donc le niveau de l'expertise réalisée – et selon sa fréquence. Le 1er niveau de télé-expertise est rémunéré 12 € pour le médecin sollicité (dans la limite de 4 actes par an, par médecin, pour un même patient). Le second niveau de télé-expertise est rémunéré 20 € pour le médecin sollicité (dans la limite de 2 actes par an, par médecin, pour un même patient). Le médecin qui sollicite un confrère est également rémunéré par l'Assurance maladie car il favorise la coordination des soins autour du patient : 5 € par télé-expertise de niveau 1, et 10 € par télé-expertise de niveau 2 (dans la limite de 500 € par an).

Que ce soit en téléconsultation ou en télé-expertise, un compte-rendu est transmis au médecin demandeur qui l'ajoute au dossier du patient, voire dans son Dossier Médical Partagé s'il en possède un. Ces comptes rendus permettent d'assurer la bonne coordination entre les médecins.

La télémédecine facteur de réduction des inégalités d'accès aux soins

Au travers des développements précédents on voit bien que la télémédecine influe fortement sur l'accès aux soins, dans le sens où elle remet en cause nos perceptions face à l'accessibilité aux soins dans ses quatre dimensions : physiques, financières, organisationnelles et informationnelles (Encadré no 2).

D'emblée la télémédecine réduit à néant ce qu'on appelle la distance physique d'accès aux soins, que ce soit en kilomètres : ni le patient ni le médecin ne se déplacent, ou à tout le moins les distances sont beaucoup moindres puisque l'objectif est d'avoir sa téléconsultation au plus près de son domicile. On peut aussi supposer, que si l'organisation de la télémédecine est performante, la distance en temps sera également réduite, dans la mesure où les médecins n'ayant pas à se déplacer gagnent aussi du temps de travail.

D'un point de vue financier, la réduction des coûts de transports, mais également celle du temps consacré aux soins, permises par la télémédecine est facteur d'amélioration d'accessibilité : il coûte moins cher pour le patient directement et indirectement de se faire soigner en télémédecine qu'en se rendant chez le praticien, qu'il soit en ville ou à Sur l'hôpital.

le plan organisationnel on peut supposer que la réduction des temps de déplacement pour les médecins est un facteur de réduction des temps d'attente ; la télémédecine peut aussi permettre de désengorger les services d'urgences, en évitant que la population ne s'y rendre.

Enfin le seul point de vigilance doit concerner l'information de tous les publics (la télémédecine doit être offerte à tous, y compris par exemple les personnes en situation de précarité et surtout même en perte d'autonomie), et en ce sens il conviendra d'expliquer ce qu'est la télémédecine pour lever les résistances culturelles pouvant exister, mais également le défaut d'information de certaines populations. De ce point de vue la télémédecine ne règle pas tout elle-même, mais si elle est connue et offerte, elle doit permettre à des populations qui aujourd'hui renoncent aux soins d'être soignées.

La télémédecine facteur d'amélioration des conditions de travail, et donc in fine facteur de réduction des dépenses d'assurance maladie

Fait paradoxal, alors même que la télémédecine est désormais reconnue et financée, on sent une certaine résistance de la part des médecins à s'y engager. De ce fait d'ailleurs de nombreuses sociétés, françaises ou étrangères, s'implantent pour offrir à la population ce nouveau service.

Et pourtant la télémédecine est gage d'amélioration des conditions de travail des professionnels eux-mêmes : moins de temps de déplacement, travail en exercice groupé facilité, partage des données et des cas complexes, meilleure organisation du travail et partage de celui-ci, etc. La télémédecine peut aussi permettre d'assurer la couverture médicale d'un territoire isolé sans avoir cependant besoin d'y travailler et d'y vivre 24 h/24 h ; en ce sens elle correspond pleinement aux aspirations des jeunes praticiens.

On est certainement face à un changement générationnel important, et la médecine de demain ne s'exercera plus comme la médecine d'aujourd'hui ; il semble certain que la télémédecine aujourd'hui balbutiante sera demain la pratique la plus répandue et la plus courante. D'autant qu'elle sera synonyme d'une moindre dépense d'assurance maladie, car une meilleure prévention, un meilleur suivi, un moindre renoncement aux soins, et finalement donc in fine des soins moins coûteux.

Autrement dit la télémédecine : le cercle vertueux de la médecine. Dès lors engageons-nous dans ce changement.

Encadré 1 : Les 5 actes de télémédecine (source Ministère de la santé)

La téléconsultation permet à un médecin de donner une consultation à distance par l'intermédiaire des technologies de l'information et de la communication. C'est un acte médical et une action synchrone (patient et médecin se parlent). Elle permet au docteur de réaliser une évaluation globale du patient, en vue de définir la conduite à tenir à la suite de cette téléconsultation.

La téléexpertise permet à un docteur de solliciter à distance l'avis d'un ou de plusieurs confrères par l'intermédiaire des technologies de l'information et de la communication. C'est d'abord un acte médical et une action asynchrone (patient et médecin ne se parlent pas). Cela concerne deux médecins pendant ou à distance de la consultation initiale.

La télésurveillance permet à un docteur d'interpréter à distance des données recueillies sur le lieu de vie du patient.

La téléassistance médicale a pour objet de permettre à un docteur d'assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d'un acte.

La régulation médicale est la réponse médicale apportée dans le cadre de l'activité des SAMU - centres 15.

Encadré 2 : Les quatre dimensions de l'accessibilité aux soins

Dans le langage courant, on dit qu'un objet ou un lieu sont accessibles quand il est facile ou possible d'arriver à ceux-ci. On peut définir l'accessibilité aux soins comme le degré d'ajustement entre les caractéristiques des ressources de soins et celles de la population dans le processus de recherche et d'obtention des soins. Elle est représentée comme une fonction entre les obstacles (indicateurs de résistance) et les capacités de la population à surmonter de tels obstacles (utilisation potentielle). Ces obstacles qui caractérisent l'accessibilité aux soins sont au nombre de quatre : physiques, financiers, organisationnels et informationnels.

L'obstacle physique concerne la facilité d'accès physique et géographique à l'offre de soins, généralement appréhendé en termes de distance à parcourir pour se rendre à l'équipement sanitaire. Cette distance est elle-même mesurée soit en kilomètres ou en temps (la distance physique qui dépend du relief, des axes et des moyens de communication), soit en monnaie (la distance économique qui correspond à la perte de revenus et/ou de production), soit en social (la distance sociale dont les facteurs sont le niveau d'éducation, la mobilité des personnes par exemple). Plus la distance à parcourir est élevée, moins l'accessibilité est garantie, en n'oubliant pas toutefois de distinguer la disponibilité de l'offre de l'accès effectif et efficace.

L'obstacle financier se traduit par la barrière financière dans l'accès aux soins dont la consommation représente un coût direct et indirect pour le malade. Dans un système de soins à financement socialisé comme l'est le système français où le coût de la santé est relativement réduit, restent cependant à la charge du malade le ticket modérateur qui peut s'avérer un frein dans l'accès aux soins pour les personnes aux revenus modestes, tout comme l'avance de frais. Par ailleurs, une hospitalisation entraîne de nombreux coûts indirects comme la perte de revenus du travail, la garde des enfants, les aides à domicile.

L'obstacle organisationnel caractérise une offre de soins encombrée (les services d'urgences ou de gériatrie par exemple) dont la cause identifiée correspond à un manque d'articulation entre les professionnels de santé. Il se traduit par la constitution de files d'attente de malades, le transfert des personnes, l'allongement des délais de prise de rendez-vous, qui peuvent se traduire in fine par un renoncement aux soins. Il se traduit également par une inadaptation de la prise en charge par rapport à l'état de santé du malade.

L'obstacle informationnel réside dans le manque de lisibilité du système de soins et le manque d'information de l'usager. Ce niveau d'information dépend de la relative opacité du fonctionnement de l'offre de soins, mais aussi de l'éducation à la santé que le malade a reçue. Selon le niveau d'éducation, le niveau culturel, l'appartenance à un groupe, l'usager n'adoptera pas la même attitude quant au recours et au mode de recours aux soins. Certaines personnes refuseront de se faire soigner en invoquant des croyances ou des arguments religieux par exemple.

Au-delà de ces quatre dimensions, il convient de distinguer l'accessibilité absolue de l'accessibilité relative, dans le sens où le recours aux soins dépend de la décision initiale du malade de recourir aux soins, puis de la décision du médecin généraliste de prescrire une hospitalisation, et enfin la décision du malade de suivre la recommandation de son médecin prescripteur.