Qualité & Gestion des risques
Dossier
En EHPAD, la volonté de l'équipe de direction de placer le maintien de l'autonomie du résident au centre des préoccupations de tous les professionnels, soignants et non soignants, amène des évolutions de l'ensemble des métiers, en particulier ceux de la filière soignante. Ces évolutions ont une incidence sur le recrutement des personnels. En effet, elles questionnent sur l'adéquation des formations actuelles pour les prises en charge dans les années à venir, compte tenu de l'évolution des besoins des personnes âgées.
Dans notre établissement, il existe une volonté de faire évoluer les regards à la fois des professionnels exerçant au sein de l'institution, mais aussi des personnes qui gravitent autour de l'EHPAD, voire de l'ensemble de la population extérieure. Notre souhait est que le pôle gériatrique ne soit pas uniquement un lieu de soin mais réellement un lieu de vie. Il s'agit pour l'équipe de direction de mettre en évidence que l'EHPAD est un endroit où il se passe des choses, où l'on réalise des activités intéressantes et pas seulement un lieu où l'on attend...
Dès lors, quand la personne âgée entre dans l'établissement, la préoccupation première est de savoir comment elle vivait jusqu'à présent, quelle était son autonomie. Par exemple, si jusqu'alors elle se préparait à manger, notre souci est de préserver ce qu'elle sait encore faire. Ainsi, même si elle recevait ses repas d'un prestataire de service, il lui fallait ranger ce qu'elle avait reçu, organiser son temps de repas, réchauffer les aliments, etc. ; elle assurait une partie des actes nécessaires à son alimentation. Dans ce contexte, notre réflexion porte entre autres, sur l'intérêt de servir systématiquement les résidents, qui plus est de les servir à l'assiette. La veille le résident se servait chez lui, dorénavant, il est servi. Est-ce favorable au maintien de son autonomie ?
La réflexion et les actions mises en place assurent ainsi une vision de la personne âgée dans sa globalité. Concernant l'exemple du service des repas, la structure assure une partie hôtelière comme le fait de garnir les tables de nappes, d'assurer la préparation des repas. Mais dans le souci du maintien des capacités et de l'autonomie des résidents, les aliments sont servis dans des plats dans lesquels chacun se sert, éventuellement sert les autres résidents, plutôt que proposer un service à l'assiette assuré par un professionnel.
Concernant l'entourage du résident, le projet de l'établissement est expliqué par l'encadrement. Chaque résident livre dans un document son histoire de vie, qui sert de lien entre la famille et l'équipe soignante. Le projet de l'institution est débattu au sein du Conseil de Vie Sociale.
Cette approche n'est pas toujours évidente à transmettre aux professionnels qui ont tendance à faire les choses à la place des personnes accueillies, malgré une volonté affichée de la direction qui met en œuvre des outils très dynamiques pour y parvenir.
Dans ce contexte, il est légitime de s'interroger sur la place des professionnels de santé amenés à prendre soin des personnes accueillies. Celles-ci arrivent de plus en plus tard dans les institutions, elles sont fatiguées certes, mais disposent encore d'une certaine autonomie et de réelles capacités, pour bon nombre d'entre elles. De ce fait, la vision que nous devons avoir de leur prise en charge est beaucoup plus globale et ne se limite pas à l'aspect sanitaire. Cette conception a un retentissement sur le recrutement des professionnels, particulièrement ceux de la filière de soins. Ainsi, les aides-soignants ont du fait de leur formation, une vision souvent trop centrée sur l'aspect sanitaire de leur fonction. Pour satisfaire l'ensemble des besoins des résidents et les maintenir dans un processus dynamique, il est nécessaire de recruter des professionnels issus d'autres filières telles que les aides médico-psychologiques par exemple. Pour les personnes qui présentent des troubles cognitifs, les Assistants de Soins en Gérontologie (ASG) apportent une expertise précieuse. De plus, recruter des professionnels de fonctions différentes permet de mixer les compétences et de ne pas se limiter à une réponse aux besoins en soins primaires. Pour y parvenir, nous pouvons également en interne favoriser la qualification des personnels, qu'ils soient déjà titulaires ou non d'un diplôme.
Le projet d'établissement a été repensé en 2018 autour de cette question du maintien de l'autonomie du résident. Concernant les 3 cadres de santé de l'établissement, Il est indispensable qu'ils soient partie prenante de ce fonctionnement institutionnel et soutiennent les orientations de l'établissement. Il est nécessaire qu'ils aient une appétence pour travailler auprès d'une population âgée, présentant potentiellement des troubles cognitifs et/ou des handicaps. Il faut aussi qu'ils soient en capacité de se décentrer d'une prise en charge strictement sanitaire pour favoriser le développement d'activités, d'animations, de liens avec la cité. Ils ont un rôle fondamental concernant la mise en place des projets de vie, d'activités favorisant le plaisir et l'intérêt des résidents. L'encadrement travaille avec les professionnels pour faire évoluer leurs représentations concernant les personnes accueillies et leur permettre de prendre conscience qu'ils peuvent encore avoir des activités. Les cadres ont également un rôle important pour favoriser le lien entre les différentes professions. Le cadre participe à la dynamique entre professionnels, impulse une vision différente : ainsi certains corps de métiers reconnaissent difficilement les compétences des autres professions. C'est souvent le cas entre aides-soignants et assistants médico-psychologiques. Le management de proximité doit valoriser les professionnels qui travaillent tous pour le bien-être du résident. Cela concerne les agents d'entretien, la maitresse de maison, les aides-soignantes, les aides médico-psychologiques, les infirmières, etc. L'équipe de direction et l'encadrement doivent aussi accompagner les professionnels dans la valorisation de leur travail et leur permettre de se distancier des informations diffusées en dehors des EHPAD, en particulier par les médias. Ceux-ci relaient des informations partielles, souvent sorties de leur contexte. Les professionnels de l'EHPAD Mer et Pins ne se reconnaissent pas dans ces informations très parcellaires. Ainsi si les médias s'offusquent que les résidents ne bénéficient pas tous d'une douche tous les jours, les personnels peuvent se sentir coupables. Or cela ne correspond pas forcément à de la maltraitance ou de la négligence. Une grande partie des personnes âgées accueillies actuellement en établissement ne prenaient pas de douche quotidienne lorsqu'elles vivaient à domicile, certaines ne bénéficiaient pas d'équipements sanitaires correspondant aux normes actuelles. Les professionnels ne se reconnaissent donc pas dans ce qui est communiqué au grand public. Il est important que les cadres, proches des professionnels, valorisent leur travail et leur permettent de développer leur autonomie de réflexion pour identifier la qualité de leur travail. Pour remplir leur mission, les cadres doivent être sur le terrain, ne pas s'enfermer dans leur bureau et quand elles y sont, la porte doit être ouverte, sauf nécessité. L'encadrement doit être à l'écoute et donc faire preuve d'une certaine disponibilité. Il est nécessaire que les cadres travaillant dans notre institution aient envie de ce mode de fonctionnement.
Pour mettre en œuvre ces objectifs, la dynamique doit partir de l'équipe dirigeante qui est très impliquée dans le déploiement du projet d'établissement, tant au sein de la structure qu'à l'extérieur. Des rencontres régulières de l'ensemble des personnels sont organisées, toute demande individuelle est accueillie. Ce management fait partie des valeurs partagées par les responsables de l'institution et transmises aux cadres de proximité.
Lors du recrutement, toujours réalisé conjointement par 2 personnes, nous recherchons, quelle que soit la fonction, des professionnels capables de flexibilité, de souplesse, d'adaptation quotidienne, car il n'y a pas deux jours identiques au sein des lieux de vie. Nous veillons particulièrement à éviter la rigidité dans le fonctionnement. Il apparait également important de recruter des professionnels qui ont envie d'évoluer, de poursuivre leur formation, même quand ils sont déjà titulaires d'un diplôme. Nous recherchons des personnes capables de travailler au sein d'une équipe, qui ont envie d'aller dans le même sens, qui acceptent de partager leurs compétences, de s'investir au sein de la structure, d'assurer un travail de proximité avec les autres professionnels. Par exemple, le travail de l'ergothérapeute est généralement rapidement compris des autres professionnels car ils en voient le résultat concret ; celui du psychomotricien est plus abstrait et il peut être nécessaire de l'expliquer aux autres soignants pour leur permettre d'en comprendre l'intérêt et les bénéfices pour chaque résident.
Si le recrutement demeure une source de difficulté, dans le secteur géographique de notre établissement, il existe en général la possibilité de choisir les personnels en fonction des critères que nous avons établis. Par ailleurs, nous avons impulsé une dynamique de recrutement de nouveaux profils de compétences. Par exemple, un éducateur sportif intervient tous les matins. Il participe au maintien de l'autonomie des résidents. Nous avons souhaité recruter un homme, qui se présente en tenue de sport. Il est bien identifié par les résidents comme par les professionnels. Quand les résidents le voient arriver, leurs réactions sont très positives. Ce choix fonctionne très bien, les résidents viennent spontanément. Les autres professionnels observent ce qui se passe, puis progressivement proposent leur participation aux activités. Par exemple, ils font du vélo avec les résidents. Le premier bilan met en évidence que ce choix a du sens.
Une nouvelle dynamique a été impulsée par la direction. Il y a des coureurs et des marcheurs parmi les professionnels. Des professionnels, dont la directrice, avaient envie de participer aux activités sportives au bénéfice de l'image de l'établissement. Ils représentent l'établissement lors de manifestations sportives organisées en dehors de l'établissement. Tout le monde a sa place lors de ces activités extra-professionnelles qui sont en lien avec ce qui se vit au sein de l'institution. Ce partage fédère les équipes au travail, apporte de la reconnaissance, met en évidence que l'on peut partager autre chose que les tâches quotidiennes, favorise les échanges avec la population accueillie. Tout cela participe à la dynamique de l'établissement.Un autre projet est en cours : l'établissement s'est porté candidat pour que des professionnels bénéficient d'éveil musculaire avant leur prise de poste. Pour cela, 2 agents de l'établissement vont se former pour ensuite assurer cet éveil musculaire auprès de leurs collègues.
L'équipe de direction est très investie pour faire reconnaitre ce qui est fait au sein de la structure. Elle répond favorablement à l'ensemble des sollicitations qui lui sont faites sur l'ensemble du territoire : présentations lors de congrès, participation à des groupes de travail au niveau de l'ARS, du département, du Groupement Hospitalier de Territoire, de l'AGREE (association gérontologique de recherche et d'enseignement en EHPAD), des demandes d'interventions dans les écoles de formation professionnelle, comme dans les lycées auprès des élèves en baccalauréat professionnel (type ASSP ou SAPAT). La directrice de la structure est très impliquée au niveau départemental.
Pour la direction, il est important de tisser des liens sur l'ensemble du territoire, de réaliser des partenariats, de favoriser l'implication des jeunes afin de leur permettre de contribuer au changement de regard sur la population des personnes âgées. L'objectif est de mettre l'EHPAD au centre d'un pôle gérontologique, d'être en lien avec les établissements similaires en Loire Atlantique, d'être impliqué au sein du Groupement Hospitalier de Territoire. Cela permet de mutualiser les moyens, de répondre aux appels à projets. Le travail de l'équipe ne se limite pas à l'accueil du résident. Si l'équipe dirigeante a un positionnement d'ouverture et d'échanges, elle parvient à emmener les personnels dans une dynamique positive. Pour valoriser le travail des professionnels, elle développe le projet et ensuite elle communique sur les réalisations. En conséquence de quoi, l'établissement connait peu de turn-over car il existe une reconnaissance et un respect du travail des soignants, y compris pour les personnels contractuels. D'ailleurs, ceux-ci peuvent, comme les titulaires, bénéficier de formation continue, voire de qualification quand l'opportunité se présente. Nous avons toujours prôné la formation des professionnels, avec la préoccupation d'amener les personnes à se qualifier, à repenser leur exercice professionnel. Ainsi, nous favorisons la formation à la méthode Montessori [1] adaptée aux personnes présentant des troubles cognitifs, ou la méthode de Validation de Naomi Fell [2].
La maison de santé proche de l'établissement met à disposition des professionnels tels que praticien en hypnose, sophrologue, pédicure, diététicienne et orthophoniste pour travailler avec les personnels de l'EHPAD. Des conventions et une organisation sont en cours de mise en place. En effet, la maison de santé bénéficie des financements pour le développement des thérapeutiques non médicamenteuses et propose leur mise à disposition pour les personnes accueillies à l'EHPAD. Nous allons par exemple développer un partenariat autour des troubles de la déglutition. Nous recherchons toutes les solutions qui peuvent exister et nous développons tous les projets qui peuvent bénéficier aux résidents. Tout cela favorise l'attractivité pour notre institution et contribue à la valorisation de ce secteur d'activités.
Avec les formations actuelles, il arrive de recruter des professionnels qui ont des réticences aux ouvertures souhaitées, qui peuvent être déstabilisés par les attentes institutionnelles. Cela peut constituer un frein de recrutement. Les difficultés actuelles résident dans un certain formatage concernant l'organisation des soins. Concernant certaines formations, comme celle d'aide-soignant par exemple, il semble nécessaire de les faire évoluer pour permettre à ces professionnels de faire face aux spécificités des prises en charge des personnes âgées pour lesquelles ils ou elles sont souvent insuffisamment formés. Bien entendu, il y a besoin de compétences en soin, mais cela est insuffisant pour assurer l'accueil de résidents en EHPAD. Il faudra donc faire évoluer les formations sanitaires au regard des évolutions du travail et des organisations des institutions en lien avec le vieillissement de la population, l'évolution des demandes et des attentes des personnes âgées dans les années à venir. Ces professionnels sont actuellement trop souvent limités pour développer des activités en dehors du champ sanitaire. Ils se sentent encore trop souvent coupables de n'avoir pas fait les soins d'hygiène systématiquement le matin par exemple. L'adaptabilité fait défaut, c'est souvent le résident qui doit s'adapter à l'organisation du soignant, alors que c'est le contraire qui doit être développé : les professionnels doivent être en capacité de s'adapter à chaque résident. Nous savons que ces travers viennent de l'histoire soignante, et qu'il est nécessaire de faire évoluer le regard porté sur les personnes soignées et les organisations mises en place. La formation d'aide-soignant n'est pas la seule concernée par cette nécessaire évolution. Il en est de même pour l'ensemble de la filière du soin : médecin, infirmier, cadre de santé.
Les professionnels spécifiquement formés au sein de la résidence pour s'occuper des résidents présentant des troubles cognitifs sont plus à même de respecter le rythme de chacun d'entre eux et sont capables de s'adapter. Cela a un effet sur les autres professionnels et les stagiaires accueillis. Ce respect du rythme, pas assez travaillé dans les formations initiales, a un effet apaisant pour les résidents comme pour le personnel. Il parait également essentiel que la formation initiale permette au professionnel de développer la confiance en soi, la capacité à prendre de la distance, à déterminer la qualité de la prise en soin qui est assurée au sein de l'EHPAD, à se positionner vis-à-vis des familles ou du regard extérieur. Concernant la formation des cadres, ceux qui travaillent dans l'établissement sont obligatoirement issus de la formation en IFCS puisque l'établissement est public. Il apparait intéressant de favoriser l'expérience du « faisant fonction de cadre » afin d'une part de découvrir la fonction d'encadrement, mais aussi de se confronter aux spécificités du projet d'établissement, d'expérimenter la posture attendue.
L'EHPAD évolue. C'est un lieu d'ouverture pour le résident, mais aussi pour le professionnel. Pour cela, les équipes de direction doivent être en veille et se saisir des opportunités qui peuvent servir les projets, avoir une politique dynamique, favoriser le mélange des compétences professionnelles et développer la qualification des personnels. Progressivement, les formations seront amenées à évoluer.
Pascale Thibault
L'EHPAD Mer et Pins de Saint Brévin les Pins (Loire Atlantique) accueille 310 résidents, répartis sur 5 résidences : 2 situées en centre-ville accueillent : 1 résidence de 50 résidents avec autonomie physique et psychique plutôt préservée et 1 résidence sécurisée pour 60 personnes présentant des troubles cognitifs avec troubles du comportement (PASA de 12 places).
Les 3 autres résidences comprennent : 1 résidence de 80 lits pour des personnes âgées poly-dépendantes, 2 résidences (1 de 80 lits et 1 de 40 lits pour une population handicapée âgée). Les personnes handicapées âgées viennent de lieux de vie issus du handicap (foyers de vie, FAM) dans lesquels ils ont passé une partie de leur existence. Ils connaissent bien la vie institutionnelle et nécessitent une autre approche spécifique. En effet, ils sont très demandeurs d'une ouverture de leur lieu d'existence sur la vie en société, les activités, les sorties. Ils arrivent en EHPAD en raison de leur âge, mais restent très demandeurs. Pour eux, le référent soignant est le chef : ils le sollicitent, ils savent très bien qui il est.
Au cours de sa carrière professionnelle, Armelle Péron a travaillé exclusivement en secteur de gériatrie. Ses débuts en qualité d'infirmière se sont déroulés au sein d'un établissement hospitalier départemental en région parisienne comprenant des services de médecine gériatrique, un EHPAD, une USLD. Sa motivation portait sur le fait de ne pas réaliser de soins de façon stéréotypée et d'avoir l'opportunité d'établir des relations spécifiques avec les patients âgés, d'avoir plaisir à échanger avec eux. Elle a eu l'occasion de travailler de jour comme de nuit au sein de l'ensemble des unités de cet établissement dont l'entité juridique est restée unique malgré la séparation des secteurs sanitaire et médico-social.
Elle a ensuite exercé en qualité de cadre de santé en service de rééducation. Tout au long de sa carrière, elle a travaillé avec des professionnels de santé de formation multiples : psychomotricien, ergothérapeute, etc.
Depuis 2 ans, elle a pris les fonctions de coordinatrice des soins au sein de l'EHPAD de Saint Brévin les Pins. Son parcours ainsi que les formations continues qu'elle a pu suivre lui permettent aujourd'hui de s'inscrire pleinement dans les choix de l'équipe de direction de cette institution.