Empowerment - Objectif Soins & Management n° 271 du 01/10/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 271 du 01/10/2019

 

Le sens des mots et des idées

So Straga  

Né au début du 20e siècle, le terme d'empowerment, autonomisation ou capacitation, désigne la prise en charge de l'individu, par lui-même, de sa vie dans toutes ses dimensions : économique, professionnelle, familiale et sociale. Le concept, dorénavant appliqué à la santé, interroge la place du patient au sein du système de santé, mais aussi celle des professionnels, tenus de devenir de véritables partenaires de leurs patients.

Naissance d'un mouvement

Conscientiser l'individu avec pour objectif sa transformation vers une prise en mains de sa propre destinée : voilà un projet ambitieux ! Ce phénomène, quasi planétaire, tout du moins du côté anglo-saxon de la planète, a véritablement pris racine dans les années 1970.

La volonté de faire participer les pauvres à l'économie et au développement, tel fut le point de départ. Être autonome, avoir la capacité d'agir, faire valoir ses droits représentent les domaines d'action de l'empowerment. Le phénomène, au départ destiné aux populations marginalisées (femmes, personnes de couleur, homosexuels, handicapés...), avait pour objectif de donner les instruments nécessaires aux opprimés afin qu'ils soient en mesure de faire des choix éclairés.

On constate que depuis la fin des années 1990, l'empowerment a gagné du terrain dans les disciplines les plus variées : sociologie, développement, théologie, économie, et bien sûr santé.

Déçus par les résultats mitigés des projets top-down (« du haut vers le bas » en français) menés dans le développement économique, les instances politiques ont perçu l'opportunité d'un système bottom-up (« du bas vers le haut » en français) tel que reflété par la propagation de l'empowerment. C'est en 2002 que la Banque mondiale consacre le terme dans son rapport sur le développement intitulé Combattre la pauvreté. En 2004, Deepa Narayan-Parker, spécialiste des questions de pauvreté et de développement au niveau mondial, écrit : « L'empowerment est l'accroissement des capacités des personnes pauvres, dans le but de leur permettre de mieux participer, négocier, influencer, maîtriser et responsabiliser les institutions qui ont une incidence sur leur vie. »

l'empowerment patient

L'empowerment patient réside dans la capacité de l'individu à garder au maximum le contrôle sur sa vie, malgré la maladie, diminuant d'autant la dépendance vis-à-vis de cette maladie et de tout ce qu'elle représente en termes de consommation de soins et d'accompagnement. Nous reconnaissons également que plus la pathologie est considérée comme grave ou rare, plus la dépendance du patient vis-à-vis du corps soignant se développe intensément.

L'empowerment ne serait-il alors rien d'autre qu'un jeu de yo-yo de la dépendance du patient au système de santé ? Imaginons un patient particulièrement motivé qui étudierait la médecine afin d'atteindre un niveau de connaissance similaire à son médecin ; ce savoir fait-il de lui un individu totalement autonome dans sa maladie ? Il est évident que non, car le savoir n'est pas la compétence et il n'autorise pas de pratiquer les actes. Imaginons dans ce cas que le patient soit lui-même médecin ; cela fait-il de lui un individu totalement autonome dans sa maladie ? Même dans ce cas de figure, la réponse est négative, car le chirurgien ne s'opère pas lui-même. À l'évidence, le prestataire de soins face au patient détient un pouvoir intransférable ; ce pouvoir nuit-il à la capacitation du patient ?

En tant que prestataire de soins, comprendre qu'on détient ce pouvoir et avoir la capacité d'établir une relation de confiance avec le patient, telle est la clé de l'empowerment. Le pouvoir comme facilitateur et non dans un rapport de force. Fournir en vrac toutes les informations sur une maladie au patient et attendre qu'il prenne les décisions en conséquence n'est pas l'attitude idéale. Consulter un médecin en lui apportant son problème de santé et attendre qu'il solutionne dans l'instant n'est pas non plus l'attitude idéale. L'empowerment se situe exactement entre ces deux pôles.

Relation ping-pong

L'empowerment est un processus long et sans fin qui se déroule en autant d'allers et retours entre le patient et l'ensemble des équipes de soins. Informer le patient, écouter ses attentes, l'aider à s'informer davantage, lui faire part des différents projets thérapeutiques, inclure son entourage, lui laisser un délai de réflexion. Lorsque le patient revient, lui donner l'occasion d'exprimer ses arguments, ses incompréhensions, ses doutes, sa colère, car l'empowerment en tant que contrôle de sa propre vie est aussi une acceptation de perte de contrôle d'une partie de celle-ci. Autonomiser le patient, le rendre le plus indépendant possible, n'est en fait que lui permettre de recouvrer la confiance qu'il avait perdue. L'individu qu'était le patient, avant sa maladie, avait une confiance en ses capacités ; en contractant cette maladie, ce même individu est devenu patient. Ce nouvel état doit alors s'accompagner d'une remise en confiance en ses capacités propres de contrôler sa nouvelle vie.

C'est là que réside tout l'enjeu de la mise en place du processus d'empowerment : soutenir le patient dans sa capacité à participer à la réussite de son traitement, plutôt qu'essayer de le convaincre de suivre son traitement. Le patient décrit son expérience de vie avec la maladie (besoin de repos, effets secondaires, angoisse, capacité financière...), tandis que le soignant apporte son expérience professionnelle sur la matière (adaptation des doses, proposition d'accompagnement par d'autres professionnels, lectures...). Ensemble, ils convergent vers la résolution d'un problème commun : ils deviennent partenaires.

Empowerment patient/Empowerment soignant

Le prestataire de soins est-il lui-même empowered ? Est-il prêt à se délester d'une partie de son pouvoir ? Mais à bien y réfléchir, le prestataire est lui aussi dépendant : de ses patients qui contribuent à sa rétribution financière, de son entourage direct (collègues, hiérarchie, régulateurs de santé, organisation...), de la confiance en lui-même qu'il a construite au fil de la vie...

Aujourd'hui, le patient se renseigne avant de consulter un médecin. Cette démarche est-elle vexante pour le soignant ? En réalité, le patient angoissé tente par tous les moyens d'obtenir des réponses rapides (et au XXIe siècle, Internet est une source). Une démarche enrichissante serait de demander au patient qui consulte ce qu'il sait déjà sur sa pathologie ; ce serait une façon ouverte d'entamer une discussion d'individu à individu. De plus, le soignant, même très expérimenté, ne connaît pas tout sur tout et peut également apprendre de ce que le patient peut transmettre.

Le prestataire de soins, en choisissant son métier, doit être conscient qu'il endosse une responsabilité majeure : être capable de ne pas dominer le patient, grâce au pouvoir qu'il exerce sur lui. Ce phénomène est très important, car le patient non assertif, qui n'est pas en mesure d'exprimer son point de vue de peur de déranger le soignant dont il pense dépendre, préférera se taire plutôt que d'exprimer ses craintes. L'accumulation d'informations peut engendrer une angoisse croissante chez le patient qui deviendra de ce fait plus dépendant encore des prestataires de soins.

Certains patients se maintiennent dans une relation unilatérale où le médecin dirige seul du diagnostic au traitement, car ils se sentent plus à l'aise dans ce contexte.

À part cette minorité, tous les autres espèrent une relation bilatérale, d'échanges, d'humanité, de compassion, d'acceptation, de confiance. Cette démarche plutôt collaborative nécessite des compétences de part et d'autres : être capable de franchise, donner un avis pertinent, laisser parler l'autre, se mettre dans une position d'écoute active... Autant d'aptitudes qui ne sont pas toujours innées. La responsabilité sanitaire d'encourager l'empowerment passe par la formation et l'accompagnement de ceux qui sont concernés, c'est-à-dire les patients et les prestataires de soins. Repenser l'organisation du système de santé en envisageant ce partenariat patient-soignant d'égal à égal contribuera certainement à l'amélioration de la prestation de soins en elle-même et à l'augmentation de la qualité.

De l'empowerment patient À l'expérience patient

Le processus est en marche et n'est pas prêt de s'arrêter... L'autonomisation permet au patient de prendre une place plus importante dans les organisations, qui lui est dédiée depuis le début : la place centrale.

Il n'est plus envisageable de décider sans lui ; le pouvoir lui revient. L'expérience patient engage l'empowerment au-delà de la capacitation ; l'engagement s'étend au sensoriel, à l'émotion. À la notion de qualité des soins, l'expérience patient ajoute la personnalisation des soins, rendue possible par la disponibilité, la franchise, l'accessibilité. Enfin, le patient redevient un humain complet et quitte son statut de problème de santé.

L'expérience patient nous invite à aller à la rencontre du patient à travers un spectre plus large que sa seule pathologie. Envisager le patient comme un citoyen, être attentif aux interactions qu'il vit durant son parcours de soins nous aide à tisser un lien de partenariat dynamique. Aborder les événements sous la perspective du patient nous permet de mieux appréhender ses besoins et ses attentes véritables. Les professionnels de santé ne sont pas encore orientés « expérience patient », mais ils en comprennent les enjeux et adhèrent rapidement au concept.

La qualité, la sécurité mais aussi le coût influencent les décisions en matière de santé. Plus le partenariat entre patient et professionnel est renforcé, plus les résultats cliniques et financiers sont améliorés. L'objectif à atteindre est de réduire au maximum l'écart entre ce que l'institution de soins souhaite délivrer à ses patients et ce que le patient attend réellement de recevoir. Établir une culture organisationnelle « expérience patient » en accompagnant un leadership responsable qui consacre du temps à son développement permet d'atteindre ces objectifs.