Les encadrés d'économie de la santé : morceaux choisis - Objectif Soins & Management n° 271 du 01/10/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 271 du 01/10/2019

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

En cette rentrée 2019 l'actualité ne manque pas en santé :

– Loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé

– Pacte de refondation des urgences

– Lutte contre la pénurie de médicaments

– Projet de loi sur la bioéthique

– Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020

Autant de sujets qui pourraient donner lieu à une approche économique des différentes problématiques soulevées, et donc à de futurs articles.

Mais, à cette date anniversaire (octobre 2006, date du premier article en économie de la santé dans la revue), nous avons décidé de revenir sur 13 ans de publication en choisissant quelques encadrés d'économie de la santé, qui constituent la base de notre analyse des politiques de santé. Alors bonne lecture sur ce retour vers le passé. En souhaitant vous retrouver dans le futur. Car l'économie c'est cela aussi : savoir analyser le passé pour comprendre le présent et anticiper l'avenir.

D'une planification institutionnelle à une planification populationnelle

Deux approches de la planification peuvent être distinguées, l'une institutionnelle, l'autre populationnelle. Davantage complémentaires que concurrentes, elles relèvent de deux logiques différentes, la première centrée sur l'offre, la seconde centrée sur la demande. Jusqu'à présent, force est de constater que l'approche institutionnelle a été privilégiée par les pouvoirs publics, sauf dans les derniers schémas régionaux d'organisation sanitaire où une tentative d'approche par les besoins a été appréhendée. Cette prédominance n'explique sans doute pas la difficulté à définir, à évaluer et à localiser les besoins de santé.

Alors que l'approche institutionnelle ou organisationnelle sert la logique de l'organisation, c'est à dire celle de l'offre de santé, l'approche populationnelle privilégie les besoins de la population. Or, si la référence à la population et à ses besoins est clairement affichée dans les textes, force est de constater que la logique institutionnelle est particulièrement présente dans la conduite de la politique de santé, dans la mesure où son objet principal consiste à élaborer et à veiller à la réglementation de l'activité et du fonctionnement des offreurs de santé par l'édition de normes. Dès lors la satisfaction des besoins apparaît plus comme une contrainte que comme un objectif à atteindre.

L'approche institutionnelle pour la planification sanitaire part des offreurs de santé, puis évalue leur fonctionnement, leurs forces et leurs faiblesses, et enfin les adapte en fonction des normes et des référentiels préétablis, en se fondant sur l'hypothèse qu'ils répondent aux besoins de la population.

A l'inverse, adopter une approche populationnelle pour la planification sanitaire, c'est partir des besoins de la population et adapter le système de l'offre de santé à ces besoins. Ces besoins sont alors caractérisés par les données démographiques (structure par âge et par sexe), socio-culturelles (catégories socioprofessionnelles, niveaux de revenu, d'éducation), épidémiologiques (mortalité et morbidité), comportementales (flux de population). La politique de santé, et en particulier la planification, ont alors pour finalité d'adapter l'offre de santé à ces besoins.

Il est certain que ces deux approches relèvent plus de la complémentarité que de la substituabilité, et qu'un compromis entre les deux doit être trouvé. La planification sanitaire doit être fondée en premier sur l'étude des besoins de la population, mais il est impossible de faire fi des ressources de santé existantes, de leur localisation, de leur mode de fonctionnement et de leurs spécialités. La solution consiste alors à rechercher l'adéquation entre besoins et offre de santé, en prenant pour appui l'étude des besoins et non l'étude de l'offre.

L'offre de santé doit s'adapter aux besoins voire même les anticiper. On l'évalue en termes de qualité, de quantité et on apprécie la pertinence. L'étude des besoins vise en quelque sorte à identifier le marché potentiel, sa structure actuelle et son évolution dans le temps. On peut retenir trois méthodes pour l'étude des besoins :

– La méthode des besoins normatifs : des experts définissent des besoins théoriques par rapport à une norme (par exemple déterminer les besoins en personnel et en équipement pour soigner telle maladie). Ces besoins sont ensuite extrapolés au moyen de données épidémiologiques et démographiques.

– La méthode des objectifs de prestations : des objectifs de production et de distribution des services médicaux sont élaborés en tenant compte à la fois des besoins théoriques, des souhaits éventuels des individus et des conditions économiques.

– La méthode des besoins souhaités par la population, c'est à dire tels qu'ils sont ressentis.

Ces trois méthodes soulignent la complexité posée par la notion de besoin de santé qui sera abordée au prochain paragraphe.

Un modèle idéal de planification partant de l'identification des besoins et des problèmes à résoudre peut être envisagé :

– Connaître la morbidité de la population générale et les risques auxquels elle est exposée, par l'intermédiaire des outils épidémiologiques existants.

– Traduire cette connaissance des besoins, qualitatifs et quantitatifs, en actions de prévention, de soins et de réadaptation. La perception des besoins varie selon que l'on se place du point de vue de la population, des élus, des professionnels, ou des gestionnaires.

– Déduire de ces besoins l'organisation des services et des équipements nécessaires, avec les moyens en personnels suffisants.

La planification populationnelle part ainsi des attentes des usagers : souhait d'un hôpital plus humain (dimension relationnelle dans la prise en charge), souhait d'une coordination des soins (continuité des soins et de la prise en charge), une exigence d'accessibilité et de proximité. Mais comment évaluer correctement les besoins souvent assimilés à la demande de soins ? Les difficultés rencontrées expliquent en grande partie que les responsables de la planification en santé préfèrent agir sur l'offre.

L'organisation scientifique du travail, le taylorisme

A la base le taylorisme (du nom de son fondateur Taylor) c'est réfléchir sur des métiers tenus par des ouvriers professionnels (qualifiés), les observer avec la méthode de simplification du travail, qui permet de passer des métiers à un ensemble de tâches regroupées sur des postes de travail pouvant être tenus par des ouvrier non qualifiés. Le but était de produire avec une main d'œuvre non qualifiée et donc minimiser le coût de la main d'œuvre en intensifiant celle-ci. On peut augmenter la production soit parce que l'intensité du travail augmente (les ouvriers travaillent plus vite ou de manière différente avec des technologies données), soit parce que la productivité augmente (on modifie la technologie mais les personnes travaillent de la même façon). A l'époque de Taylor on cherche à augmenter l'intensité du travail. Aujourd'hui on « joue » sur les deux tableaux, y compris dans le système de santé : toutes les études sur l'organisation du travail dans les établissements de santé (blocs opératoires, composition des équipes soignantes, taille des unités) relèvent finalement de la méthode d'observance du travail tayloriste.

On distingue les phases de conception et les phases d'exécution du travail ; On réfléchit sur le poste de travail pour organiser le processus de production. La décomposition du processus de production est à la charge du service des méthodes, qui travaille avec le service d'ordonnancement et le service du planning. Cet encadrement donne la définition du poste de travail. Chaque ouvrier se voit affecter à ces activités spécifiques et déterminées.

La maîtrise d'atelier dispose de moyens de sanction et d'incitation et fait passer les ordres de la conception à l'exécution.

L'exécution doit être normalisée et intense (rentable). Elle est réalisée par les ouvriers. Normalisée veut dire que le travail affecté au poste correspond à la description détaillée de la conception. Ainsi un ensemble de personnes contrôle la qualité du travail et les problèmes de qualification des personnels. Le but est de s'assurer qu'on n'emploie pas une personne trop qualifiée pour l'emploi (sinon risque de surcoûts).

L'exécution intense du travail signifie aussi la parcellisation du travail et la personne doit répéter cette tâche le plus de fois possible dans un temps donné. La personne ne réalise que des mouvements précis. Une fois le travail exécuté il donne lieu à des bilans réalisés par la maîtrise. Ils remontent aux méthodes qui peuvent apporter des correctifs soit sur la main d'œuvre, soit sur les machines. Il n'y a donc aucune confrontation entre les concepteurs et les exécutants.

Même si bien sûr le taylorisme ne s'applique plus comme tel, y compris en santé, il n'en reste pas moins que pour certains métiers, et notamment soignants, nous ne sommes pas loin des méthodes de Taylor.

Les dispositifs de coordination d'un système économique

Trois dispositifs sont à l'origine de la coordination d'un système économique : la contrainte qui exclut tout accord de volonté, le contrat, vu comme le produit d'un tel accord, et la convention envisagée comme un objet sur lequel il est possible de s'accorder.

La contrainte ou règle hétéronome dicte aux agents leur conduite, indépendamment de leur volonté. Elle leur dénie, pour une action considérée, la faculté de se déterminer à agir d'une façon ou d'une autre ; elle exclut tout acte de volonté, elle ne résulte pas d'un accord entre les acteurs. Elle est, au contraire édictée unilatéralement, imposée de l'extérieur et caractérisée par l'exogénéité des obligations qu'elle crée. Les acteurs ne décident pas du contenu de la règle contraignante et doivent impérativement s'y conformer. L'intentionnalité des agents est nulle tant dans la création que dans le respect de la règle.

Le contrat constitue un arrangement interindividuel organisant des interactions entre deux agents. Ces interactions font l'objet d'une libre négociation entre les parties et se réalisent sur la base d'un accord adopté par consentement partagé. Le contrat se définit comme le fruit d'un accord de volontés. En outre les relations prévues par le dispositif contractuel supposent l'existence d'engagements réciproques : les agents s'engagent les uns envers les autres à céder ou à s'approprier, à faire ou ne pas faire quelque chose. A l'instar de la contrainte, le contrat est source d'obligations. Or celles-ci présentent un caractère endogène. Elles sont ce que les agents choisissent de s'imposer par entente mutuelle. En conséquence, les clauses du contrat ne s'appliquent qu'à ceux qui les ont intentionnellement élaborées. Les acteurs déterminent de leur propre chef le contenu de la règle contractuelle et s'engagent librement à la respecter. Leur intentionnalité est infinie pour la création, comme pour le respect de la règle.

La convention a en commun avec la contrainte d'être extérieure aux acteurs, mais elle ne se réduit pas à un dispositif contraignant. Elle est librement acceptée par les agents et se rapproche alors d'un dispositif contractuel. La convention n'est pourtant pas assimilable à un contrat pour deux raisons. D'une part, la convention ne suppose pas d'intention subjective et ne découle d'aucune négociation : elle n'est pas le produit direct d'un accord de volontés mais un objet, construit socialement, sur lequel il est possible de s'accorder. D'autre part, la convention présente une régularité reconnue à un niveau collectif. Elle donne la solution d'un problème répétitif et ne constitue pas, à l'image du contrat, une solution correspondant à une situation particulière. Le dispositif conventionnel, à la différence des précédents, ne contient pas d'obligation. Chacun est libre d'adhérer ou non à la convention et peut, à tout moment décider de ne plus s'y conformer. Le contenu de la règle conventionnelle échappe à la volonté des acteurs qui ont la possibilité de l'adopter ou non. Le degré d'intentionnalité est intermédiaire entre les degrés d'intentionnalité nul de la contrainte et infini du contrat.

Les mécanismes de concurrence organisée au sein du système de soins

On distingue traditionnellement deux formes de concurrence possible au sein du système de soins, l'une sur la fonction de financement (concurrence entre les assureurs de la maladie), l'autre sur la fonction de production (concurrence entre les producteurs de soins), la première pouvant entraîner la seconde.

Au sein de la fonction de financement, on peut distinguer la fonction d'assurance, orientée vers la demande, et la fonction d'achat de soins, orientée vers l'offre. La mise en concurrence entre les assureurs conduit à la fin du monopole de financement socialisé détenu aujourd'hui par l'assurance maladie. La mise en concurrence sur la fonction d'achat des soins peut concerner les assureurs qui moyennant un paiement forfaitaire par malade, attribué par l'assurance maladie, génère leur prise en charge auprès des producteurs de soins. Encore faut-il que l'acheteur de soins soit en capacité de coordonner les producteurs de soins pour optimiser la qualité de la prise en charge au meilleur coût. D'où il peut sembler préférable de confier directement l'achat des soins aux producteurs eux-mêmes qui mettent en concurrence les autres producteurs. Ils ont en charge, dans le cadre du budget alloué par l'assurance maladie, d'organiser la filière de soins et à ce titre mettent en concurrence leurs propres collègues.

La médicométrie

La médicométrie, apparue dans les années 1970 et dont les principaux fondateurs sont Antoine Bailly, étudie l'impact socio-économique de la santé, et en particulier celui des établissements de santé. Elle propose ainsi une vision élargie du système de santé, en considérant que celui-ci ne représente pas seulement un coût pour la collectivité mais également un facteur démultiplicateur de richesses et de ressources : le système fournit des emplois à forte composante technologique, à haut niveau de formation et à haute valeur ajoutée, induit par ses achats de consommation des activités économiques et participe à l'amélioration de la qualité de vie.

Ainsi, si l'on prend l'exemple de l'hôpital, celui-ci produit trois types d'effets multiplicateurs sur l'économie locale :

- des effets directs : premier employeur de la commune et du territoire dans lequel il est implanté, cette entreprise publique de main d'œuvre qualifiée distribue une masse salariale non négligeable qui est redistribuée pour une bonne partie dans l'économie locale. L'hôpital est également un consommateur des biens et services produits par le tissu économique local pour qui il représente un client privilégié.

- des effets indirects de premier type : les achats directs de biens et services par l'hôpital suscitent la production d'autres biens et services pour laquelle des salaires sont versés, qui sont eux-mêmes redistribuées dans le commerce local, etc.

- des effets indirects de second type : les salaires distribués par l'hôpital permettent d'acheter des biens et services produits localement, qui eux-mêmes suscitent la production d'autres biens, etc.

Dispensant également des formations (IFSI ou faculté de médecine), prestataire éventuel de services marchands (repas et blanchisserie), l'hôpital apparaît comme le garant de l'équilibre économique du territoire. L'hôpital a également un impact sur le niveau de qualité de vie de la population, sur le niveau culturel, sur l'image de marque de la commune

Autant d'effets directs et indirects qui permettent de considérer la santé non plus seulement comme une dépense ou un coût, mais comme un véritable investissement, dimensions que la planification sanitaire doit prendre en compte.

Les deux perceptions de l'économie ; les deux conceptions du réseau

Dans une économie d'allocation de ressources la coordination est envisagée comme un problème d'organisation de l'échange. Le système productif est présent dans le modèle, mais les décisions de production sont mises au même rang que celles d'échange, et sont ainsi assimilables à des décisions d'allocation de ressources. La production consiste simplement à combiner des ressources existantes afin d'en obtenir de nouvelles, sans tenir compte de l'importance de facteurs immatériels, liés à l'émergence et à la transmission du savoir. Le réseau est alors conçu comme une organisation technico-économique, intermédiaire entre une forme de coordination totalement désintégrée, le marché, et une forme de coordination parfaitement intégrée, la hiérarchie, qui caractérise une organisation monopolistique.

Dans une économie de création de ressources, la combinaison des facteurs de production ne suffit plus à expliquer la production. La coordination est envisagée comme un problème d'organisation de la production. L'explication de l'activité productive est « endogénéisée ». La production mobilise des inputs particuliers, tels que des connaissances, du savoir-faire ou des qualifications spécifiques qui émergent au cours de la production. L'accent est mis sur l'importance du savoir pour organiser la production. La notion d'apprentissage est alors au cœur de la problématique de l'organisation productive. Le réseau est alors conçu comme une forme de coordination spécifique qui privilégie les relations entre acteurs. Cette conception emprunte à l'approche évolutionniste qui fait de l'apprentissage un facteur d'innovation et de création de ressources. Elle emprunte également à l'approche conventionnaliste qui met l'accent sur la nécessité de règles conventions pour favoriser la coordination dans un contexte d'incertitude. Cette conception met l'accent sur une dynamique inhérente au réseau, à l'origine d'une création de ressources, au-delà des ressources préexistantes.

La notion de bien public

Deux propriétés caractérisent les biens (ou services) privés : le principe de rivalité (deux individus ne peuvent bénéficier simultanément de l'usage d'un même bien) et le principe d'exclusion par le prix (un individu ne pourra disposer du bien que s'il en paie le prix). Il convient de noter cependant que des biens privés peuvent être distribués gratuitement, ce qui remet en cause dès lors le deuxième principe.

Les biens pour lesquels le principe de rivalité ne s'applique pas sont appelés des biens publics. Certains publics peuvent satisfaire en plus trois conditions : l'impossibilité d'exclusion, l'obligation d'usage et l'absence d'effet d'encombrement. On parle alors de biens publics purs ; lorsque l'une de ces trois conditions n'est pas remplie on parle de biens publics mixtes.

L'impossibilité d'exclusion signifie qu'il n'est pas possible matériellement de réserver l'usage du bien public à certains individus (par exemple l'éclairage public). La possibilité d'exclusion peut être faite tout simplement en prélevant un prix.

Il y a obligation d'usage lorsque le fait de disposer du bien public ne dépend pas de la volonté des individus eux-mêmes, mais de l'Etat par exemple au nom de l'intérêt général.

Enfin il y a effet d'encombrement (ou de congestion) lorsque la satisfaction du bien public dépend du nombre d'usagers qui en bénéficient également (c'est le cas par exemple des délais d'attente par rapport aux services publics).

Un bien public peut concerner un nombre limité d'individus ou au contraire l'ensemble de la collectivité.

Il ne peut exister de marché pour de tels biens et généralement il revient à l'Etat d'organiser la production de ces biens et d'en assurer le financement. Il arrive cependant que des organisations privées financent la production de tels biens.

Les paradigmes standard, standard élargi et non standard de la théorie économique

Le paradigme standard regroupe les théories économiques qui supposent une rationalité substantielle fondée sur le calcul individuel et sur une coordination des décisions individuelles par le marché.

Le paradigme standard élargi conserve l'hypothèse de rationalité substantielle pour aborder la coordination interne à l'organisation (elle se réalise grâce à des règles-contrats et à des règles-contraintes), en plus de la coordination marchande.

Le paradigme non standard postule une rationalité de type procédural qui suppose un processus d'apprentissage dans la prise de décision et s'intéresse à la coordination non marchande des décisions, dans laquelle des règles-conventions assurent la coopération entre les individus.

La notion de besoin hospitalier

Notion floue, le besoin présente un caractère subjectif. « On a autant besoin de ce qu'on veut, qu'on veut ce dont on a besoin » (Le Pen, 1996). L'appréciation d'un besoin, qui traduit un sentiment de manque, dépend de l'environnement de l'individu, de l'évolution des techniques, des mentalités de la société. Le besoin évolue dans le temps et dans l'espace. Cette complexité s'accentue en santé, dans la mesure où la santé couvre elle-même un champ très large. Les déterminants de la santé sont autant biologiques que sociologiques ou économiques. Il convient également de distinguer le besoin ressenti du besoin exprimé : le besoin ressenti ne s'exprime par forcément par une demande de soins. Enfin le système de soins joue un rôle essentiel dans le processus de transformation du besoin en demande dans la mesure où il induit une majeure partie de la demande de soins (Béjean, 1994). Ainsi, si la demande de soins hospitaliers est couramment utilisée pour évaluer le besoin en soins hospitaliers, il faut garder à l'esprit, d'une part que le besoin en soins appréhende le besoin de santé par le biais des moyens mis en œuvre, et d'autre part que le besoin en soins simultanément sous-estime le besoin réel en santé lorsque le besoin ressenti ne se transforme pas ou pas intégralement en demande, et le surestime si le médecin induit une demande qui ne correspond pas véritablement à un besoin ressenti (Gadreau et Jaffre, 1999). On distingue aussi les besoins latents (perçus ni par les professionnels de santé, ni par les personnes) et les besoins ressentis (tantôt pas exprimés par les personnes, tantôt exprimés et/ou non reconnus par les professionnels). En fonction de ce caractère subjectif du besoin, nombreuses sont les définitions et les approches du besoin en santé. On peut retenir comme définition du besoin hospitalier les caractéristiques démographiques sanitaires, sociales, économiques et culturelles des populations régionales qui devraient bénéficier des services financés par le système hospitalier.

Si la définition des besoins est complexe, leur estimation l'est tout autant. Elle nécessite que des efforts spécifiques soient entrepris mobilisant au mieux les données disponibles dans un cadre cohérent. Toute une série d'indicateurs permettent d'appréhender le besoin en santé, mais il n'en existe pas un qui résumerait toutes ces approches :

– Les déterminants de santé : démographie, environnement physique et social, indicateurs socio-économique, comportements, habitudes de vie et facteurs de risque, organisation et activité de l'offre de soins ;

– L'état de santé : morbidité, mortalité ;

– Les conséquences des problèmes de santé : incapacités, utilisation des services, consommation des médicaments.

Il est toutefois possible d'appréhender les besoins à minima, en partant notamment de la structure par âge et par sexe de la population et de modes de consommation hospitalière. Ceci suppose cependant de disposer d'un système d'information performant sur les besoins, par agrégation des données produites par les multiples organismes des pouvoirs publics.

Les quatre dimensions de l'accessibilité aux soins

Dans le langage courant, on dit qu'un objet ou un lieu sont accessibles quand il est facile ou possible d'arriver à ceux-ci. Frenk (1985) définit alors l'accessibilité aux soins comme le degré d'ajustement entre les caractéristiques des ressources de soins et celles de la population dans le processus de recherche et d'obtention des soins. Elle est représentée comme une fonction entre les obstacles (indicateurs de résistance) et les capacités de la population à surmonter de tels obstacles (utilisation potentielle). Ces obstacles qui caractérisent l'accessibilité aux soins sont au nombre de quatre : physiques, financiers, organisationnels et informationnels.

L'obstacle physique concerne la facilité d'accès physique et géographique à l'offre de soins, généralement appréhendé en termes de distance à parcourir pour se rendre à l'équipement sanitaire. Cette distance est elle-même mesurée soit en kilomètres ou en temps (la distance physique qui dépend du relief, des axes et des moyens de communication), soit en monnaie (la distance économique qui correspond à la perte de revenus et/ou de production), soit en social (la distance sociale dont les facteurs sont le niveau d'éducation, la mobilité des personnes par exemple). Plus la distance à parcourir est élevée, moins l'accessibilité est garantie, en n'oubliant pas toutefois de distinguer la disponibilité de l'offre de l'accès effectif et efficace.

L'obstacle financier se traduit par la barrière financière dans l'accès aux soins dont la consommation représente un coût direct et indirect pour le malade. Dans un système de soins à financement socialisé comme l'est le système français (ndlr numéros de janvier et février 2007) où le coût de la santé est relativement réduit, restent cependant à la charge du malade le ticket modérateur qui peut s'avérer un frein dans l'accès aux soins pour les personnes modestes, tout comme l'avance de frais. Par ailleurs, une hospitalisation entraîne de nombreux coûts indirects comme la perte de revenus du travail, la garde des enfants, les aides à domicile.

L'obstacle organisationnel caractérise une offre de soins encombrée (les services d'urgences ou de gériatrie par exemple) dont la cause identifiée correspond à un manque d'articulation entre les professionnels de santé. Il se traduit par la constitution de files d'attente de malades, le transfert des personnes, l'allongement des délais de prise de rendez-vous, qui peuvent se traduire in fine par un renoncement aux soins. Il se traduit également par une inadaptation de la prise en charge par rapport à l'état de santé du malade.

L'obstacle informationnel réside dans le manque de lisibilité du système de soins et le manque d'information de l'usager. Ce niveau d'information dépend de la relative opacité du fonctionnement de l'offre de soins, mais aussi de l'éducation à la santé que le malade a reçue. Selon le niveau d'éducation, le niveau culturel, l'appartenance à un groupe, l'usager n'adoptera pas la même attitude quant au recours et au mode de recours aux soins. Certaines personnes refuseront de se faire soigner en invoquant des croyances ou des arguments religieux par exemple.

Au-delà de ces quatre dimensions, il convient de distinguer l'accessibilité absolue de l'accessibilité relative, dans le sens où le recours aux soins dépend de la décision initiale du malade de recourir aux soins, puis de la décision du médecin généraliste de prescrire une hospitalisation, et enfin la décision du malade de suivre la recommandation de son médecin prescripteur.

La théorie de l'agence

Origine et objectif d'une relation d'agence : La théorie de l'agence trouve ses fondements dans la prise en compte du contexte incertain dans lequel s'effectuent les décisions, de la répartition inégale de l'information et de la divergence d'intérêt. La relation d'agence décrit les relations dans ce contexte où une des parties, le principal, en position d'infériorité dans la détention d'information, délègue son pouvoir de décision et d'action à l'autre partie, l'agent, détenteur de l'information.

Relation d'agence parfaite versus relation d'agence imparfaite : La relation d'agence est parfaite quand le principal peut parfaitement observer le comportement de l'agent et qu'aucune autre information n'est cachée : la situation est paréto-optimale. La relation d'agence est imparfaite lorsque le principal observe imparfaitement le comportement de l'agent (il n'observe que le résultat de l'action, mais pas l'effort fourni par l'agent qui peut développer un comportement stratégique de risque moral), ou lorsque certaines caractéristiques du bien échangé détenu par l'agent sont imparfaitement observables par le principal (risque de sélection adverse).

Relation d'agence avec risque moral : Le principal observe imparfaitement le comportement de l'agent. Ce dernier va adopter un comportement stratégique de minimisation de son effort dans sa relation avec le principal : effet de risque moral. La situation n'est plus paréto-optimale, mais sous optimale de second rang. C'est l'exemple du marché de l'assurance (principal) où l'assuré (l'agent) va minimiser ses efforts de protection et de prévention sachant qu'il est assuré.

Relation d'agence avec sélection adverse : Le principal observe imparfaitement les caractéristiques (coût, qualité, probabilité d'occurrence) du bien échangé détenu par l'agent. Pour un même niveau de prix moyen, l'agent aura intérêt à échanger les biens présentant la moins bonne qualité : « les mauvais produits chassent les bons » ou encore « la mauvaise qualité chasse la bonne » : effet de sélection adverse. A terme il y aura disparition du marché. Là encore, si l'on prend l'exemple du marché de l'assurance, l'assureur ne connaît pas les probabilités d'occurrence des risques des assurés. Pour une cotisation moyenne versée par chaque assuré correspondant à un niveau de risque moyen, les individus présentant un niveau de risque inférieur au niveau moyen n'auront pas intérêt à s'assurer (prime d'assurance supérieure au coût de réalisation du risque) tandis que les individus présentant un niveau de risque supérieur au niveau moyen vont s'assurer (prime inférieure au coût de réalisation du risque). Les mauvais risques vont chasser les bons. A terme l'assurance se retrouvera dans une situation déficitaire et disparaîtra.

Les deux perceptions de l'économie, les deux conceptions de l'exercice coordonné

Dans une économie d'allocation de ressources la coordination est envisagée comme un problème d'organisation de l'échange. Le système productif est présent dans le modèle, mais les décisions de production sont mises au même rang que celles d'échange, et sont ainsi assimilables à des décisions d'allocation de ressources. La production consiste simplement à combiner des ressources existantes afin d'en obtenir de nouvelles, sans tenir compte de l'importance de facteurs immatériels, liés à l'émergence et à la transmission du savoir. L'exercice coordonné est alors conçu comme une organisation technico-économique, intermédiaire entre une forme de coordination totalement désintégrée, le marché, et une forme de coordination parfaitement intégrée, la hiérarchie, qui caractérise une organisation monopolistique.

Dans une économie de création de ressources, la combinaison des facteurs de production ne suffit plus à expliquer la production. La coordination est envisagée comme un problème d'organisation de la production. L'explication de l'activité productive est endogénéisée. La production mobilise des inputs particuliers, tels que des connaissances, du savoir-faire ou des qualifications spécifiques qui émergent au cours de la production. L'accent est mis sur l'importance du savoir pour organiser la production. La notion d'apprentissage est alors au cœur de la problématique de l'organisation productive. L'exercice coordonné est alors conçu comme une forme de coordination spécifique qui privilégie les relations entre acteurs. Cette conception emprunte à l'approche évolutionniste qui fait de l'apprentissage un facteur d'innovation et de création de ressources. Elle emprunte également à l'approche conventionnaliste qui met l'accent sur la nécessité de règles conventions pour favoriser la coordination dans un contexte d'incertitude. Cette conception met l'accent sur la dynamique inhérente à l'exercice coordonné, à l'origine d'une création de ressources, au-delà des ressources préexistantes.