Polynésie : 18 ans de médecine intégrative - Objectif Soins & Management n° 271 du 01/10/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 271 du 01/10/2019

 

Actualités

Delphine Barrais  

REPORTAGE

Le Fare Rapa'au vient d'ouvrir ses portes dans la vallée de la Papenoo. Concrètement il s`agit d'une « maison du bien-être », un lieu d'échanges entre professionnels de santé et tradipraticiens. Ce fare concrétise 18 années de liens tissés entre les deux mondes.

Éric Parrat est pneumologue au centre hospitalier du Taaone, l'hôpital de Tahiti. Il travaille main dans la main avec Yves Doudoute depuis des années. Lequel est membre fondateur de l'association culturelle Haururu. Ensemble, au service des patients, ils cherchent à redonner du sens à la relation de soin. « Aujourd'hui, cette relation manque d'humanisme, on a des traitements et des techniques très performants, mais les malades sont considérés comme des maladies », résume le pneumologue. Dans le respect et l'humilité, ils cherchent à réinscrire le bien-être dans la relation de soin.

60 m2 en fond de vallée

En juin dernier, professionnels de santé et tradipraticiens ont inauguré leur Fare Rapa'au, littéralement la « maison de bien-être ». En Polynésie le « fare » est « la maison ». Celle-ci est située au fond de la vallée de la Papenoo (côte est de Tahiti), au bout d'une piste que seuls les 4x4 peuvent emprunter sans risque. Ce fare est un espace de 60 mètres carrés abrités, c'est un lieu de formation. « Il est un lieu de recherche et d'expérimentation, une école de médecine traditionnelle », précise Éric Parrat. « Nous ne sommes pas dans la croyance, nous ne sommes pas là pour penser ou croire, nous sommes là pour prouver les choses de façon scientifique. » De fait, le programme engagé s'appuie sur la stratégie de l'OMS pour la médecine traditionnelle et sur l'engagement de Berlin pour la médecine intégrative dont le texte original a été publié le 5 avril 2017, lors du congrès mondial de médecine et de santé intégrative. Les deux travaux de thèses déjà lancés y font référence et suivent le cadre de la réglementation française.

Traiter les humains dans le respect de ce qu'ils sont

Il y a 18 ans, Éric Parrat travaillait avec des enfants asthmatiques. « Leur rêve était d'aller dans l'eau, mais ils n'y étaient pas autorisés du fait de leur maladie. » Considérant le bien-être de ses petits patients, le pneumologue a mis en place un programme intitulé asthme et apnée, un champion de la discipline aquatique y participant. Les résultats ont été au rendez-vous. « Cela a fonctionné parce que les Polynésiens sont un peuple de l'eau, le phénomène culturel et l'environnement importent dans le soin. Il nous faut traiter les humains dans le respect de ce qu'ils sont. » De là, le pneumologue s'est rapproché d'une association culturelle polynésienne, ancrée, reconnue, l'association Haururu. Les tradipraticiens, membres de Haururu ont mis du temps à se faire connaître. « Je les ai côtoyés des mois sans savoir qui était ou non tradipraticien », se rappelle Éric Parrat. Quand il parle de tradipraticien et de médecine traditionnelle, il ne pense pas « à la médecine familiale » ou « aux recettes de grand-mères », il parle de soins ancestraux dans toute leur dimension : usage des plantes, massage, chamanisme, magnétisme, spiritualité. Une fois leur identité révélée et après de très nombreuses rencontres dans la vallée de la Papenoo, les tradipraticiens ont fini par se présenter au centre hospitalier. Ils ont rencontré des patients polynésiens, complétant l'offre de soin « classique ». « Ils apportent une réponse humaine », résume Éric Parrat qui n'assiste jamais aux échanges entre les tradipraticiens et les patients. Petit à petit, autour du pneumologue, d'autres médecins, mais aussi des infirmiers, des aides-soignants se sont engagés. Ils ont été 28 à participer à un séminaire de médecine traditionnelle dénommée « la rencontre » en mai 2018 à Fare Hape.

Dans le cadre du projet de médecine intégrative, un poste vient d'être créé au sein de l'hôpital. Il est maintenant occupé par une tradi-praticienne qui travaille à temps plein dans l'équipe de pneumologie.

Éric Parrat, qui pourrait s'exprimer devant les parlementaires sur invitation du sénateur Joël Labbé, se rendra en France en octobre. Il présentera ses premiers résultats lors d'un cours qu'il donnera à Toulouse. « On a montré que le concept transculturel fonctionne », indique-t-il. Personnels de santé conventionnels et tradipraticiens ont fait savoir leur volonté d'œuvrer ensemble, « les chiffres le prouvent. » Un nouveau travail « comment collaborer et pour quels bénéfices pour les patients hospitalisés » vient de voir le jour avec la thèse d'une étudiante qui s'intéresse à la médecine intégrative en pneumologie. Au premier plan, des mondes se rapprochent, en arrière-plan il y a des preuves, et rien que des preuves.