Une « disjonction entre un hôpital virtuel et un hôpital réel » | Espace Infirmier

Entretien avec la sociologue Paule Bourret : la position ambivalente du cadre de santé, entre l’équipe soignante et l’administration, est accentuée par les nouvelles normes médico-économiques en vigueur.

Infirmière à l'origine, Paule Bourret a étudié à l’IFCS de Montpellier dans les années 1980, avant de devenir formatrice. Elle soutient en 2005 une thèse de sociologie, Les cadres de santé à l’hôpital, un travail de lien invisible.

Ses recherches s’appuient sur la distinction entre « travail prescrit » (ce qu’on demande à l’employé) et « travail réel » (les moyens qu’il met en œuvre pour l’accomplir). Elle est aujourd’hui chargée du master « Sciences du travail et de la société, secteur sanitaire et social », à l’IFCS du CHU de Montpellier.

Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur le « lien » ?
Dans mon expérience de formatrice, j’ai noté chez les cadres une énergie, un potentiel et une grande envie de travailler. Mais, paradoxalement, j’ai aussi relevé un mouvement critique de la part des professionnels, directeurs, médecins, infirmiers, qui reprochaient aux cadres de n’être pas suffisamment présents. Les cadres eux-mêmes ont tendance à disqualifier leur propre activité, alors qu’ils travaillent sans cesse ce « lien invisible » avec l’équipe soignante, les patients, les institutions. Il fallait réhabiliter ce travail.

Par quoi le travail du cadre peut-il être mis à mal ?
L’arrivée de la tarification à l’activité a introduit une pression économique qui a des incidences quotidiennes sur le travail du cadre et des équipes. Elle oriente les cadres vers la recherche de lits pour faire entrer et sortir les malades de l'hôpital, mais aussi vers la quête d'un fonctionnement optimal des unités, comme le choix des types de prise en charge des malades, en prenant en compte les règles de cotation des actes.

Outre le fait que cette activité est consommatrice de temps, elle contribue à une intensification du travail des équipes. L'activité des cadres est orientée vers le renseignement des outils de gestion, qui peut éloigner du travail auprès des équipes. Sans oublier l'augmentation du nombre d'agents à encadrer. La mise à mal du travail de lien découle aussi d'une série de mutations de l'organisation, en apparence anodines mais qui, cumulées, transforment radicalement les situations de travail.

Le lien entre le cadre et le reste du personnel hospitalier s’est-il distendu ?
Je constate une dissociation très problématique entre la sphère des professionnels « qui gèrent », qui organisent, définissent les politiques de santé ou les normes et la sphère du « travail réel», concrètement réalisé par les soignants, médecins et infirmières. Cette disjonction entre un hôpital virtuel et un hôpital réel a des effets sur la santé au travail des personnels et sur la qualité des soins.

Elle se traduit notamment par une accumulation incroyable de règles, qui peuvent être bafouées, car le personnel de terrain ne peut pas toutes les mettre en œuvre, faute de temps et de moyens. Des formes de clandestinité et de délinquance institutionnelle peuvent également se mettre en place, chacun étant renvoyé à lui-même, isolé, avec l'impression de ne pas être à la hauteur.

Parallèlement à ces mutations, la formation des cadres a-t-elle beaucoup évolué ?
Oui, beaucoup. A Montpellier – mais cela existe dans d'autres IFCS sous différentes formes –, nous mettons en place des dispositifs permettant de partir du point de vue du travail réel. Nous travaillons davantage sur l’analyse de situations de travail. Il nous semble important de permettre à des cadres de repérer les enjeux, les contradictions dans le système, à l'heure où fleurissent des technologies de management, des outils et des méthodologies censés permettre de résoudre les difficultés, quel que soit le contexte. Il est important de comprendre ce que l'on fait quand on intervient sur le travail d'autrui, qui on sert et à quoi on sert.

De quelle marge de manœuvre disposent les cadres ?
Si l'on parle autant d’eux en ce moment, c’est parce que l’on a besoin d’eux pour les nouvelles organisations du travail. Si les cadres sortent de l'ombre, c'est parce que de nouvelles attentes pèsent sur eux. Mais je ne pense pas que la question se pose en ces termes. L'hôpital est une chaîne de responsabilités, parmi lesquelles on trouve celle des cadres. Si l'on observe les entreprises, censées être un modèle de gestion pour l'hôpital, la question du management à France Télécom ou ailleurs ne s'adresse pas seulement aux cadres, mais à la société toute entière.

Propos recueillis par
Sarah Elkaïm




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